La fin de l’épisode précédent Death In Heaven voyait le Docteur et Clara se séparer, chacun poursuivant sa route seul. Une fin d’autant plus amère qu’ils se quittent non pas en paix avec eux-même mais au prix d’un mensonge (le retour de Danny, la découverte de Gallifrey). Dans ce contexte, l’épisode de Noël s’avère particulièrement intriguant car son titre, The Last Christmas, laisse présager aussi bien une conclusion au parcours du gallifréen et de sa compagne qu’une ultime chance de rebattre les cartes et repartir sur de nouvelles bases.
Et l’on n’est pas déçu car tout en s’appuyant une nouvelle fois sur la dynamique de la relation du duo, Moffat propose un épisode à la narration ambitieuse où la noirceur le dispute à un humour corrosif. Ce dernier point étant parfaitement porté par Nick Frost en Père Noël et ses deux elfes de compagnons dont les répliques alternent admirablement entre le caustique et l’absurde. Leurs premiers échanges avec Clara sont désopilants, renversant la mythologie inhérente à Noël en faisant passer la proposition des parents déposant les cadeaux sous le sapin comme ridicule. L’épisode va ainsi jouer avec la perception des mythes et de la réalité.
Alors que Clara est décontenancée par la découverte sur son toit du Père Noël en rade de traîneau, le Docteur débarque pour l’emmener dans une nouvelle aventure à laquelle elle ne se fait pas prier pour participer. Un Docteur qui comme dans l’épisode 3 de la saison 8, Robot Of Sherwood, questionne l’existence de la légende lui faisant face, ici ce célèbre gros barbu en rouge, soupçonnant que quelque chose ne tourne pas rond.
Et effectivement, rien ne va plus dans la station scientifique du pôle Nord dans laquelle ils apparaissent. Les quatre occupants sont aux prises avec une espèce extra-terrestre renvoyant aux face-huggers d’Alien et qui lorsqu’ils reposent sur le visage de leurs hôtes, les plongent en état de rêve avancé pour mieux leur boulotter la cervelle. Tandis que les quatre premières victimes se réveillent et que d’autres créatures surgissent du plafond menaçant tout le monde, voilà que le Père Noël se mue en sauveur improbable. Alors que tout le monde dans la base s’interroge sur la teneur d’une telle apparition, Clara est elle-même neutralisée par un des parasites. Dans son rêve, ou plutôt sa réalité fantasmée, elle est au près de Danny le matin de Noël, un moment de douceur domestique à peine perturbé par des inscriptions sur un tableau venant de nulle part la mettant en garde qu’elle est en train de mourir, qu’elle doit se réveiller. Des messages de plus en plus insistants qui sont la transcription des paroles du Docteur auprès de son amie en fait étendue, le visage recouvert d’un monstre de l’espace, sur le sol de la station polaire. La mise en scène de Paul Wilmhurst illustre magnifiquement la très belle idée de Moffat pour représenter à l’écrit les avertissements du Docteur. Et tout en instaurant un sentiment d’urgence et de survie quant à la capacité de Clara à refuser cette félicité trop belle pour être vraie, Moffat donne l’occasion à la jeune femme de révéler la vérité à son mentor sur le sort de Danny et, quelquepart, de lui dire au revoir. Pour définitivement la persuader que ce qu’elle croit vivre est factice, il suffit au Docteur de démontrer que cette version de Danny est une pure représentation de son égo (il déclare que dans l’épisode précédent il n’a pas sauvé le monde mais Clara et que si les autres en ont réchappé est un pur hasard !) afin qu’elle accepte de repartir avec lui dans le monde de l’éveil. Un premier pas vers l’acceptation de sa perte et de ce qu’elle désire vivre pleinement. Un accomplissement qui ne pourra être complet que lorsque le Docteur lui-même se sera réconcilié avec ses propres désirs.
L’épisode n’oublie pas pour autant son intrigue puisque le danger imposé par des créatures pourtant assez peu actives va prendre d’importantes proportions. En effet, le Docteur émet de sérieux doutes sur le fait qu’ils soient tous effectivement éveillés, et qu’en fait ils soient pris dans un rêve, lui-même dans un rêve (dans le genre, il se montre beaucoup plus déstabilisant qu’Inception). Moffat s’amusant par la suite à semer le trouble avec plus de deux couches oniriques, relançant alors constamment le doute sur ce que l’on voit et ce que l’on percevait pour acquis. Le test ultime de la teneur du rêve vécu grâce à leurs manuels d’instruction est ainsi un formidable pendant au test sanguin utilisé dans The Thing pour découvrir l’intrus. La tension est certes moins affolante mais demeure prégnante.
Avec le Père Noël comme point de bascule, sa présence étant le signe de dérivation de la réalité. La croyance en ce personnage mythique mettant d’ailleurs en perspective la foi dans le Docteur. La définition qu’une des scientifiques, Shona, fait de Santa Claus – « You’re a dream who’s trying to save us ? » – outre qu’elle est merveilleusement poétique peut parfaitement s’appliquer au Docteur.
Après avoir sauvé tout le monde, c’est au tour de l’homme au TARDIS d’être secouru. Les dernières séquences le montrent plus jovial, voire même carrément enthousiaste (vu sa propension à la retenue montrée toute la saison, on pourrait presque dire qu’il est dans un état extatique!) lorsqu’il conduit le traîneau au fur et à mesure que chacun regagne son espace-temps. Et tandis que Clara s’attarde sur l’épaule réconfortante du Père Noël, le Docteur se confronte à une version vieillie de cette dernière, arrivant des décennies après (trop tard ?). C’est l’occasion d’échanges touchants sur leur compatibilité et leur caractère impossible (Clara, The Impossible Girl, renvoyant ce même terme au Docteur) et un dernier moment à partager un cracker que cette Clara trop vieille ne pourra pas tirer sans l’aide de son compagnon, renvoyant ainsi à une scène similaire dans l’épisode de Noël de la saison dernière, Time Of The Doctor, où les rôles étaient inversés. Bouclant ainsi la boucle. Enfin, dernière touche poétique de Moffat, face à cette vieille dame, le Docteur continue à percevoir Clara telle qu’on la connaît, jeune et resplendissante, sa perception de sa compagne étant non pas brouillée par un parasite mais est l’émanation de ses propres sentiments envers elle. Il aura donc fallu une dernière escapade onirique au Docteur pour prendre conscience de ce qui l’anime, de la tendresse qu’il éprouve malgré son comportement misanthrope, et surtout assumer qu’il a besoin d’elle auprès de lui. Lorsqu’il la retrouve dans la réalité, sa demande de le suivre dans son étrange machine spacio-temporelle s’apparente presque à une demande en mariage. En tout cas, la conclusion de cet épisode scelle leur union, comme il marque leur réconciliation et la véritable renaissance du Docteur. Plus qu’un épisode spécial, ce Last Christmas est définitivement la conclusion que cette huitième saison méritait, terminant la régénération émotionnelle de Twelve.
Nicolas Zugasti
Doctor Who – Last Christmas : extra
Doctor Who Saison 8 – épisode 13 : Last Christmas
Showrunner : Steven Moffat
Réalisation : Paul Wilmhurst
Scénario : Steven Moffat
Interprètes : Peter Capaldi, Jenna Coleman, Nick Frost, Samuel Anderson…
Montage : Adam Trotman
Photo : Neville Kidd
Musique : Murray Gold
Origine: Royaume-Uni
Duréé : 45 mn
Diffusion BBC One: 25 décembre 2014