Si d’aucun déplorent la sous-estimation voire l’oubli de nombre cinéastes et films des seventies, que dire des années 80, où l’on relève des dizaines (sinon plus) de polars encore inédits en DVD zone 2 ? Hein, que dire ? Car m’enfin, qui aura les cojones d’éditer dignement J’aurai ta peau, Vice Squad, Descente aux enfers, Shoot, Philadelphia Security, Backclash, Money Movers… ? Mais je m’égare, comme disait Allan Poe de mouton, et revenons à ceux-ci. En l’occurrence le Fast-Walking de James B. Harris, daté de 1982, avec ce grand malade de James Woods. Sorti rapido au cinéma puis noyé dans la masse des tombereaux de VHS du temps d’alors (celui de ma djeunesse starfixienne), ce mix de polar, film d’arnaque et film de prison repose sur les épaules de cet acteur qui fut un tueur de flic cher à Harold Becker et sera cinq ans plus tard un journaliste fou pour Oliver Stone. La gestuelle et le débit verbal du personnage qui nous intéresse ici et maintenant pouvait, en faisant un brin d’analyse à rebours, difficilement être incarné par quelqu’un d’autre. Vous imaginez Tom Selleck à la place d’Harrison Ford dans les Indiana Jones vous ? Bon, ben, là, c’est pareil. Le cultivé et queutard Woods, dorénavant en phase de gâtisme, colle parfaitement avec son personnage : manipulateur roublard doté d’un bagout à faire frémir Eddie Murphy, le surnommé Fast Walking (L’Antilope, dans les sous-titres) est un maton atypique, du genre à ne pas être du bon côté des barreaux. Son problème est qu’il a plutôt un bon fond derrière sa façade de grande gueule gesticulateur et que confronté à plus salaud, menteur et retors, il va devoir serrer les miches et trouver comment tirer des marrons du feu.
Visuellement, le film, qui n’est pas sans évoquer Brubaker et Doux, dur, et dingue, n’est pas à tomber sur le cul, mais il est bien rythmé et formidablement interprété par l’ensemble du casting. L’efficacité de la réalisation et le tempo imposé à ce long-métrage sont dû à James B. Harris qui, non content d’être connu des cinéphiles grâce à son poste de producteur pour Stanley Kubrick, s’est permis de réaliser (et généralement de scénariser) une demi-douzaine de fiction dont l’excellent Cop en 1988 (avec, tenez-vous au pinceau, James Woods), un polar des plus carré et agréable, n’en déplaisent aux puristes ellroyliens. Le bonhomme, à 78 ans, était encore actif, puisque l’un des producteurs sur Le Dahlia noir de Brian de Palma.
Fast-Walking est disponible chez Warner, dans la collection Films criminels, qui s’est faite désirer, mais bon. Hormis le joli minois de Kay Lenz, quelques bonnes trognes viennent faire des passes d’armes avec la lame James Woods, notamment Tim McIntire, M. Emmet Walsh et Timothy Carey qui, presque dix ans auparavant, se faisait buter par Robert Duvall dans Echec à l’organisation.
Dans la même collection fort attrayante, une autre rareté prestement passée du présentoir d’un supermarché de la culture à l’une des étagères de mon manoir, le crépusculaire Les Complices de la dernière chance (The Last Run). Réalisé en Espagne par Richard Fleisher en 1971, la chose narre le dernier engagement d’un aïeul du Chauffeur de Driver puis de Drive : comme il se fait chier dans sa retraite dorée et qu’il n’a plus aucune famille, le « tonton » (George C. Scott, magnifique, formidable) accepte de convoyer de A à B un loulou aux tendances psychopathes et sa copine. Relations tendues, complicité difficile, plan cul, tueurs aux trousses, flingages divers et variés… Un menu plus varié que ne le laisse supposer l’apparente simplicité du script et une mise en scène qui, quoiqu’impeccable, ne fait pas dans la recherche et l’innovation auxquelles Fleisher cède parfois pour notre bonheur (remember L’Etrangleur de Boston). Bien qu’il s’agisse là d’une œuvre de commande reprise en cours de route par le réalisateur des Inconnus dans la ville en remplacement de celui du Trésor de Sierra Madre, John Huston, ces Complices de la dernière chance est une perle noire d’un pessimisme à la Peckinpah, fidèle à un genre, à l’âge d’or alors soi-disant achevé depuis une quinzaine d’années.
Laurent Hellebé
FAST-WALKING
Réalisation : James B. Harris
Scénario : James B. Harris d’après le roman « The Rap » d’Ernest Brawley
Production : James B. Harris, Joseph Harris et Richard McWorther
Montage : Douglas Stewart
Photo : King Baggot
Musique : Lalo Schifrin
Interprètes: James Woods, Tim McIntire, M. Emmet Walsh…
Origine: Etats-Unis
Editeur : Warner – collection Films Criminels
Sortie : 15 mars 2013
LES COMPLICES DE LA DERNIERE CHANCE THE LAST RUN)
Réalisation : Richard Fleisher
Scénario : Alan Sharp
Production : Carte Dehaven
Montage : Russel Lloyd
Photo : Sven Nykvist
Musique : Jerry Goldsmith
Interprètes: George C. Scott, Tony Musante, Trish Van Devere…
Origine: Etats-Unis
Editeur : Warner – collection Films Criminels
Sortie : 15 mars 2013