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Véritable phénomène télé produit par HBO qui a rythmé le début d’année 2014, la série True Detective a su drainer une incroyable audience (preuve de cet incroyable engouement, le serveur de la chaîne a sauté le soir de la diffusion de l’épisode final de la saison, retardant sa vision en streaming sur le site du network) grâce à son traitement et son ambiance déliquescente d’une intrigue de nombreuses fois usitée de serial killer à débusquer. Une première saison vraiment exceptionnelle en termes de qualité et de construction et dont le ton et le déroulement langoureux ont rapidement rendu accroc les amateurs de programmes originaux et les exégètes de toutes sortes cherchant à percer les mystères, les signes et références disséminés dans chaque épisode. Les dithyrambes de la critique et du public qui ont rapidement émergé sont amplement méritées tant le soin accordé au scénario (Nic Pizzolatto), à la réalisation (Cary Fukunaga), la photographie (Adam Arkapaw), le jeu d’acteurs permet de capter irrépressiblement l’attention. Pourtant, lorsque l’on s’en tient à son argument de départ, l’enquête de deux inspecteurs de la police d’état de Louisianne, Rust Cohle et Martin Hart, chargés de résoudre le meurtre d’une jeune femme coiffée d’une couronne d’épine et de bois de cerfs, les yeux bandés, attachée face à un arbre en position de prière et tatouée d’un dessin en forme de spirale, difficile de s‘enthousiasmer outre mesure. Mais c’est vraiment dans sa structure l,a tension et la noirceur omniprésentes et la profondeur thématique et philosophique qui se dégage que la série se distingue.

 

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Face à ce meurtre aux allures de rituel satanique, Rust Cohle (grandiose Matthew McConaughey) va creuser son intuition que ce ne sont pas là les prémisses du tueur. Lui et son co-équipier du cru, Marty Hart (Woody Harrelson, tout aussi impressionnant dans un registre plus « terrien ») vont mettre à jour des liens avec d’autres morts, les menant donc sur la trace d’un tueur en série. Une traque rendue difficile par le peu d’indices et de pistes à leur disposition et la volonté de leur hiérarchie de refiler le bébé à la brigade spéciale montée spécialement pour l’occasion par le révérend Tuttle et son oncle sénateur de l’Etat. On va donc balancer entre ésotérisme, sévices rituels et complots mais sans que jamais ces éléments primordiaux et définissant l’ambiance générale ne prennent le pas sur le véritable intérêt de la saison qui va concerner les relations et interactions du duo de flics complètement à l’opposé en terme de mode d’action, de caractères et de caractérisation. Méthodique, perpétuellement sous contrôle et ne se souciant que de l’enquête, Rust Cohle profite de ses insomnies liées au drame de sa vie (sa fille de 2 ans est décédée tragiquement, précipitant l’explosion de son mariage et sa vision de l’existence) pour pousser ses investigations. Il exprime régulièrement son point de vue sur le monde par des soliloques philosophiques foncièrement cyniques et pessimistes au grand dam de Marty Hart vite exaspéré par ce partenaire taciturne exposant ses réflexions qu’il considère condescendantes alors que lui ne recherche qu’une compagnie amicale et chaleureuse pour échanger sur des problèmes plus concrets comme le mariage, les gosses et toutes choses futiles mais divertissantes. Hart est ainsi le total contraire de Cohle, colérique, bon vivant et limitant ses réflexions (professionnelles ou personnelles) aux évidences.

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Defective story
Mais la série déjoue là encore les attentes car leur enquête ne sera pas non plus racontée dans un style buddy-movie. En effet, nous débarquons dans leur vie par l’intermédiaire de deux policiers interrogeant en 2012 et séparément, les deux hommes désormais ex flics et compagnons, afin de déterminer l’envergure de leurs relations et comment ils se sont dépatouillés de cette histoire de serial killer ayant traumatisé la région à l’époque en 1995. Nous allons donc naviguer entre plusieurs temporalités, chacun des six premiers épisodes voguant entre 1995, 2002, période importante qui a vu leur association se déliter et le présent où se réglera finalement toute l’histoire, le tueur ayant visiblement échappé à Rust et Marty puisque ce qui amènera leurs interrogatoires est un meurtre au modus operandi étrangement similaire. Une construction en flashbacks où les images du passé sont commentées en début de séquences par les propos de Rust ou Marty face aux flics les interrogeant et qui seront donc questionnées à l’aune de ce que les ex co-équipiers racontent au présent et ce que nous apprenons d’eux au fur et à mesure que le récit progresse. Une construction aussi alambiquée que la propre enquête des deux hommes et les variations de leurs états d’âme et qui pourtant ne perd jamais le fil de son récit construit en trois actes distincts. Ainsi les trois premiers épisodes s’évertuent à mettre en place tous les motifs et enjeux de cette sordide histoire, les épisodes quatre à six auront trait aux mensonges et manipulations (des deux héros mais pas seulement) et enfin, les épisodes sept et huit qui concluront le voyage de Rust et Marty à la poursuite de ce tueur se dissimulant dans l’Ombre jungienne (cet archétype psychologique défini par Jung). Car au fond, plus que l’identité du maniaque, ce qui importe et fascine le plus dans cette saison inaugurale est le voyage de Rust Cohle et Marty Hart, comment ils évoluent chacun à leur manière en traversant trois époques troubles.

 

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Malgré tout, l’intérêt pour la trame policière demeure car Nic Pizzolatto, le créateur et scénariste, double son exploration envoutante d’un grand jeu de piste autour de ce tueur que l’on baptisera rapidement The Yellow King, en rapport aux écrits du journal intime de la victime Dora Lange. Un terme qui renvoie à un recueil de plusieurs histoires horrifiques datant de 1895 écrit par Robert W. Chambers et intitulé
The King In Yellow qui aura inspiré Stephen King et H.P Lovecraft notamment. Une référence littéraire qui associée aux images intrigantes qu’elle engendre dans la série (l’église calcinée, les pièges étranges pour petits animaux, les soleils jumeaux près du lac, les étoiles noires, etc) enflammera la passion des fans les plus assidus qui se perdront dans des décryptages très poussés des plans les plus significatifs de chaque épisode afin d’y déceler tout ce qui pourrait les mettre sur la voie du tueur (un internaute ira loin dans ses recherches en décortiquant avec talent les cinq premiers épisodes). Une implication participative qui était déjà l’apanage de Lost (poussée à l’extrême dans ce dernier cas par les concepteurs de la série eux-mêmes qui avaient développés vrais faux sites et vidéos annexes en rapport avec des sous-intrigues de la série en cours de diffusion) et qui s’accompagnera d’un délire interprétatif engendrant de multiples théories plus ou moins fumeuses sur l’identité de l’assassin. Dans ce cadre là, Rust et Marty sont des suspects tout à fait crédibles tant le scénario de Pizzolatto et la réalisation de Cary Fukunaga entretiennent à merveille le doute et l’ambigüité de ces flics pas comme les autres.

 

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Fascination
Originaire de La Nouvelle-Orléans, Nic Pizzolatto a un parcours atypique. De formation littéraire, il s’est d’abord fait connaître par ses écrits et notamment le roman Galveston. Avant de devenir la série à succès, True Detective était destiné à devenir son deuxième roman, puis une pièce de théâtre. Mais désirant devenir showrunner, il propose un traitement de son roman qui séduit HBO. L’auteur ayant fait parallèlement ses armes sur un plateau télé en participant à l’écriture des scripts de la version américaine de The Killing (série danoise dont le titre original est Forbrydelsen) pour AMC, on lui donne le feu vert pour développer sa propre création. Une série qui se veut une anthologie, c’est-à-dire que chaque saison proposera une histoire complète. Résultat, c’est peu dire que le novice s’en sort à merveille, parvenant d’abord à attirer deux acteurs du calibre de McConaughey et Harrelson et formalisant une première saison captivante capable d’attirer plus de dix millions de téléspectateurs américains par semaine et s’attirer les louanges des critiques.
La fascination pour cette série tient évidemment dans son histoire et sa manière de la raconter mais la bande sonore et le générique de début sont des éléments primordiaux pour son appréciation. Ainsi, le
Far From Any Road de The Handsome Family qui rythme le générique est une ballade lancinante d’où émerge une ambiance funèbre et gothique qui donne le ton. Le reste des chansons utilisées n’est pas en reste puisque sied remarquablement aux émotions provoquées à chaque épisode (intégralité du juke box de cette première saison sur le site Braindamaged). Et puis bien entendu, le générique, fait de surimpressions donnant parfois à voir de superbes images surréalistes est un fantastique vecteur de l’humeur mortifère, glaciale et étrange qui traverse la saison.

 


Autre élément important de l’attirance pour cette série est le policier Rust Cohle, point central, finalement, autour duquel tout va s’articuler. Calme, débit de parole et démarche au même rythme, lent et déterminé, ses analyses philosophiques singulières de la vie et ses contemporains ébranlent avec justesse notre propre conception du monde et croyances et plus encore celles de son compère, Marty Hart. Mais outre son instinct, Cohle se distingue par une allure et des aptitudes qui ne sont pas sans rappeler un autre genre de détective plus porté sur l’occulte, John Constantine.

 

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Hellblazer
Créé par Alan Moore pour les besoins de ses scénarios du comic-book Swamp Thing, le détective du paranormal John Constantine impressionna tellement qu’il eu droit plus tard à sa propre série baptisée Hellblazer et sur laquelle se succédèrent des scénaristes aussi chevronnés que Garth Ennis, Brian Azzarello ou Peter Miligan. Nonchalant, détaché, tout comme Constantine, rien ne semble pouvoir atteindre Rust Cohle. Et s’il ne maîtrise pas comme lui la magie noire, Rust a développé certaines capacités qui peuvent s’apparenter à des pouvoirs paranormaux : il est frappé de visions (qu’il explique comme étant des relents de sa consommation tous azimuts de toutes sortes de drogues durant ses quatre années d’infiltration dans un gang de trafiquants), il parvient à tirer des confessions dignes d’aveux de la part de suspects et son intuition est parfois incroyablement précise. Porté sur l’alcool et le tabac, il est aussi un antihéros pouvant s’avérer particulièrement désagréable pour son entourage. De plus, la série fricotte avec l’ésotérisme, ce qui accentue encore la parenté, faisant de Cohle une transposition crédible de Constantine à l’écran.
A la lisière du fantastique et du néo polar, la série entretient avec brio l’hésitation entre les deux genres, habillant la vérité de pourtours fantasmagoriques (l’appellation de Roi Jaune, la description du tueur comme un géant au visage lardé de cicatrices ou en forme de spaghetti et aux oreilles vertes – cette dernière renvoyant à nul autre que Chtulhu). Pas de basculement total d’un côté ou de l’autre mais une frontière parfois indéfinie où les monstres qui en surgissent sont horriblement humains. Rendant les horreurs dont ils sont capables d’autant plus traumatisantes. Ainsi, True Detective sera marqué par des images impressionnantes et dérangeantes car impliquant la plus grande trivialité ou la plus pure innocence. Mais celle qui retiendra sans conteste l’attention est celle concluant le premier acte, lorsqu’en voix-off le Rust Cohle de 2012 déclame que chaque rêve contient à la fin son propre monstre et qu’apparaît le suspect numéro un traversant l’écran en slip, un masque à gaz sur le visage et une machette à la main.

 

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A partir de cette limite, le reste du texte contient de nombreuses révélations sur les tenants et aboutissants de cette première saison. Si vous n’avez vu aucun épisode ou n’avez pas encore terminé le visionnage intégral, vous devriez , pour le moment, passez votre chemin.
Autrement dit, SPOILERS !

 


Les hommes qui n’aimaient pas les femmes
L’obsession de Rust Cohle pour cette affaire sera continuellement relancée alors que l’on pensait qu’elle était dans une impasse ou carrément résolue en 1995 peu après l’exécution de Régie Ledoux, principal suspect abattu sur un coup de sang par Marty après avoir investi sa plaque perdue dans les marais et découvert deux gosses en sale état dans sa remise. Quittant la police, il n’en abandonnera pas pour autant ses recherches qui le mèneront à des dissimulations ou omissions faites par des membres de la police et sur la trace du révérend Tuttle et des écoles de sa congrégation fondées dans le but de lutter contre l’échec scolaire en milieu rural et proposées comme alternative à l’enseignement classique dans lesquelles se passaient des choses pas très catholiques justement. Une ampleur inédite et inattendue puisque impliquant des hautes sphères de la région prenant part à des cérémonies occultes où ils s’adonnent à des sévices sexuels rituels sur de jeunes enfants, pour la plupart des filles. C’est en farfouillant dans une des propriétés de Tutlle qu’il découvre dans un coffre une vidéo compromettante montrant un groupe d’homme encapuchonnés se rendre coupable de telles ignominies sur une gamine entravée à même le sol. Aboutissement de la persévérance et des recherches de Cohle (les dernières sont pour la plupart laissées dans le hors-champ par l’utilisation d’ellipses) qui est arrivé à recoller tous les morceaux épars retrouvés au long de son enquête pour parvenir à ces terribles images qu’il montrera à Marty dans l’épisode 7 afin de le convaincre de retourner dans l’arène à ses côtés.
Rust en est arrivé à la conclusion que ces personnes filmées sont parmi les plus influentes de la région, représentants du pouvoir religieux, politique et policier. Autant dire que cela va plutôt être compliqué pour les incriminer.
D’autant que le Mal qui opère ici est plus insidieux, plus dévastateur que la menace et les dommages physiques causés par le serial killer, King in yellow, géant défiguré ou quelquesoit sa dénomination. Des termes qui en tout cas permettent de définir les contours d’un Mal archétypal insaisissable ayant trait à à la domination patriarcale et la violence faite aux femmes.

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Marty et Rust se confrontent à cette engeance sur deux plans différents et parfaitement complémentaires. C’est aussi (et surtout ?) pour cela que leur duo au premier abord dysfonctionnel car exhortant leurs différences intrinsèques (rapport à l’existence, la morale, la vie privée) fonctionne si bien. Les apartés métaphysiques et tourmentés de Rust lui permettent d’aborder la dimension métaphorique, informe, de ce Mal aussi vieux que la bayou qui constitue le lieu d’action (les plans presque contemplatifs sur ces étendues marécageuses sont significatifs et permettent d’instiller ce lien inconscient car ils sont insérés chaque fois que les deux détectives touchent figurativement du doigt les ramifications impliquant directement le tueur et sa nature). Marty Hart, lui, est confronté plus directement et physiquement à la malignité qui règne et dont le Roi Jaune en est l’émanation. Il est ainsi quasiment gouvernés par ses pulsions et trompe sa femme – et quelquepart se ment à lui-même en justifiant ses écarts par la nécessité pour un agent des forces de l’Ordre de décompresser hors du cocon familial pour justement être plus présent et attentif pour sa famille lorsqu’il rentre au bercail – et surtout voit cette perversion insigne s’immiscer au sein même de son foyer par le biais du comportement troublant et déviant de l’aînée de ses deux filles, Audrey. Et qu’il refuse inconsciemment de considérer autrement que comme un dérèglement passager.

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Abîmes d’aveuglement

C’est au travers de ce délitement abordé sans fard et avec une certaine pudeur que la saison exprime le mieux la justesse et la subtilité de sa narration. En effet, ce qu’elle a pu endurer entraîne des conséquences qui seront abordées sur les trois périodes de cette longue affaire qui structurent la saison (
flashbacks de 1995 et 2002, présent de 2012) et progresser en intensité. Même si cela demeure en filigrane, ce n’est pas un détail insignifiant.
Dès le premier épisode, lors d’une
a priori innocente scène de la vie familiale de Marty, ce dernier va jusqu’à l achambre de ses filles pour leur dire que l’heure du diner a sonné. Après qu’elles aient quitté la chambre, il jette un coup d’oeil et voit une étrange scène reproduite avec des figurines : une poupée nue allongée sur le dos, un personnage masculin à califourchon dans une posture explicite et le « couple » entouré de quatre autres figurines masculines. Il s’en dégage une impression dérangeante, d’autant plus que cela se matérialise au sein d’une cellule familiale équilibrée. Hart n’en parlera pas à Maggie sa femme, comme s’il n’y avait prêté qu’une attention fugace et jugé ce spectacle inoffensif bien que bizarre pour émaner d’une gamine. Cette image s’imprègnera d’autant plus dans la mémoire que par la suite, le récit révèlera les horreurs se déroulant au sein de certaines école sdu programme éducatif du révérend Tutlle. Ce ne sera jamais abordé, mais on a tôt fait de déduire qu’Audrey, en 1995, avait l’âge pour avoir fréquenté un de ces établissements noyautant la région avant qu’ils ne ferment quelques années plus tôt. Dans l’épisode 3, leur routine familiale est perturbée par les dessins obscènes qu’elle a produit sur tout un cahier, entraînant explications compréhensives, pleurs et câlin rassurant des parents à leur fille. Seule Maggie semble véritablement s’inquiéter car pour Marty c’est une affaire réglée. Puis l’on aborde 2002, la période charnière pour Rust et Marty car marquera leur séparation, leur duo étant de plus en plus instable malgré la résolution de l’affaire Ledoux il y a sept ans. Parmi les évènements perturbant pour Marty, celui impliquant sa fille Audrey désormais âgée de seize ans qui a été retrouvée dans une voiture en compagnie de deux jeunes hommes de dix-neuf ans avec lesquels elle s’amusait de manière délurée et débridée. Après une explication avec elle, Marty se charge de régler le problème en corrigeant les deux garçons retenus au poste. Un aveuglement total aux actions de sa fille, ne les questionnant même pas à l’aune de tout ce qu’il a pu voir par le passé ou apprendre dans son enquête avec Rust.

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Le percepteur

Ce déni tragique explosera de manière dramatique en 2012 lorsque Cohle, revenu dans les environs reprendre ses investigations, renoue avec son ex co-équipier. Pour le convaincre que tout n’est pas bouclé, il lui montre le snuff movie découvert chez Tuttle. On ne verra que quelques secondes soft mais on devine l’horreur qui défile à la posture de Cohle en arrière-plan, tournant le dos à l’écran (on apprendra peu après qu’il a visionné l’intégralité de ces atrocités) et à la réaction épidermique de Marty criant d’effroi plusieurs fois et de plus en plus fort « Non ! ». Une forme négative exprimant le déni dans lequel il s’était enfermé et qui face à cette vidéo vole en éclats. Car même si ce n’est pas explicitement montré par le biais d’un montage insérant des images de son passé, au vu de sa réaction et des plans concernant sa fille qui reviennent à l’esprit du téléspectateur attentif, on suppose fortement qu’il fait enfin le rapprochement. Cette confrontation à une violence jamais vraiment appréhendée jusqu’ici dans toute son abjection agit comme une révélation.
Dans une récente interview pour le site hitfix, Nic Pizzolatto dit à propos de sa série : « Cohle tells you that who you think you are, your identity, is a story you tell yourself. He tells us that religion and philosophy are stories we tell ourselves. Cohle describes them as cathartic narratives, but in confession he’s so good at getting confessions from suspects because he gives them room to create a cathartic narrative. » Dans le même paragraphe réponse il rajoute : « So if there was one overarching theme to « True Detective, » I would say it was that as human beings, we are nothing but the stories we live and die by — so you’d better be careful what stories you tell yourself. »
Ne plus se raconter d’histoires, telle est la voie sur laquelle Rust Cohle a pour fonction d’emmener ceux qu’il côtoie ou interroge.
Baptisé par ses collègues le percepteur (the tax keeper en V.O) à cause de sa manie de tout consigner sur un grand cahier, Rust Cohle s’avère être un incroyable confesseur, soutirant les aveux des coupables présumés. Mais plus que leurs confessions, il les amène à faire face à leurs responsabilités en les décloisonnant du déni qu’ils s’imposaient. Comme si par ses paroles calmes et rassurantes il percevait sa dime métaphorique. Avec Marty, il agit de la sorte mais en ayant recours à un traitement plus brutal.
Débarrassé de ce voile qui obscurcissait sa vue, Hart accède ainsi à une nouvelle condition.

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True detective

Un true detective c’est au fond quelqu’un qui refuse de fermer les yeux. Désormais, Marty peut être enfin considéré comme tel. Le titre même de la série peut être ainsi interprété comme un terme désignant, une condition, un état de conscience pour être capable de mettre à jour, éprouver, la vérité. Comme l’exprimait Cohle, lui-même ne ferme pas les yeux et il parviendra donc à transfigurer Marty. Mais pour autant, la propre transformation de Rust n’est pas achevée.
Comme il l’explique aux enquêteurs médusés l’interrogeant ou lors de ses discussions existentielles avec Marty au début de leur collaboration, le temps est un cercle, au long de sa vie et de ses probables réincarnations, on demeure condamné à répéter les mêmes choix, les mêmes erreurs. Une théorie que cette saison illustre magistralement dans sa narration au travers du parcours de des flics. Rust collectant toutes les informations possibles et s’enfonçant dans ses investigations jusqu’à se couper un peu plus que d’ordinaire des autres. Marty reproduit le même engrenage dans lequel il finit par être balancé par sa femme arpès qu’il l’ait trompée avec une version de plus en plus jeune d’elle. Un cercle, une boucle qui se voit visuellement formalisé à maintes reprises dans la série avec répétitions de gestes ou attitudes et surtout par le biais du remarquable plan-séquence concluant l’épisode 4 où l’on voit Cohle agir en parcourant au final un cercle. Une réalisation bluffante dont la précision et la tension impressionnent durablement et illustrent l’accélération d’un rythme languissant. Mais pas seulement.
Que ce plan ébouriffant voit sa continuité s’achever lorsque Marty débarque en voiture récupérer Rust et le biker pouvant les mener à Regie Ledoux est particulièrement signifiant et traduit la logique interne et la profondeur du récit. On nous montre par l’image de quelle manière la « malédiction » à l’oeuvre pourra se résoudre : empêtré, enferré dans une boucle se reproduisant perpétuellement, Rust Cohle ne pourra la neutraliser, en sortir, que grâce à l’aide de Marty Hart.

 


Cercles
Cela permet d’instaurer une perspective supplémentaire, plus dramatique cette fois, sur les interrogatoires dans le présent de Rust et Marty dont on ressent de plus en plus le poids de la séparation. Ce qui permet de crédibiliser et renforcer la dimension tragique de leur affrontement fracassant en 2002 où les deux collègues s’empoignent à cause de la femme de Marty. Ou plut^to du désir qu’elle suscite chez eux et qu’elle utilise pour se venger de la trahison affective dont elle a fait l’objet, à répétition, de la part de son mari. Bafouée, maltraitée, violentée sous divers aspects depuis le début de la saison, la Femme, par l’intermédiaire de Maggie, prend sa revanche. Cela advient de façon cruellement ironique car emportant le duo ayant œuvré à la « réparation » d’un horrible préjudice et pouvant agir pour mettre fin aux agissements du Roi Jaune qui sévit toujours en 2012.
L’appréhension du meurtrier ne sera possible qu’en parvenant à atteindre le territoire ténébreux et presque mythologique de Carcosa. Un lieu dont il fait référence à plusieurs reprises tout au long de la saison sans que sa localisation ne soit définie. Rust et Marty ne pourront trouver Carcosa que lorsqu’ils auront transformé le motif du cercle en spirale, autrement dit, lorsqu’ils seront parvenu à ouvrir la boucle infernale dans laquelle ils sont emprisonnés.
A l’approche de l’église macabre découverte en fin d’épisode 2, Rust observe l’étrange mouvement d’une nuée d’oiseaux qui en s’envolant finissent par tourbillonner pour former distinctement la spirale vue sur le dos de la malheureuse Dora Lange. Une vision supplémentaire de Rust qui nous est donné à voir. Et pour lui un indice capital sur la finalité à atteindre.

 

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Contre initiation
Passer du cercle, motif fermé, à la spirale, motif ouvert reproduit à plusieurs reprises dans la saison en tant que marque maléfique, va donc impliquer que Rust et Marty plongent dans la noirceur. Si Rust la côtoie quotidiennement, il n’en va pas de même pour Marty. Il y est enfin préparé après le visionnage des terribles images de la VHS, opération que l’on peut considérer comme l’ultime initiation de Rust envers son seul véritable ami. Il serait même plus juste parler de contre-initiation étant donné l’ampleur du choc infligé à Marrty prenant conscience du cauchemar dans lequel il a finalement toujours vécu.
Pour Rust qui connait les tréfonds de l’âme humaine et la sienne en priorité (en guise de glace dans son appartement spartiate, un miroir minuscule permettant à peine de voir s’y refléter son regard – les yeux ne sont-ils pas le miroir de l’âme ?), cela passera par un changement d’attitude, une main tendue à son ex partenaire en fin de deuxième acte (épisode 6), une sincère sollicitude montrée lorsqu’il s’enquiert pour la première fois de la vie familiale et privée de Marty qu’il avait jusque là toujours écarté. Une ouverture qui lui permet d’atténuer le cauchemar dans lequel il a toujours vécu.

 

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En 2002, au paroxysme de leur association, Rust avait renvoyé à Marty que ce dernier n’était rien sans lui (tandis qu’il faisait avouer les suspects, son collègue tapait les rapports et récoltait la gloire). Dix ans plus tard, Cohle admet à demi-mot qu’il ne peut et n’est rien sans sans Hart (patronyme se rapprochant de « heart », cœur en français). C’est à ce prix, et en explorant un autre angle d’approche dû au « nouveau » Marty qu’ils pourront évoluer en Carcosa, lieu à forte connotation métaphorique tant ce labyrinthe de branchages et racines entremêlées semblent refléter l’état mental torturé de ceux qui l’arpentent.

 

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C’est d’ailleurs au centre de cet endroit presque hors du temps, guidé par la voix du tueur aux cicatrices que Rust sera assailli par une ultime vision, celle d’un vortex de forme spiralique, mettant un terme à son périple physique. Mortellement blessé, il faudra l’intervention de Marty pour le sauver.
Le terme du voyage psychique de Rust aura lieu plusieurs semaines après. Les deux hommes se retrouvent à l’hôpital et lors d’une dernière séquence sous la voûte étoilée du ciel, Rust Cohle se livre enfin à son ami Marty Hart, exprimant ce qu’il a ressenti au plus profond alors qu’il était prêt de mourir et passer de l’autre côté rejoindre sa défunte fille. Une sensation qui a ébranlé ses convictions au point de considérer le monde et son combat contre les ténèbres avec une salvatrice dose d’optimisme. Comme il y fut invité à multiples reprises dans la saison, Rust Cohle a ôté son masque.
Une vulnérabilité bouleversante enfin achevée et qui fait toute la force et la magie de cette série.


Nicolas Zugasti

 

True Detective – saison 1
Créateur : Nic Pizzolatto

Scénario: Nic Pizzolatto
Réalisation : Cary Fukunaga
Compositeur : T. Bone Burnett
Interprètes: Michelle Monaghan, Matthew McConaughey, Woody Harrelson, Michael Potts, Tery Kittles…
Photographie : Adam Arkapaw
Montage : Affonso Gonçalves, Alex Hall, Meg Reticker
Origine: Etats-Unis
Durée : 8 épisodes d’1 heure
Diffusion : sur HBO et OCS du 12 janvier au 10 mars 2014

 

2 réflexions sur “Saison 1 de « True Detective » : La ballade sauvage

  1. Ave mister Z. Excellent article d’une excellente série durant laquelle j’ai souvent penser à James Lee Burke et pas seulement pour les situations géographiques mais aussi pour une certaine caractérisation des personnages, ce qui induit une petite critique de ma part : je suis un peu lassé de ces perso psycho rigide traumatisés par un drame et qui se définissent en partie par un rapport de force en partie physique avec autrui (je pense notamment à la confrontation entre les deux gugusses dans le vestiaire). Mais c’est surement parce que j’ai vu trop de films et lu trop de livres.

    • Merci mister El Paso.
      Ceci dit, concernant Rust Cohle, ce qui est intéressant est qu’il soit défini par ce qu’il a expérimenté après le drame fondateur, son exploration des ténèbres, son détachement des rapports humains traditionnels, entraînant sa philosophie particulière de la vie…
      En tout cas, l’opposition de caractère avec son partenaire propose une alchimie intéressante assez éloigné des canons du buddymovie.
      Quant à James Lee Burke, considérant les origines littéraires de Nic Pizzolatto le showrunner, ce ne serait pas étonnant qu’il ait été influencé par ses polars.
      N.Z

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