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Après le remarquable Les Fils de l’homme en 2006, Alfonso Cuaron aura pris son temps pour revenir sur le grand écran. Et l’attente fut grandement récompensée par l’incroyable grand-huit sensitif qu’est Gravity. S’il a passé plus de quatre années à confectionner ce film, c’est tout simplement parce qu’il lui aura fallu inventer de nouveaux outils technologiques pour raconter l’histoire que lui et son fils Jonas, co-scénariste, avaient en tête. Gravity est ainsi un véritable retentissement technique au service du récit autant qu’une incroyable expérience émotionnelle servie par une narration implacable, ces éléments étant indissociables pour parvenir à un résultat aussi grandiose.
Sans rentrer trop dans les détails des outils confectionnés (pour cela, voir cette interview de Tim Webber le responsable des effets spéciaux), le film développe un peu plus le principe de cinéma virtuel apparu avec les films de Zemeckis Le Pôle Express et Beowulf, Monster House de Gil Kenan et popularisé et amélioré par Avatar et Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne (pour les exemples les plus flagrants). La performance capture en étant un des constituant (mettant vraiment l’acteur au centre du processus puisque son jeu, sa performance est capturée intégralement, sans coupe) majeur et le plus médiatisé. Le cinéma virtuel donc, par la création entièrement numérique d’un environnement, d’un décor, d’un écosystème dans lesquels seront placées les performances des acteurs, permet de dématérialiser la caméra qui se voit ainsi libérée des contraintes physiques et logistiques d’un tournage classique (possibilités quasiment infinies de choisir les angles de prises de vues, les mouvements d’appareils, de modifier le point de vue, etc). Gravity est d’autant plus impressionnant qu’il développe cette méthodologie pour formaliser un espace réaliste pour nous y plonger avec force. Nous avons ainsi l’impression de flotter, de dériver en compagnie du docteur Ryan Stone (Sandra Bullock) et de Kowalski (George Clooney). Et cette immersion totale n’est pas exclusivement le fait de la 3D ou des systèmes IMAX pour l’image et ATMOS pour le son mais elle est permise avec une réelle puissance grâce à la mise en scène de Cuaron, sa vision de réalisateur.

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Le film débute par un plan-séquence de près de dix sept minutes dont la virtuosité s’efface derrière l’efficacité narrative ainsi déployée. Autrement dit, il n’est pas question d’esbroufe visuelle mais bien de faire entrer progressivement le spectateur dans le film en l’habituant à ces nouvelles conditions de déplacements dans cet environnement sans gravité. Premièrement, le plan débute sur la vue de la Terre couvrant une bonne moitié du cadre, vers laquelle se déplace la navette américaine et la première voix que l’on entend est celle de Stone, le mexicain installant d’emblée les éléments principaux qui seront au cœur des enjeux à venir. La caméra suit à rebours le déplacement orbital pour finalement adopter la façon de se mouvoir des personnages à l’écran. La caméra arrive ainsi sur Kowalski s’amusant avec son jet-pack et sera entraînée dans son sillage pour passer de l’un à l’autre (Stone harnachée pour effectuer ses réparations), toujours avec fluidité et calme, comme la façon de s’exprimer de ses astronautes. Les anecdotes de Kowalski raffermissant la proximité, la familiarité avec les personnages.
Une séquence qui permet également de se rendre compte de la difficulté d’opérer dans le vide stellaire des gestes aussi banals que saisir un écrou ou changer un circuit. Nous voilà paisiblement installé parmi eux, jouissant du spectacle magnifique des lumières et reflets de la Terre (l’occasion ici de saluer le magnifique travail photographique d’Emmanuel Lubezki). Et puis l’annonce par Houston que les débris d’un satellite russe se dirigent droit vers eux éveille soudainement la vigilance avant que le rythme cardiaque ne commence à s’emballer lorsque les premières salves les atteignent, détruisant la navette et projetant au loin, dans le vide spatial et abyssal, Ryan Stone.
A partir de cet instant, nous resterons constamment arrimés à elle, la caméra accentuant un peu plus cette forme de symbiose en opérant un déplacement physique impossible en pénétrant dans son casque pour ressentir viscéralement sa panique (souffle court et regard apeuré). Voilà comment Cuaron parvient à parfaitement nous conditionner pour l’expérience suffocante qui va suivre où la cosmonaute devra rejoindre la station russe puis chinoise pour espérer pouvoir repartir vers la Terre en embarquant dans une navette à peu près en fonction.
Le film est ainsi un formidable survival, un huis-clos à l’air libre (outre le confinement dans les stations ou capsules, les cadres en extérieurs vont se réduire) où les péripéties vont s’enchaîner et mettre à rude épreuve aussi bien l’héroïne que le spectateur (jamais la tentative de saisir le moindre panneau ou barreau d’échelle pour stopper sa chute dans le vide n’aura générée une tension aussi extrême). Mais ce rollercoaster infernal ne saurait être aussi prenant et passionnant s’il n’était pas rehaussé par la détresse émotionnelle de Stone qui révèle une angoisse métaphysique : pourquoi s’échiner à survivre quand plus rien ne l’attend sur la terre ferme, comment redonner un sens à sa vie lorsque l’on est aussi perdue (et pas seulement dans l’espace). Soit apprendre à lâcher prise ce qui empêche d’avancer, accepter de vivre. Pour s’en sortir, il faut que renaisse l’espoir chez Ryan Stone.

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Au contraire de Théo dans Les Fils de l’homme qui se demandait dès le début du film en voix-off quand est-ce qu’il avait commencé à perdre espoir et plus globalement le monde entier, Ryan Stone connaît parfaitement le moment qui l’a plongé dans un profond désespoir au point d’accepter cette mission dans l’espace. Dans le précédent long métrage de Cuaron, cet espoir était incarné par la naissance naturelle d’un enfant. Il en sera pratiquement de même ici sauf que cet espoir, cette foi, ne sera pas extérieur mais proviendra de soi. Pas un hasard si Stone adopte la position fœtale après avoir atteint la station russe, formant ainsi une image sublime hautement symbolique traduisant aussi bien son apaisement passager (elle peut de nouveau respirer régulièrement) que la nécessaire transformation qu’elle devra subir pour s’en sortir. Une allégorie renforcée par ces plans sur le cordon (ombilical) permettant à Kowalski de tracter Stone, un lien fragile prêt à se briser à la première avarie. Pour renaître, Stone devra puiser en elle la volonté d’avancer, tout ce qui suit la destruction inaugurale de la navette tend vers cela. La séquence finale étant le point d’orgue de ce parcours initiatique intimement partagé, où l’on retrouve l’eau et la boue primordiales pour une évolution accélérée et aboutir à un plan final en contre-plongée de toute beauté célébrant une vie retrouvée.

Nicolas Zugasti

GRAVITY
Réalisation : Alfonso Cuaron
Scénario : Jonas & Alfonso Cuaron
Photo : Emmanuel Lubezki
Montage : Alfonso Cuaron
Interprètes : Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris…
Musique : Steven Price
Durée : 1H30
Sortie française : 23 octobre 2013

2 réflexions sur “« Gravity » d’Alfonso Cuaron : Le grand saut

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