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Deux ans d’attente fébrile, savamment entretenues par le savoir faire des gars du département marketing de chez Warner, ont pris fin le 14 mai dernier avec le débarquement sur les écrans de la nouvelle itération cinématographique de Godzilla. Une nouvelle tentative d’occidentalisation d’un classique du cinéma japonais, seize ans après le désastre Emmerichien qui ravalait la figure du roi des monstres au triste statut d’ersatz de Jurassic Park.
Les craintes étaient grandes, mais il y a avait cependant deux raisons de garder espoir quant au produit fini. En premier lieu, la volonté affichée de Legendary Pictures de respecter l’image de Godzilla, ainsi que son héritage. Né du traumatisme des attaques atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, Godzilla porte en lui un message implicite sur les dangers de l’atome et, plus largement, sur l’irresponsabilité des hommes qui créent les pires horreurs sans en anticiper les conséquences. Ensuite, la présence derrière la caméra de Gareth Edwards. Ce dernier n’avait réalisé alors qu’un seul long-métrage, Monsters, produit pour environs 200 000 dollars et qui traitait déjà, avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité, de la présence de grosses créatures destructrices débarquées sur notre belle planète par accident. Une œuvre étonnante qui l’amena donc aux commandes d’un blockbuster de 160 millions de dollars. Une belle et fulgurante évolution de carrière.

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Le premier teaser, le fameux « Halo jump », intrigue. Puis les bandes annonces commencent à nous faire baver, dévoilant l’histoire et, surtout, la star principale avec un sens consommé du suspens. La Warner nous vend son film, elle le fait bien, et nul doute que l’efficacité de sa campagne de communication sera longtemps vue comme un modèle du genre. Une campagne qui nous promet le film de monstre ultime, celui qui renverra les Bayeries transformeuses dans l’oubli des navets calibrés, et livrera enfin aux cinéphiles le premier grand kaiju-ega sérieux depuis le film de Honda, soixante ans auparavant.

Hélas….

Hélas, le spectateur, tout émoustillé dans son fauteuil, comprend bien vite à la vision du produit fini qu’il s’est fait flouer par des marketeux décidément bien inspirés.

15 ans après avoir causé la destruction d’une centrale nucléaire sur les côtes japonaises, un monstre antédiluvien émerge de son cocon et part à la recherche de sa femelle, mise sous séquestre par le gouvernement dans le désert du Nevada. Mais les retrouvailles s’annoncent difficiles puisque Godzilla, aux aguets, est bien décidé à ne pas laisser les deux tourtereaux se reproduire.

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Voici, en gros, le scénario du film qui tient sur un timbre poste et aligne les personnages sans jamais chercher à les approfondir. Si Bryan Cranston s’en sort haut la main dans le rôle du père ravagé par la perte de sa femme, en quête de vérité, Aaron Taylor-Johnson (dont le manque de charisme dénote une véritable erreur de casting) et les autres font le minimum syndical, imposé par un cahier des charges qui, il faut le reconnaître, ne les aide pas beaucoup. Les personnages sont des archétypes qui n’arrivent jamais vraiment à exister par eux-même, à acquérir une nouvelle dimension. Elisabeth Olsen est mignonne à croquer, David Strathairn est l’amiral rugueux et droit, Ken Watanabe le scientifique éclairé et sage. Tous sont bons mais donnent cette impression constante que, cantonnés par le scénario au minimum, ils n’essaient même pas. Les personnages sont là pour suivre des lignes narratives mille fois rebattues (la famille comme but à atteindre pour le héros, la population à sauver pour les militaires…) sans jamais qu’aucune d’entre elle ne représente un véritable enjeux dramatique susceptible de produire de l’empathie entre eux et le spectateur.

Sauf que…

Sauf que cet état de fait rendrait le film insupportable si le réalisateur, indéniablement doué, ne construisait tout son film sur ce simple constat : l’humain ne compte pas. Minuscule, son Histoire, ses créations, ne sont que des traces de son inconséquence au regard du combat de titans qui s’annonce tout au long du métrage.

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Car ici les monstres ne fondent pas sur l’humanité pour l’éradiquer. Cette dernière se retrouve tout simplement sur le chemin de créatures qui ne semblent même pas la voir. Les monstres ne se soucient pas de l’Homme, et les nombreuses destructions spectaculaires qui parsèment le film, majoritairement placées dans son dernier acte, ne sont pas tant une volonté des kaijus surdimensionnés qu’une conséquence toute bête de leur gigantisme. C’est ce qui fait la grande force du film et le tire irrémédiablement vers le haut. Au milieu du champ de bataille, les hommes se démènent mais ne peuvent qu’être des témoins impuissants, quand ils ne prennent pas les pires décisions au nom du bien commun.
Edwards a une vision du genre moins tape à l’oeil que Del Toro dans Pacific Rim. Il filme à hauteur d’homme (la première créature vue à travers un masque à gaz, Godzilla qui envahit le champ de la caméra par morceau avant de se révéler totalement) et aborde son travail avec un sérieux inébranlable, en ligne directe avec le film de 1954, le sombre pessimisme en moins.

Si Godzilla peut être vu comme une force du bien face à la menace posée par ses deux adversaires, il n’est pas pour autant l’ami des enfants comme au temps des pires productions de la Toho. Edwards traite sa star comme un émule de Snake Plisken : un type pas facile avec une mission et qui ne laissera rien ni personne l’empêcher de la mener à bien. D’ailleurs, si la volonté de Godzilla n’est jamais explicitée, seulement vaguement supposée par le docteur Serizawa (autre référence à l’oeuvre originelle), la construction de cette nouvelle version n’est pas sans renvoyer au Godzilla vs Hedorah de Yoshimitsu Banno (1971), où le roi pourchassait de sa propre initiative un monstre né de la pollution.

La comparaison pourrait tenir de la coïncidence si le reste du métrage ne respirait l’amour du genre : de nombreux plans renvoient immanquablement au travail d’Eiji Tsubaraya, et si les effets numériques ont remplacé les modèles réduits et les maquettes en ciment des films japonais, perdant en poésie ce qu’il gagnent en réalisme, l’ombre du maître des effets spéciaux plane sur les deux heures de projection. L’émotion même n’est pas totalement absente, notamment dans ce plan des deux monstres se retrouvant enfin et partageant un inattendu geste de tendresse (auto-citation assumée d’Edwards renvoyant le spectateur à l’une des plus belles séquences de Monsters).

Bâti comme un film à part entière de la série, Godzilla assoit le roi des monstres sur son trône et s’affirme comme l’un des meilleurs blockbusters vus depuis longtemps. En espérant que, maintenant que les présentations ont été faites dans les règles, la séquelle déjà annoncée ne se contente pas de surfer sur la vague, et qu’après avoir si bien su définir les monstres, les producteurs osent enfin se concentrer sur les hommes.

Julien Taillard

GODZILLA
Réalisation : Gareth Edwards
Scénario : Max Borenstein & Dave Callaham
Interprètes : Bryan Cranston, Aaron Taylor-Johnson, Elisabeth Olsen, Ken Watanabe, Sally Hawkins, Juliette Binoche, David Strathairn et Godzilla !
Photo : Seamus McGarvey
Montage : Bob Ducsay
Musique : Alexandre Desplat
Pays : Etats-Unis/Japon
Durée : 2 heures 03
Sortie française : 14 mai 2014

 

 

Une réflexion sur “« Godzilla »de Gareth Edwards : Lézard et la manière

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