La cinématographie venue de Corée du Sud est sans aucune contestation possible l’une des plus dynamiques et des plus excitantes du monde et, en permanence, de nouveaux films viennent nous convaincre de cette évidence. Pourtant, depuis quelques temps, l’inquiétude semblait de mise. En effet, la plupart des chefs de file de ce cinéma, qui ont imposé leur savoir-faire tout au long de la décennie passée, ont déserté leur pays natal afin de répondre à des demandes de plus en plus fortes de producteurs étrangers. Ainsi, Park Chan-wook (Stoker), Kim Jee-woon (Le Dernier rempart) voire Bong Joon-ho (Snowpiercer) ont, entre autres, quittés l’Asie afin de répondre, avec plus ou moins de réussite, aux sirènes des productions internationales. Mais, comme si le réservoir semblait inépuisable, il n’arrive pratiquement pas un trimestre sans qu’un ou plusieurs films coréens viennent épater le spectateur lambda.
Comme de nombreuses sociétés qui découvrent un semblant de démocratie après la répression d’un système totalitaire, la société coréenne est violente. Mais la violence vient-elle des organisations mafieuses, des instances policières ou bien encore des industries capitalistes qui obligent les plus pauvres à survivre ? Au cours des dix-douze dernières années de nombreux films de genre coréens seront venus tenter de répondre à ces interrogations. Toutefois, malgré la cote d’amour dont jouit ce cinéma très particulier, il arrive encore trop souvent quelques injustices. Ainsi, on ne pourra qu’être surpris voir énervés, de la sortie de deux films inédits coréens, pourtant tout à fait exploitable en salle, directement en vidéo.
Costard sur mesure, chemise, cravate et attaché-case : Hyeong Do ressemble à un salarié classique d’une entreprise banale. Mais Hyeong Do est un tueur à gages et son entreprise, une organisation mafieuse. Un jour, celui que l’on considère comme le meilleur employé décide de changer de vie. Mais rien ne sera simple..
Même s’il ne révolutionne pas le genre et n’atteint pas les sommets poétiques de certaines œuvres, A Company Man de Lim Sang-yoon n’en reste pas moins un divertissement brillant, parfaitement mis en scène et dans son genre, une réussite. Porté par des scènes d’action parfaitement chorégraphiées et des acteurs convaincants (avec en tête un So Ji Seob qui mériterait enfin de voir sa carrière cinématographique décoller) ce film sorti discrètement en DVD récemment possède un scénario habile mais effrayant. En partant du postulat simple qu’il semble impossible de quitter un emploi en cette période de crise mondiale, aussi bien dans une organisation criminelle que dans une entreprise, ce long-métrage dresse un parallèle terrifiant entre deux mondes que pourtant tout semble éloigner. Remplissant allégrement le cahier des charges de l’excellente série B (en intégrant, notamment, aux scènes d’actions son lot de critique sociale et plus particulièrement une charge sur la société capitaliste actuelle), A Company Man est incontestablement un film à découvrir.
Sorti pareillement il y a peu en DVD, New World est également un film de gangsters, dans la droite lignée des grands films asiatiques qui ont envahi, ces dernières années, les différents festivals de part le monde et impressionné les cinéphiles.
Suite au décès (accidentel ?) du patron de la plus importante organisation criminelle de la Corée du Sud, une bataille de succession fait rage entre deux des aspirants au titre. Afin de surveiller et de contrôler cette transition, la police met en place l’opération “New World” et fait appel pour cela à Lee Ja-sung, un officier infiltré depuis de nombreuses années dans le syndicat. Mais ce dernier, infiltré depuis tant d’années, est-il dévoué à la police ou à son organisation ?
Croisement fantasmé entre Infernal Affairs de Alan Mak et Election de Johnnie To, New World est un film remarquable, au scénario dense et à la mise en scène élégante et brillante. Plastiquement superbe, visuellement impressionnant, le long-métrage de Park Hoon-Jung est sans conteste l’un des meilleurs films vu cette année et pose des questions sur son absence de sortie en salle. Prix du jury au dernier festival policier de Beaune, New World est le deuxième film de son jeune réalisateur. Formé à bonne école (il a tout de même été l’assistant de Kim Jee-Woon sur J’ai rencontré le diable) Park Hoon-jung applique scrupuleusement toutes les recettes de ses maîtres pour narrer efficacement et de manière parfaitement fluide, cette partie d’échec (ou de go !) tripartite. Mais attention : ce qui intéresse le réalisateur dans cette histoire d’organisation décapitée se cherchant un leader n’est pas uniquement la lutte sanglante que vont s’imposer les deux clans ennemis sous le regard moqueur et un brin complice de la police coréenne mais également le destin individuel d’un être tiraillé de toutes parts. Car ce qui passionne également le cinéaste ce sont les interrogations de l’infiltré, de ce policier, pion important et pivot d’un jeu qui le dépasse, sensé véhiculer les idéaux de la Nation mais dont le doute devant la situation pesante imposée par ses supérieurs devient, au fil de l’histoire, de plus en plus important. Obnubilé par les états d’âmes de son personnage principal, posant de nombreuses interrogations sur le déterminisme, Park Hoon-jung délivre un film d’action poétique au suspense prenant où il rend hommage à ses brillants ainés. Alternant scènes d’action sauvages, filmées caméra à l’épaule, et plans séquences plus intimistes, la mise en scène transcende ce polar aux décors millimétrés, imprégné de tout un pan du cinéma d’action asiatique mais également des films de mafia hollywoodien des années 70/80. Et on est heureux d’y retrouver, au milieu de comédiens brillants, Choi Min-sik, le mangeur de poulpe cru de Old Boy et le tueur dérangé de J’ai rencontré le diable, passerelle vivante entre le cinéma coréen de genre du début des années 2000, portée par Park Chan-wook, et la nouvelle génération d’auteur dont est issue Park Hoon-jung, qui annonce au pays du matin calme, et malgré un exode de plus en plus important de ses valeurs sures, un avenir des plus radieux.
Fabrice Simon
A Company Man (Hoi-sa-won)
Réalisation : Im Sang Yun
Scénario : Im Sang Yun
Photo : Lee Hyoung-Duk
Interprètes : So Ji-seob, Lee Mi-yeon, Kwak Do-won…..
Musique : Lee Seong Heon
Durée : 1h36
Sortie française : 23 octobre 2013 en DVD
Éditeur : France Télévisions Distribution
New World (Sin-se-gae)
Réalisation : Park Hoon-jung
Scénario : Park Hoon-jung
Photo : Chung Chung-Hoon
Montage : Moon Sae-kyoung & Nam Na-yeong
Interprètes : Lee Jung-Jae, Choi Min-sik, Hwang Jeong-min, Park Seong-Woong…
Durée : 2h14
Sortie française : 16 octobre 2013
Éditeur : TF1 vidéo