Le genre polaresque, avec toutes ses catégories plus ou moins sérieuses, réalistes ou originales, a toujours été l’un des piliers de la production hexagonale. Il y eu bien des creux en termes de popularité, de qualité et de quantité, mais toujours avons-nous trouvé annuellement quelques poires pour la soif. Reparti de plus belle au mitan des années 2000, popolar, depuis, ne débande plus. De là à s’esbaudir devant chaque produit, c’est affaire de goût.
Devenu majoritairement urbain (mais ne l’a-t-il pas toujours été comme hiver?), le genre ne s’aventure plus qu’avec parcimonie en dehors des grandes villes, parfois juste le temps de quelques saynètes, parfois pour des séquences entières, parfois pour une moitié de métrage. Il fut cependant une époque où le polar champêtre, campagnard, rural, provincial, ruait dans les brancards. Tenez, pas plus tard qu’hier, votre serviteur passait un coup de chiffon sur ses rangs de DVD et de VHS, quand soudain, paf !, toute une étagère de titres ricochent sur le plancher des vaches. Que du bonheur et que du polar années 60-70 : Fleur d’oseille, La Veuve Couderc, Fantasia chez les ploucs, La Saignée, La Horse, Quelques messieurs trop tranquilles, La Course du lièvre à travers les champs, L’Affaire Dominici, Les Granges brûlées, Les Suspects, Par le sang des autres, Folle à tuer, Plus ça va moins ça va, Un si joli village… Du coup, je me remémore que ledit polar campagnard est une catégorie elle-même subdivisée : drame criminel, comédie loufoque, reconstitution d’un fait-divers ou invention de l’un d’eux, peinture de provinces et description de la France profonde… Tout ou presque est possible.
Hors podium des capitales du polar (Paris, Marseille, Lyon), s’étend donc des intrigues provinciales. Elles peuvent se situer dans ou alentours de villes comme Bordeaux, Châteauroux… Cette sous-catégorie aux canevas se déroulant souvent dans des milieux plus ou moins bourgeois, voire aisés, partage le gâteau avec des événements criminels situés plus humblement dans des villages où/et des étendues boisées ou de cultures.
Si peu de toutes ces productions prônent l’action, le résiné coule cependant sévère dans Fleur d’oseille, La Horse et quelques autres. Plus tard, le chaînon manquant que fut Le Choix des armes sera non seulement une rencontre intergénérationnelle d’acteurs mais aussi entre le voyou urbain et le retraité de la truanderie respirant un air moins vicié. La décennie nouvelle verra passer le très correct La Maison assassinée, de Georges Lautner, avare en action, l’alors très original Hors-la-Loi de Robin Davis, plus mouvementé, le musclé Cross, plus musclé et teigneux, et le foutraque Canicule signé Yves Boisset. Une poignée d’autres polars provinciaux, plus bourgeois dans leur représentation des citoyens, penchent nettement vers le drame et les intrigues que sur le spectaculaire, ainsi de J’ai épousé une ombre, Flagrant désir, En toute innocence… Le polar rural, après, c’est bernique ou peu s’en faut, jusqu’au formidable Total Western de Éric Rochant en 2000 puis, mué en slasher en 2003, avec le Haute tension d’Alexandre Aja. Mais il y a belle-lurette que les embrouilles dans les prés sont essentiellement sur le petit écran, via de nombreuses séries dont est friand le téléspectateur encore de nos jours.
Tout comme le récent Laissez bronzer les cadavres !, Le Serpent aux mille coupures est donc un polar champêtre. Héritier d’une longue tradition, le dernier long-métrage d’Éric Valette est aussi une adaptation, celle d’un roman de DOA, qui n’est pas sans évoquer le fantôme de Jean-Patrick Manchette. Justement coauteur du roman Laissez bronzer les cadavres !.
Le dernier né du réalisateur de La Proie prend en partie le contre-pied de celui-ci : autant le film avec Dupontel pouvait s’inscrire dans la vague du polar-action alors en vogue sur le territoire national, autant Le Serpent… joue la carte d’une certaine retenue, tout en assumant les codes du polar. Des figures imposées et des stéréotypes que le réalisateur, cinéphile patenté, aime, respecte, mais joue avec. L’histoire, complexifiée par la multitude des intervenants, n’est cependant pas si dure à suivre, défaut que nombres critiques pros comme amateurs lui ont prêtés : Un néo-barbouze en galère se réfugie blessé dans une ferme du sud-ouest, les propriétaires étant en bute à des relous du cru. Prenant in fine le parti du couple et de leur adorable fillette, notre antihéros (pas le mec le plus sympa du monde), va surtout devoir régler leur compte à une poignée de trafiquants colombiens et madrilènes ayant bien mal choisi un lieu proche de la ferme pour causer globalisation des affaires criminelles. L’internationalisation systémique des affaires est justement le thème sous-jacent mais affleurant du film. Elle est symbolisée par cette grappe de gouapes et de salopards allant à l’encontre de leur discrétion souhaitée en se frittant avec, entre autres, une poignée d’indigènes xénophobes et racistes (l’un d’eux est interprété par Gérald Laroche, un habitué des tournages du sieur Valette, un autre est joué par l’acteur et réalisateur Jean-Jacques Lelté, qui tenait le rôle principal du Cruel de Éric Cherrière, autre régional de l’étape).
Si certains « hasards » scénaristiques paraissent moins des ficelles que des câbles, ils font aussi qu’existe cette variation polaresque racée. Le film, rêvons-un peu, pourrait même être le prologue à quelques polars ruraux de derrière les ballots de foin.
Plausible quoique improbable, l’intrigue est mise en boîte avec une mise-en-scène épurée, loin d’une esbroufe aussi spectaculaire qu’efficace pour maintenir l’attention que celle devenue quasiment la norme. Techniquement, c’est là le film le plus mature de Valette. Il joue la carte d’une atmosphère constamment tendue plutôt que le festival de bourres-pifs.
Faussement lent, Le Serpent… porte également bien la patte de son réalisateur : le sérieux de l’affaire et la violence des événements sont tempérés par un humour aussi diffus que parfois vachard. Ainsi le tueur sino-colombien est-il le plus souvent accompagné d’un fils de caïd faible et à côté de ses pompes. En plus, il vapote !
Concernant le tueur professionnel qu’incarne Terence Yin, sa présence en ces terres de vignobles n’est qu’en apparence aussi incongrue que celles des autres. Elle est non seulement l’illustration très série B du caractère impitoyable et de l’insatiable appétit de puissants réseaux illégaux ou fertilisés sur des profits illicites, mais également un hommage aux polars hongkongais. Sa posture imperturbable, quasi robotique, sa froideur dans l’action, son indifférence face à la mort, en fait une sorte de squale chasseur d’hommes, ou mieux, un putain de serpent. Ce tueur impavide semble tout autant échappé d’un polar de Hong Kong façon Ringo Lam que d’un quartier miséreux d’une métropole colombienne, là où la vie d’un Gavroche sino-colombien a peut-être été plus dure encore pour lui que pour les autres gamins du barrio. De quoi devenir sicario.
L’antédiluvienne baston finale entre le gentil et le méchant est pliée en trois-quatre mouvements. Frustrant ? Mais n’en avez-vous pas marre de cette antienne qu’est la confrontation entre le « héros » et sa nemesis ? Ne savez-vous pas qu’un combat mano a mano entre deux combattants de ce niveau a peu de chance de durer plus de dix secondes ? Ne trouvez-vous pas que c’est plutôt réconfortant d’assister à une scène de baston dans un polar français qui fasse un pied-de-nez aux chorégraphies et au montage sur-découpé des innombrables copieurs des fights de La Mémoire dans la peau ?
Polar, thriller d’action, western, Le Serpent aux mille coupures a eu le malheur d’être distribué a minima. Moins de quarante copies France, une seule copie dans Toulouse intra-muros, pourtant fief du réalisateur, une exploitation vite expédiée, peu de presse. Et des avis mitigées, si ce n’est hostiles, de la part d’un bon pourcentage des critiques amateurs. Une volée de bois vert à l’encontre de Tomer Sisley, pourtant impeccable dans une composition très comportementaliste, à la Manchette.
Il est clair que non seulement le film n’a pas eu la chance de faire carrière mais aussi qu’il est aisé de le sous-estimer. Parce qu’il » n’y a pas assez d’action », parce que « c’est mou », « parce que le mec des films Largo Winch est nul », parce que « c’est débile de mettre un flingueur chinois dans un film hexagonal se déroulant dans le Midi »…
À noter en bonus un entretien avec le réalisateur. Il s’exprime notamment sur la difficulté de monter ce type de projet dans le cadre d’un système de rentiers frileux d’une part de la production ciné.
Sinon, à part ça, jusqu’ici, tout va bien.
Laurent Hellebé
LE SERPENT AUX MILLE COUPURES
Réalisateur : Eric Valette
Scénario : Eric Valette & DOA d’après son roman éponyme
Production : Raphaël Rocher, Adrian Politowski
Photo : Vincent Mathias
Montage : Sébastien Prangère
Bande Originale : Christophe Boulanger & Mike Theis
Origine : France
Durée : 1h46
Sortie française : 05 avril 2017