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Aujourd’hui vendredi 23 septembre, à J-1 de la fin du festival, on s’est rué sur un étonnant film fantastique québécois tourné dans l’Ouest canadien : Radius, du duo Caroline Labrèche / Steeve Léonard. Comme on avait aussi beaucoup apprécié, mardi dernier, le film de SF, québécois lui aussi (mais tourné au Québec) de Patrick Demers intitulé Origami, on a décidé d’y consacrer une chronique commune. D’une pierre deux coups ou plutôt… deux pépites.

origami

Commençons par le plus minimaliste des deux (sur le plan des effets) : Origami, de Patrick Demers. L’histoire se concentre sur David (François Arnaud, sobre, efficace, habité juste comme il faut par son rôle), un artiste spécialisé dans la restauration d’œuvres anciennes et surtout dans les encres et la calligraphie — en particulier japonaises. Quand le film commence, un climat d’étrangeté s’installe, qu’on hésite à attribuer, soit à la subtile déconstruction de l’intrigue, soit aux sensations de flottement et de cassures que véhicule, ici et là, le montage, soit encore à l’errance de son personnage quelque peu hagard sous ses airs assurés. Il se peut que ce soit les trois. Chose certaine, en quelques plans a priori décousus d’aéroport et de métro de jour, puis de piscine, de parc et de rues résidentielles la nuit, le réalisateur Patrick Demers plante un décor urbain quotidien, simple mais toujours photographié au cordeau avec une lumière impeccable, où la sobriété ne sacrifie donc jamais à l’austérité. Très vite, on comprend que David navigue malgré lui dans différentes réalités ou plutôt : dans différentes temporalités. Le jeune homme reçoit un jour la visite d’un scientifique d’origine japonaise qui a écrit un livre sur la ligne du temps. Cet ouvrage, ce serait David lui-même qui l’aurait remis au professeur, à une époque où ce dernier n’en avait pas encore écrit une seule ligne. Reprenant, pour sa trame très bien pensée, le fameux paradoxe de l’écrivain, le scénario d’André Gulluni et Claude Lalonde déroule un récit où il est question de la courbure de l’espace-temps, de théorie de la relativité et de possibilité de changer le passé. Ces bribes auxquelles nous étions confrontés au départ prennent alors, dans le discours du scientifique japonais, un tout autre sens que celui de simple rêve éveillé ou d’hallucination : David serait selon le professeur Yamane le seul à être capable de voyager sur la ligne du temps. Il suffit que le jeune homme se concentre puis entre dans une sorte de transe (que peut faciliter un tranquillisant) : par un processus de visualisation plus ou moins inconsciente, David se retrouve alors à différents instants clés de son existence. Au fur et à mesure de ses allées et venues se dessine cependant le mystère d’un drame survenu dans son entourage. Est-ce passé ? Est-ce à venir ? Ce qui se révélait une expérience intrigante va devenir réminiscence de douleurs enfouies et d’un futur semble-t-il tout aussi tourmenté.

Très élégant dans sa facture (Demers joue savamment avec les angles de vue), sensible dans son interprétation et intelligent dans sa narration à plusieurs strates non pas imbriquées mais repliées les unes sur les autres (à l’image de l’équilibre mental de David), Origami dépasse vite l’apparente froideur mathématique avec laquelle il joue au départ. L’économie de moyens mais la richesse des idées, l’intensité narrative, l’ambiance anxiogène et mystérieuse, de même que le pathétisme du protagoniste à l’allure de antihéros, rappellent Simple mortel de Pierre Jolivet. Passés les premiers voyages déconcertants mais lumineux de David, Demers malmène à la fois son personnage et le spectateur, au gré de révélations troublantes, poignantes, déchirantes, déploiement et assemblage des pièces du puzzle où s’épaissit la noirceur du propos. À l’instar de l’art du montage au cinéma, le casse-tête existentiel et mental de David implique une subjectivité marquée et, du même coup, l’ambigüité du point de vue que l’on choisit d’y porter. Au terme de cette éprouvante aventure humaine sise dans un Québec souffrant des mêmes maux que toutes les sociétés dites modernes (stress, détresse, pression que les gens s’imposent à eux-mêmes), éclate alors une vérité qui, si elle n’est plus fragmentaire, n’en reste pas moins sujette à deux interprétations possibles. Dans tous les cas, le film surprend et nous laisse sans voix. Beau et triste, quand bien même on choisit le meilleur côté des choses dans la révélation ouverte.

Radius

Deuxième long-métrage de Caroline Labrèche et Steeve Léonard, Radius nous confronte au drame que vit un homme prénommé Liam (Diego Klattenhoff) devenu amnésique après un accident de voiture dont les circonstance seront là aussi reconstituées par bribes. Mais le plus intrigant reste à venir dès après les flashes du carambolage : quand Liam s’approche d’un être vivant, homme ou animal, celui-ci s’écroule, foudroyé et les yeux vitreux. Constatant, au bout de plusieurs rencontres à chaque fois fatales à ceux qu’il croise, qu’il est réellement la source de ces trépas instantanés, Liam finit par se barricader dans une maison (qu’il a identifiée comme étant la sienne, d’après l’adresse de son permis de conduire). Jusqu’à ce qu’arrive une femme en présence de laquelle le phénomène de mort subite ne semble pas se produire…

Avec un point de départ digne d’un épisode d’X-Files, le scénario du duo Labrèche / Léonard emprunte bien des voies imprévisibles que tout amateur de fantastique saura apprécier à leur juste valeur. À la trame purement fantastique, au-dessus de laquelle plane l’ombre des films « de contamination » (la piste virale s’avère très vite écartée mais les effets létaux de la présence de Liam renvoient aux archétypes du genre) vient se greffer une intrigue de thriller identitaire et de femme disparue. Au mystère de l’ « aura meurtrière » de Liam s’ajoute donc le secret entourant son passé récent et le suspense lié au fait qu’il finisse par être recherché par la police à cause des morts qu’il laisse malgré lui sur son sillage. Inutile de « divulgâcher » les tenants et aboutissants du récit pour vanter les qualités du projet. Ce qui fait de Radius un film fantastique solide, efficace et porteur d’une tension viscérale, ce sont tous les rebondissements liés à la condition particulière de Liam puis à sa relation avec Jane (interprétée par Charlotte Sullivan, qui a notamment joué le rôle de Marilyn Monroe dans la mini-série Les Kennedy, où officiaient Greg Kinnear, Barry Pepper et Katie Holmes). Voilà des gens qui savent ce qu’ils font. Labrèche et Léonard maîtrisent la logique de leur intrigue; ils ne se reposent pas sur le seul principe (ou la bonne idée) de départ et, au moment où l’on pourrait croire que leur sujet s’épuise en effets comme en action (léger relâchement quand même lorsque Liam et Jane décident de prendre la route), ils relancent le récit et, aux trois-quarts du métrage, bouleversent la donne dramatique de même que les liens unissant les personnages. La tension se resserre (excellente scène d’arrestation où l’on craint pour la vie des flics), l’horreur se démultiplie, les points de vue se troublent. Surprises garanties ! Servi par des maquillages d’une simplicité redoutable, filmé avec rigueur quoique sans grand déploiement et monté avec tout le dynamisme qu’il faut quand on s’attaque à un thriller fantastique, Radius tient plus que les promesses énoncées par son incipit. Du fantastique minimaliste intelligent, bien écrit, bien produit (les producteurs du délirant Turbo Kid — souvenez-nous de la chronique parue dans ces colonnes en 2015 — sont passés par là). On en redemande.

Stéphane Ledien

À noter que ces deux films faisaient partie de la compétition officielle du Festival de cinéma de la ville de Québec.

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