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Depuis dimanche dernier, on n’a pas fini d’écumer, à notre vitesse — donc tranquillement mais sûrement — le Festival de cinéma de la ville de Québec. Une fois de plus, l’instinct versusien a repris le dessus et votre serviteur s’est concentré sur les films « de genre » (comprendre : plus ou moins fantastiques ou alors mystérieux, étranges, barrés, etc.). Retour sur deux long-métrages en « compétition officielle » au FCVQ/QCFF 2017 : Thirst Street de Nathan Silver et How to Talk to Girls at Parties de John Cameron Mitchell.

thirst-street

Présenté comme un « suspense psychologique sur la folie », Thirst Street est une coproduction entre la France et les États-Unis (une bonne partie du métrage se déroule à Paris). Réalisé par Nathan Silver (également co-scénariste du film) qui, en dix bonnes années de carrière, en est déjà à son sixième long-métrage (le septième est en post-production), Thirst Street vaut surtout pour l’ambiance faussement romantique mais réellement trouble qu’il distille tout au long d’un récit focalisé sur une hôtesse de l’air prénommée Gina (interprétée par Lindsay Burdge). Après que son mari s’est suicidé, celle-ci tente de retrouver son équilibre. Profitant d’une escale à Paris, la jeune femme s’encanaille dans un club nocturne et se laisse séduire par Jérôme (Damien Bonnard, aperçu dans Dunkerque), le barman de l’endroit. Pour ce quadragénaire gouailleur aux vagues airs de voyou de Paname et qui semble mener une vie dissolue, ce n’est qu’une coucherie d’un soir. Gina, guidée quant à elle par les conseils d’une diseuse de bonne aventure qui a vu dans les cartes la possibilité ambiguë d’une idylle, ne sait à quel destin se raccrocher. D’autant que la cartomancienne a aussi parlé de l’œil du démon et que Jérôme, au moment où Gina et lui se rencontrent, est atteint d’une conjonctivite. Attirée comme un aimant par le magnétisme et la nonchalance du Parisien, Gina va basculer dans un autre monde, entre autres celui de la vie nocturne dans la capitale française, et celui de… l’attachement maladif. On n’en dira pas plus pour ne pas déflorer l’intrigue. Après vingt bonnes minutes de projection, le spectateur se demande quand même où le film veut en venir et peut bien l’emmener. À vrai dire, il ne se passe rien de spectaculaire et très vite, on pense à une nouvelle variation du thème de l’amant diabolique ou à un énième Liaison Fatale. En fait, le projet se situe entre les deux et, à mesure que l’histoire se déroule, choisit sa voie psychologique et l’accentue par petites touches, sans coups d’éclat (ce qui n’en est que plus intrigant, insidieux puis… inquiétant). L’intérêt du métrage, outre la peinture de ses personnages au charme fragile et ambigu (côté « choc des cultures », on pense, très vaguement bien sûr, au Frantic de Polanski), vient de son esthétique trouble. Il y a dans Thirst Street un petit côté (on a bien dit petit) De Palma (sans le vertige ni le baroque du filmage), avec cette façon d’auréoler de mystère anxiogène une simple déambulation urbaine (un léger parfum de Femme fatale et de Passion se fait sentir, difficile à dire pourquoi) et sentimentale de son héroïne. Autre caractéristique : pendant une bonne partie du film, le regard du spectateur se trouve maintenu dans le flou, l’aspect flottant et quelque peu brumeux, mais aussi dans le rouge et le vert à l’aide de filtres et de couleurs saturées : référence probable à la conjonctivite de Jérôme ainsi qu’aux gialli de Dario Argento et, on y revient, aux frictions hitchcockiennes et psychédéliques des thrillers eighties De Palma. Mais le clou – et la clé de lecture la plus intéressante — de Thirst Street provient sans aucun doute de l’ironie – entre mauvaise foi et humour noir — de ses instances de narration. Un fossé se dresse en effet entre ce que raconte, en off, la voix d’Anjelica Huston, narratrice enjouée qui n’hésite jamais à charger de tendresse, de romantisme et d’aventure romanesque le cheminement de Gina, et ce que montre l’image, une réalité dépeinte quoique filtrée, donc, selon l’humeur de sa protagoniste principale en proie à la paranoïa ou… à l’amour fou. En même temps que la lumière, ce sont les thèmes (très à la mode dans les études littéraires ces dernières années) de la non-fiabilité du récit et du narrateur indigne de confiance qui jaillissent à la toute fin de la projection du film. Ce trait particulier constitue à la fois la véritable histoire de perception que raconte Thirst Street et le point d’orgue de sa douce amertume grinçante. Bien vu.

How-to-Talk-to-Girls-at-Parties

Plus ludique et chahuté, How to Talk to Girls at Parties est l’adaptation d’une nouvelle de Neil Gaiman. Réalisé par John Cameron Mitchell (trublion, par ailleurs icône de la culture gay américaine, remarqué en 2006 pour Shortbus et en 2010 pour Rabbit Hole), le film nous plonge à Londres en plein avènement du mouvement punk, soit en 1977. Au cours d’une soirée étrange dans laquelle lui et ses deux amis fans des Sex Pistols atterrissent par hasard, le jeune Enn (Alex Sharp) tombe amoureux d’une fille prénommée Zan (Elle Fanning, qu’on avait trouvée impeccable dans le mal aimé et glaçant Neon Demon de Nicolas Winding Refn). Or, cette dernière se révèle être membre d’une colonie extra-terrestre ! Après qu’elle décide de « s’échapper » de l’endroit où elle et ses congénères semblent confinés, Zan goûte aux côtés de Enn aux joies et aux plaisirs de la vie de punk. Mais sa colonie ne l’entend pas de cette oreille… À partir d’un scénario qui assume sa loufoquerie et détourne l’attirail narratif de la science-fiction pour se concentrer sur le côté tantôt psychédélique (l’allure des membres de la colonie évoque un croisement entre : la faune du Korova Milk Bar dans Orange Mécanique; l’univers sadomasochiste; les délires costumiers d’un Jean-Paul Gaultier lorsqu’il travaille pour le cinéma fantastique), tantôt punk, donc énergique et rentre-dans-le-lard, How to Talk… emprunte la voie de la comédie romantique explosive et bizarre. Ce qui frappe à la vision du film de J. C. Mitchell, c’est son énergie punk-rock, sa propension mi-rigolarde, mi-furibarde, à ruer dans les brancards de la perception du genre SF et des genres sexuels, ainsi qu’à mettre en scène des enfants terribles dont le majeur (éventuellement double ou biscornu chez certains aliens de la colonie) fièrement dressé renvoie à la libération des codes (cinématographiques et culturels) et des mœurs. En clair, le réalisateur s’éclate et éclate sa forme; le spectateur, s’il accepte ce pacte de lecture tonitruant, se retrouve quant à lui pris dans un tourbillon de sensations, détonant cocktail de nostalgie de la grande époque du punk anglais, de rage adolescente universelle (les scènes musicales ont un peu cette dinguerie palpable dans la série Vinyl) et de vélocité comic-book — le genre de délire que n’aurait pas renié le duo Edgar Wright / Simon Pegg. Pour ajouter à la facétie (positive) du projet, Nicole Kidman y interprète une diva du mouvement punk londonien, Queen Boadicea, artiste sculptrice elle-même à la recherche de talents musicaux (excellente explosion / révélation de Zan dans sa performance musicale aux trois-quarts du film) et qui sera amenée à diriger toute une armée de punks pour arracher Zan à une colonie récalcitrante. Acidulé par endroits, rivé à une ligne d’horizon no future et aux couleurs éteintes à d’autres, How to Talk to Girls at Parties fait office de romance destroy et attachante. On retient du film sa vigueur et son esthétique azimutées. Des qualités qui, à l’instar du personnage de « Virys » crée par Enn dans ses moments perdus de dessinateur de BD, se révèlent contagieuses, d’un bout à l’autre du métrage.

Stéphane Ledien

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