23 Septembre 2017, la 7e édition du Festival de cinéma de la ville de Québec prend fin. Tout bien considéré, le Versusien à la recherche de films de genre se sera finalement bien régalé, entre bizarreries punk et thrillers mâtinés d’horreur psychologique ou de fantastique contagieux. Impossible néanmoins de tourner la page sans revenir sur l’expérience à part que représente Lucky, premier long-métrage contemplatif de l’acteur John Carroll Lynch (un bonhomme à la stature imposante qu’on a l’habitude de voir dans des rôles inquiétants, par exemple dans Shutter Island ou Zodiac).
Lent, solaire, un peu aride par endroits, piquant comme un cactus, et sec et buriné comme la gueule de son interprète — le grand Harry Dean Stanton, décédé il y a quelques semaines (ce qui renforce la portée symbolique du film) — Lucky fait office d’œuvre inclassable et référentielle. Avec ses allures de cowboy déplumé, archétype du second couteau mutique évoluant toujours la clope au bec, Stanton ressuscite les fantômes héroïques de son passé cinématographique, Paris Texas en tête mais aussi Sailor et Lula, clin d’œil et posture qui n’échappera pas aux fans de Lynch, David celui-là (aucun lien de parenté avec John Carroll), qui ici interprète, avec sa gouaille-voix de canard inimitable, un ami excentrique malheureux depuis que sa tortue terrestre a quitté la maison.
Nonagénaire increvable et farouchement indépendant, fumeur invétéré et mauvais coucheur, Lucky voit sa routine (yoga, déjeuner, mots croisés, jeux télévisés, le tout agrémentés de cigarettes et de remarques assassines) bouleversée après qu’il a fait un malaise. Diagnostic du médecin : c’est la vieillesse, l’usure du corps et de la vie, point. Normal, quoi. Sauf que pour le cowboy, l’événement correspond à un aveu de faiblesse. Habité par la peur du gouffre que représente la mort, Lucky va trouver le moyen de surmonter sa crise du 3e âge avancé, évidemment sans s’arrêter de jouer les empêcheurs de tourner en rond dans le diner et le bar où il a l’habitude de passer ses déjeuners et ses soirées.
Galerie de portraits loufoques en même temps qu’hommage à une génération d’acteurs — et donc à un certain âge d’or — en passe de disparaître (Tom Skerritt vient faire un tour dans le rôle d’un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale dans le Pacifique), Lucky s’amuse à étirer à la fois son propos (d’où l’impression que le temps y est suspendu) et son esthétique. En substituant à la vélocité l’éloge de la lenteur et en tirant admirablement parti du format CinemaScope, J.C. Lynch livre une sorte de western bavard, absurde et existentiel où les personnages se débattent, dans le cadre, contre un vide (étendues désertiques) décidément envahissant. Le tout, sur un air d’harmonica mélancolique. Lucky est un film de cowboys où les héros sont trop las pour courir ou se battre, et où les flingues et les balles ont disparu au profit des mots cinglants et des piques lancées par des types un peu cinglés mais attachants.
Stéphane Ledien