La préoccupation majeure du héros mctiernanien est d’ouvrir son horizon (physique et/ou inellectuel) à l’issue d’un parcours initiatique plus ou moins chaotique, trouver une porte de sortie à son enfermement.
Les versants masculins des archétypes que McTiernan met en scène agissent ainsi radicalement sur le milieu dans lequel ils sont plongés contre leur gré, en redéfinissant les contours et les lignes de force afin d’y survivre. Les personnages féminins font face à une transformation plus subtile puisqu’elles évoluent afin d’intégrer le monde de leur prétendant non pas en se soumettant à de nouvelles règles (les rapports amoureux se muent en rapport de force, exacerbés entre jeu de séduction et de domination) mais en acceptant de nouvelles conditions correspondant à leur ouverture d’esprit élargie par l’aventure vécue. Seule la docteur Flax fait office d’exception car dans Nomads elle se voit parasitée par l’esprit de Pommier et ne doit son salut qu’en quittant l’état de Californie. Il n’y a pas d’harmonie possible dès lors que l’âme de l’anthropologue est finalement possédée par les créatures fantastiques le poursuivant. Pour la docteur Crane dans Medicine Man, Catherine Banning dans Thomas Crown, la capitaine Osborne dans Basic et dans une moindre mesure Aurora dans Rollerball, tout se joue sur les efforts qu’elles produisent pour changer leur mode de pensée et de vie.
En tout cas, il demeure un enjeu primordial, les héros mctiernanien, quelquesoit leur genre cinématographique ou de nature, éprouvent leur limites afin de tracer de nouvelles trajectoires dans le monde immense et clos auquel ils sont confrontés.
Huit clos
Que ce soit une jungle touffue comme dans Predator ou Medicine Man, ou bien de métal et urbaine comme dans les deux volets de Die Hard mis en scène par McTiernan, ou encore les eaux internationales d’A La poursuite d’Octobre Rouge, l’espace des protagonistes est défini, dominé, par des antagonistes divers (invisibles, indéfinis ou avançant masqué) dont le héros mctiernanien ne pourra se défaire qu’au prix d’exploits physiques incroyables pour détourner les voies tracées. Ceci étant valable aussi bien pour les codes du film d’action que pour la topographie imposée.
Un enfermement que McT symbolise fréquemment à l’écran par l’emploi de la figure du 8 ayant la particularité de représenter à l’horizontale le signe de l’infini. C’est particulièrement visible dans Basic lorsque au moment de décéder suite à un empoisonnement le soldat Kendall dessine avec son sang cette figure spécifique dans la paume de main de la capitaine Osborne.
Ce qui apparaît comme le signe de l’infini, illustrant dans le récit le cloisonnement et la reproduction de comportement inhérent au milieu militaire, et ici la base, dans lequel ils évoluent. En tournant sa main doigt vers le haut, l’infini se transforme en huit, représentatif de la Section Eight à laquelle appartient Tom Hardy. Un chiffre apparaissant enfin dans un énorme ballon représentant une boule de billard suspendu au dessus de l’entrée du repaire de la mystérieuse section, tel une enseigne, un emblème.
Une boule de billard particulière que l’on retrouve dans Last Action Hero en tant qu’un œil de verre du tueur Bénédict. Pas de section 8 ici mais le passage du monde fictionnel de Jack Slater à celui réel de Danny Madigan formalisant un espace immense figurativement refermé.
Ce n’est pas toujours représenté de manière si imagé mais peut être la finalité de mouvements adoptés par les personnages. Ainsi, dans A La poursuite d’Octobre Rouge, les deux manœuvres dites « Ivan le fou »initiées par le sous-marin russe sont réalisées une première fois par babord puis la seconde fois par tribord (comme deviné par Jack Ryan au moment de convaincre le commandant de l’U.S.S Dallas du bien fondé de sa théorie). A plusieurs séquences d’intervalles se dessine ainsi mentalement et intuitivement deux boucles entremêlées que l’on peut rapporter à la forme d’un huit. Par ses multiples tactiques, le commandant de l’Octobre Rouge, Marko Ramius, tente de s’extraire de l’espace idéologique et délétère de la Mère Russie.
Une double boucle liée que l’on retrouve dans la forme de la piste de Rollerball sur laquelle patinent Jonthan Cross et ses équipiers, symbole de l’emprise du magnat Alexis Petrovich (Jean Reno) sur eux ainsi que de la canalisation de la population.
Enfin, dans le premier Die Hard, c’est la forme du parvis de la tour Nakatomi qui interpelle, illustrant l’encerclement et le cloisonnement opérés par la bande à Gruber et que John McClane va s’échiner à déjouer.
Au-delà d’une lutte territoriale primordiale, Piège de Cristal se distingue par la volonté de redéfinir l’espace subtilisé, de se le réapproprier en dessinant de nouvelles voies. Où résister à la domination à l’œuvre revient à tracer littéralement sa propre route. Un nouveau paradigme que McTiernan va porter à son paroxysme avec Die Hard With a Vengeance et Rollerball où McClane et Jonathan Cross vont redoubler d’efforts pour tenter de renverser le maître des lieux.
Débordements
La prise de possession de la tour dans Piège de Cristal par Gruber et ses acolytes se fera au pas de charge, une Panzerdivision qui renverse tout sur son passage pour boucler tous les accès de l’immeuble. A contrario, son frère Simon et sa troupe opèrent de manière moins échevelée. Faut dire qu’ils ont tout leur temps étant donné que le plan assez génial de Simon pour éloigner les forces de l’ordre de la banque fédérale a parfaitement fonctionné. Ils ne badinent pas pour autant, investissant l’établissement avec rythme au son de When Johnny Comes Marching Home et maîtrise impressionnante des évènements (neutralisation des gardes, du directeur, des ultimes gardiens des réserves d’or), mais la conduite de l’assaut par frère Gruber traduit son appétence pour le jeu.
Il domine avec aisance l’espace urbain horizontal, étant parvenu à envoyer les flics aux quatre coins de la ville tandis que McClane et Zeus s’épuisent à résoudre des énigmes retorses. Visuellement, l’encerclement puis la pénétration dans la banque s’illustrent par des mouvements de caméra amples, posés tandis que la course effrénée de nos deux héros est enregistrée par une caméra prises de soubresauts. L’ordre contre le chaos.
Pour tenter de reprendre la main tout en suivant les règles imposées par Gruber, McClane va devoir compenser le retard inévitable d’un timing trop serré par sa connaissance de l’espace investi afin de créer des brèches salvatrices.
Cela commence par la course en taxi pour rejoindre une cabine téléphonique en un point bien précis en faisant intervenir une ambulance pour leur ouvrir le chemin puis en coupant carrément par central Park.
Et au lieu de continuer immuablement par la route, McClane prend un raccourci en sautant sur une rame de métro après avoir soulevé une grille dans la rue. Pour contrecarrer l’horizontalité démentielle, il faut en passer par une certaine verticalité. D’abord en profondeur.
Puis dans une certaine hauteur lorsque pour échapper au tunnel se remplissant d’eau, McClane doit passer par un conduit d’évacuation.
Décidé à jouer son rôle de grain de sable jusqu’au bout, McClane réussit à débusquer Simon Gruber sur un cargo en partance. Mais pour l’y rejoindre, impossible d’utiliser une approche conventionnelle, il va falloir en passer par l’usage d’un câble sur lequel McClane et Zeus vont se suspendre pour atterrir presque sans encombres sur le pont.
Au final, cela ne fonctionnera pas comme attendu puisque les partenaires échoueront à contrecarrer la parfaite planification de Simon. Néanmoins, leurs actions sur l’espace de jeu leur aura permis rester au contact et dangereusement se rapprocher, et surtout de survivre.
S’extraire de l’arène
Dans ces conditions, le parcours de Jonathan Cross dans Rollerball est exemplaire et remarquablement significatif. Dès le début du film, avant tout dialogue, plus que comme un amateur de sensations extrêmes il nous est présenté comme un individu au comportement transgressif, utilisant les voies existantes pour créer d’autres lignes de conduite avec sa planche à roulettes d’un genre particulier puisqu’il y est couché sur le dos.
Malgré tous ses efforts, il n’est pas libre même s’il n’est pas arrêté par la police. Les flics le connaissent et savent où il réside, campant devant sa porte pour l’alpaguer. Il est contraint de rester en retrait dans une ruelle adjacente ou le cadrage du plan exprime implacablement son enfermement (mur s’étendant à perte de vue, grille couvrant une partie du côté droit de l’écran, Jonathan prostré au sol).
Seule porte de sortie, rejoindre les rangs de l’équipe de Rollerball où évolue son pote Marcus Riley. Mais plus encore qu’avant, l’emprisonnement se fait durement sentir car il donne l’illusion de liberté. Tout est sous contrôle d’Alexi Petrovich, des caméras de retransmissions au réseau télé en passant par le bar où l’équipe se détend après les rencontres ou la population à qui il donne des jeux pour lui faire oublier son quotidien révoltant et donc réfréner ses envies d’en finir avec ce régime. L’action du film se déroule au Kazakstan mais la critique acide de la société du spectacle livrée par McT laisse peu de doutes quant à son universalisme. Et pire que tout, il semble que même l’environnement à l’extérieur de la cité soit soumis à Pétrovich. Lors de la fuite nocturne de Riley et Cross, McTiernan filme en infra-rouge donnant à voir des images inédites induisant un sentiment unique. Au-delà du procédé employant une nouvelle forme visuelle, ces images verdâtres hyper sensibles à la lumière amènent un étonnant inconfort car ce point de vue particulier induit que absolument toute la séquence est vue d’un regard extérieur les observant dans la nuit obscure.
Il n’y a vraiment aucune échappatoire et même à l’air libre l’emprise de Petrovich se fait ressentir. Ce dernier ne tardera pas d’ailleurs à intervenir exportant même en ces lieux dénués de caméras de télé son sens du show car il voudra observer si Riley parvient à rejoindre l’autre côté du pont d’un saut spectaculaire en moto avant de le descendre.
Il faudra plus que des envolées incroyables à Cross s’il veut parvenir à se libérer.
Cela passera par une extraction de cette piste offerte à la consommation des plus bas instincts mais également par une prise de conscience que tout va mal et est trafiqué hors du contexte du jeu. L’action d’Aurora sera à ce titre décisive puisqu’elle servira de guide à Jonathan afin de lui ouvrir les yeux sur les problèmes structurels et politiques qui l’entourent. Mais échapper à sa condition n’est pas aisé comme l’expérimente dans le final un des co-équipier de Cross qui se juche au sommet d’une des parois de la piste afin d’encourager la foule à agir et stopper les débordements sanglants. Il est rapidement repris et exécuté par les forces de l’ordre.
Une action de trop qui fera gronder le public qui commence à scander le nom de Jonathan. L’icône de ce sport ultra-violent est ainsi une idole et ce n’est que dans cette condition d’adoration, de reconnaissance de la population qui voit en sa personne le hérault qui les portera au soulèvement qu’il pourra agir pour en terminer définitivement avec Petrovich et sa clique. Après avoir saisi le fameux boulet chromé, il entamera quelques tours de piste pour prendre de la vitesse et finir en bout de course par briser l’écran qui le sépare de leur maître.
Il pénètre de force dans son antre pour en finir une bonne fois pour toute. Jonathan sera parvenu au bout de son parcours physique et psychologique et cela se traduit à l’écran par cette ultime trajectoire prenant la tangente de la piste circulaire en forme de 8 qui les condamnait métaphoriquement jusque là à errer dans un simulacre de libre-arbitre.
Même charcuté au montage et dégraissé des vingts minutes de révolte des esclaves envisagées par McTiernan, Rollerball demeure une puissante charge subversive et point d’orgue des tentatives de ses héros pour créer leurs propres voies et reprendre le contrôle.
Nicolas Zugasti
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