Il existe deux manières, au moins, de voir Nomads, premier film de monsieur McT. A savoir celle du spectateur d’environ 15-20 ans lors de la sortie du film en 1986, dont la culture cinématographique restait encore à dégrossir. Et celle de la réflexion rétroactive, qui a sa pertinence évidente et ses pièges entendus. Contentons-nous de la première.
Il y a bientôt trente ans, Nomads s’inscrivait tout à fait dans son époque et ne pouvait qu’attirer l’œil du cinéphile ou cinéphage plus ou moins en herbe (souvent libanaise, pour être connecté à l’actualité d’alors), notamment parce que sur l’affiche l’acteur principal, qui tenait une torche, semblait brandir soit un sabre laser, soit un néon, comme Luc Besson sur une photo dans un article sur Subway paru dans Starfix. Que l’acteur principal se nommasse Pierce Brosnan n’avait aucun impact, Remington Steele, le jeune spectateur en avait un peu rien à secouer. Non, l’affiche (du stakhanoviste Landi), les quelques photos qui circulaient, les rares articles concernant le film, tout cela intriguait. Et l’actrice principale, Lesley-Anne Down, n’avait pas l’air désagréable à regarder. Mais surtout peut-être, les réflexes de cinéphage montaient en puissance : nous étions vigilants, attentifs, à ce qui dénotait, à ce qui n’était pas du cinéma consensuel, à ce qui n’était pas du cinéma façon grand-papa.
Et les premiers ou seconds longs-métrages de gugusses inconnus ou peu s’en fallait étaient dans le viseur. Le bisseux qui avait torché Piranhas II, les tueurs volants en 1982 (1) se fendait du fabuleux Terminator deux ans plus tard. Les frangins Coen marquaient d’entrée un touch down en 1985 avec un polar tordu remarquablement emballé, Sang pour sang. Une certaine Kathryn Bigelow, que nous ne connaissions ni Dave ni de mes dents, allait bientôt (fin 1988) nous les scier avec Aux Frontières de l’aube, dont la BO était signée Tangerine Dream, l’une des raisons pour lesquelles nous étions « fans » de films comme Le Solitaire (Michael Mann, 1981), Risky Business (1984) et La Forteresse noire (1984)… Sans compter que la bougresse débauchait pour ce film de vampires atypique une partie du casting du monstrueux Aliens de 1986, à savoir Lance Henriksen, Bill Paxton et Jenette Goldstein (on sait depuis la fascination de l’actrice pour James Cameron). En 1986, un certain Robert Harmon réactivait le road-movie avec Hitcher, le défunt Festival d’Avoriaz présentait des petites perles comme Link et Re-Animator… Bref, ça n’arrêtait pas. Jeter un œil à Nomads relevait du bon sens.
Après l’avoir vu sur grand écran (pour les chanceux) ou/et en K7 vidéo, il était évident que nous tenions là un client intéressant, comme disent les poulets. Si cette première œuvre avait ses maladresses (comme d’alors très clichés envolées hard-rock FM lors de certaines apparitions du « gang »), elle se révélait assez fascinante. Ni sanglant, ni speed, ce thriller fantastique, puisque c’était cela, assumait une atmosphère aussi cauchemardesque que cotonneuse et ne cherchait pas à résoudre tous ses mystères, ce qui en faisait derechef un film plus exigeant que la moyenne, pour ne pas dire plus adulte. Son intrigue, que nous ne ferons pas l’affront de vous rappeler, en faisait un héritier lointain du thriller écolo des années 70 et surtout de l’également atmosphérique (quoique plus gore) et remarquable Wolfen, réalisé par Michael Wadleigh, sorti dans le pays en 1982. Les deux films y confrontait une urbanité tentaculaire et frigide aux « souvenirs » d’un autre temps, celui des amérindiens et des loups dans Wolfen, celui des nomades et des communautés parias dans Nomads. Confrontée à sa mauvaise conscience, les Etats-Unis y étaient malmenés via ses protagonistes, considérés soit comme des témoins impuissants soit comme des proies malgré leur ouverture d’esprit, tournée vers les autres (dans Nomads, un anthropologue et une médecin).
Bien qu’étasunien, Nomads évoquait également un pan du cinéma australien, qui était depuis une dizaine d’années l’un des plus intéressants au monde puisque avaient à cette époque été diffusés (parfois uniquement en festivals ou directement en K7 vidéo) Patrick, Mad Max, Money Movers, Harlequin, Backclash, Le Survivant d’un monde parallèle, L’Année de tous les dangers, Les Traqués de l’an 2000 (ce Turkey Shoot était un vilain petit canard, d’accord), Razorback, Fortress, l’école de tous les dangers… Difficile de ne pas trouver des affinités formelles et/ou thématiques avec La Dernière vague (Peter Weir, 1977) et avec Long Week-end (Colin Eggleston, 1978).
A la fois noir et romantique (c’est très compatible), cette première œuvre, qui a plutôt bien vieilli malgré un évident ancrage eighties qu’il est simpliste de lui reprocher (le film est des années 80), dénotait une notable maîtrise formelle, certaines scènes restant même bien ancrées dans les mémoires, telle celle du malaise de l’héroïne dans un couloir d’hôpital, telle celle sur la terrasse d’un gratte-ciel lorsque Pommier/Brosnan dégoupille en balançant un « biker » par-dessus la rambarde de sécurité. Enfin, rétrospectivement, il est net que la quasi-intégralité des thèmes et tics de monsieur McTiernan figurait dans ce galop d’essai. Il y annonçait même sa fascination comme son mépris pour une ville comme Los Angeles, sans alors cibler les tares du Système Hollywoodien.
Laurent Hellebé
(1) La plupart des dates qui suivent sont celle de l’année de sortie en France
Nomads est ressorti en DVD depuis le 1er septembre 2014 chez Pathé.
NOMADS
Réalisateur : John McTiernan
Scénaristes : John McTiernan & Barry Stern
Production : George Pappas, Michael Rosenblatt, Cassian Elwes, Elliott Kastner…
Interpètes : Pierce Brosnan, Lesley-Anne Down, Anna Maria Monticelli, Adam Ant…
Photo : Stephen Ramsey
Montage : Michael John Bateman
Bande originale : Bill Conti
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h31
Sortie française : 21 mai 1986
Editeur : Pathé
Distributeur : Fox Pathé Europa
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