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La mention « tirée d’une histoire vraie » attire fatalement le public. Et, dans le cas de Frères, le film d’Olivier Casas, quelle histoire vraie !

« Tout a commencé il y a neuf ans, racontait ce dernier lors de son passage à Lyon. Je connaissais Michel de Robert depuis une dizaine d’années, nous étions tout un groupe avec des profils différents. Michel était l’architecte de la bande. Dans le cadre d’un week-end en Ardèche, je l’ai surpris à s’asseoir et à tailler un bout de bois comme un Indien Cherokee. Il avait eu une enfance particulière qu’il m’a racontée… Tout est parti de là. »

Cette enfance particulière, c’est la séparation avec la mère au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la fuite de deux frères, Michel et Patrice, et leur débrouillardise. Ils vivront plusieurs années seuls dans la forêt.

Entendons-nous bien. Frères n’est pas L’Enfant sauvage et il ne s’agit pas ici de montrer comment la société, usant de douceur et de répression, cherche à sociabiliser les individus qui s’en sont tenus éloignés. Certes, le réalisateur s’empare d’une histoire fascinante mais on se demande quel est son fil conducteur, ce qu’il cherche à raconter si ce n’est, dans un désordre chronologique total, le lien indéfectible qui unit les deux frères.

Yvan Attal

À côté de Mathieu Kassovitz (Patrice), Yvan Attal incarne Michel. Dans le film, Olivier Casas a fait des frangins deux taiseux. Dans la vie, Michel de Robert est nettement moins économe de ses mots. Présent aux côtés d’Olivier Casas lors de la présentation lyonnaise, il raconte dans le détail son travail avec le cinéaste mais aussi sa vie. « Ce jour-là, j’ai donc raconté mon histoire. Quarante-huit heures après, Olivier, bouleversé, ne voulait pas en rester là. Pour moi, ce n’était pas évident. Il venait me voir régulièrement dans mon bureau, pendant une demi-heure, trois quarts d’heure… Ça a duré cinq ans ! Olivier avait d’abord en tête d’écrire une série mais il fallait aller loin dans le détail. »

Mathieu Kassovitz

Ce serait quoi, le prix à payer, se questionnait Michel. Il parvient, finalement, à « poser ses valises », comme il le dit lui-même. Le film, puisque l’idée de série fut abandonnée, serait un hommage rendu à son frère Patrice, disparu depuis. Et, peut-être, servirait-il à « ouvrir des consciences ». « Ce n’était pas une histoire parmi d’autres histoires, mais quelque chose qui allait faire réfléchir. » Le film pouvait être aussi l’occasion de parler des « enfants perdus » — ce que n’étaient pas Patrice et Michel —, ces gamins qui, au lendemain de la guerre, se sont retrouvés seuls, ne sachant pas où étaient leurs parents ni s’ils étaient morts.

« Nous, reprend Michel, personne ne nous cherchait, nous n’intéressions personne. »

Frères ne reprend bien sûr que certaines parties de l’existence mouvementée des deux gamins, devenus ensuite adultes, dans un récit constellé de nombreuses ellipses. Ainsi, rien n’est dit sur la manière dont deux enfants abandonnés et ayant vécu par leurs propres moyens seuls se retrouvent, à l’âge adulte, médecin et architecte. Michel donne quelques précisions :

« Quand notre mère nous récupère, elle nous amène dans une famille où nous étions cloitrés. Nous faisions nos promenades attachés, et pas ensemble. Notre seule raison d’être : apprendre, apprendre ! Nous avons 10 ans et demi/11 ans et, jusqu’à présent, nous n’avons jamais eu besoin de savoir compter ou lire. »

Michel de Robert et Olivier Casas lors de la présentation du film à Lyon (Photo JCL)

Se retrouvant en pension, toujours séparé de son frère, Michel fait de nombreuses fugues, vit des temps très difficiles et entre finalement dans un collège technique de Boulogne-sur-Mer pour décrocher la même année un BTS de commis d’architecture et un CAP de menuiserie.

« J’avais trouvé du boulot dans un café, à Paris. Un jour, je vois un étudiant en architecture, plongé dans ses plans. Je discute avec lui et lui donne quelques solutions à ses problèmes. Je n’ai pas d’argent, lui en a et il m’aide a entrer à l’école des Beaux-Arts. Ensuite, je travaille comme grouillot en agence et j’ai continué comme cela jusqu’en mai 68… Où, là, c’est une autre histoire ! »

Comme une pelote qui a besoin de se dérouler, Michel de Robert profite de la moindre question pour raconter. Il sait saisir son auditoire et l’on comprend mieux pourquoi Olivier Casas déclare : « J’ai mis cinq ans à trouver une structure au film. Le plus complexe étant de condenser ! Ce fut un long travail de maturation et de filtrage. Plus que la sidération de leur survie, c’est l’amour qui les unissait qui m’a le plus surpris. »

Mathieu Kassovitz et Yvan Attal

On se dit que, finalement, il aurait sans doute mieux valu filmer le principal protagoniste en train de conter son histoire plutôt que d’essayer de la retracer à l’écran. Car elle est coriace et le film perd de vue son enjeu principal pour saisir des détails qui parfois, parce qu’ils sont rendus concis, deviennent improbables. Comme cette rencontre avec les gitans (réelle, précise Michel de Robert), qui ne dure dans le film que quelques minutes et qui sert juste à expliquer que Patrice joue admirablement bien de la guitare.

Jean-Charles Lemeunier

Frères

Année : 2024

Origine : France

Réal. : Olivier Casas

Scén. : Olivier Casas, Michel de Robert

Photo : Magali Silvestre De Sacy

Musique : Olivier Casas, Cyril Maurin et Simon Casas

Montage : Olivia Chiché

Durée : 106 min

Avec Yvan Attal, Mathieu Kassovitz, Victor Escoudé-Oury, Enzo Bonnet, Viggo Ferreira-Redier, Fernand Texier, Alma Jodorowsky, Jean-Stan du Pac…

Sortie en salles par Zinc Films le 24 avril 2024.

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