Après les dramatiques évènements de The Time Of The Doctor, notre seigneur du temps préféré reprend du service pour une nouvelle saison mais surtout débute un nouveau cycle de régénération avec une nouvelle apparence. Exit Matt Smith et bonjour Peter Capaldi ! Pour caricaturer, on passe d’un jeune premier à un vieux croulant, bouleversement plutôt rude pour le public et Clara, sa compagne de voyage actuelle, devant s’habituer désormais à voir ce visage marqué, anguleux et plus agressif que celui d’Eleven. Le principal enjeu de ce premier épisode sera donc d’introduire un « nouveau » Doctor, le faire progressivement accepter comme la nouvelle incarnation du protecteur de l’espace-temps tout en oeuvrant à construire une intrigue permettant de vibrer à ses aventures. Un nouveau défi pour le showrunner Steven Moffat (qui a pris le relais de Russel T. Davies à partir de la saison 5 de la nouvelle mouture) remarquablement relevé avec ce premier épisode. Afin de nous replonger dans cet univers incroyable, Moffat la joue en douceur en passant par le biais de l’époque victorienne plusieurs fois visitées où le Paternoster gang composé de madame Vastra, la détective reptilienne, sa femme Jenny et leur majordome sontarien, le commandant Strax est appelé à la rescousse suite à l’irruption d’un dinosaure en plein Londres. Alors que l’on s’interroge sur comment un tel phénomène a pu se produire, la réponse est littéralement craché par le tyranosaure lui-même, la célèbre cabine de police bleue étant propulsée de sa gueule. Le Docteur est complètement déphasé suite à la régénération de fin d’épisode précédent et a bien du mal à reconnaître ses compagnons, Clara en tête qu’il confond même avec Strax, au prétexte qu’ils ont la même taille. Cette perturbation inhérente à la transformation physique du Doctor Who est récurrente et permet de nombreux gags de situations et de langage. Moffat s’en donne à cœur joie, et tandis que Clara se fait du souci quant à son rapport au Docteur et ses problèmes de mémoire, les nombreuses répliques humoristiques (du Doc ou de Strax) détendent parfaitement l’atmosphère. Jusqu’à ce que l’horizon s’assombrisse suite à la destruction par le feu du dinosaure pour masquer un autre méfait. Le Doctor recouvre alors progressivement ses facultés pour enquêter sur des disparitions d’humains procédant du même modus operandi et se retrouve avec Clara sur la trace d’un robot prélevant des organes pour rafistoler sa personne, ses congénères et surtout leur vaisseau qui doit leur permettre d’atteindre ce qu’il nomme la Terre Promise.
L’épisode a quelques sautes de rythme dans sa première moitié, ce qui est plutôt raccord avec les difficultés du Docteur a reprendre pied. Cependant, la construction demeure intéressante car l’on se focalise alors plus précisément sur Clara, une compagne décriée par de nombreux fans, qui devient d’autant plus le référent du spectateur qu’elle doit faire avec un nouveau Docteur et questionne notre propre perception du personnage. Moffat en profite pour la bousculer et lui donner plus de saveur au travers de séquences l’opposant à madame Vastra puis au Docteur. Ce dernier est parti de son côté tenter d’en apprendre plus sur ce qui est advenu des personnes disparues ainsi que sur lui-même, sur son nouveau visage. Son questionnement sur la provenance justement de ces apparences après chaque régénération devrait rythmer la saison à venir.
Des références classiques et plus récentes jalonnent cet épisode pour favoriser la connection avec la mythologie de la série mais participent également d’un jeu de reconnaissance pour le spectateur qui renvoie aux difficultés à se rappeler de l’actuel Doctor. Face à ces robots qu’il lui semble familier, il aura du mal à se souvenir que ce sont des droïdes de même type que ceux rencontrés dans l’épisode 4 de la seconde saison, The Girl In The Fireplace. De plus, alors que l’on était sur un ton assez léger, le tableau va se noircir peu à peu avec des allusions et motifs assez macabres et dérangeants. Et plutôt osé pour une fiction grand public. Ainsi, il sera fait état que madame Vastra s’adonne dans sa cave à la dégustation de criminels sitôt leur culpabilité avéré, le ballon permettant à la capsule de sauvetage du vaisseau est fait en peau humaine et il faut voir le Docteur apposer naturellement le visage prélevé d’un humain sur celui de Clara. Entre autres joyeusetés. L’intention n’est pas ici de choquer gratuitement mais participe de la construction narrative et d’un nouvel état d’esprit. La onzième incarnation voulait oublier son passé, cette douzième elle se confrontera à ses actes, explorera une noirceur refoulée.
Principalement, il est question de nouveau visage, de nouvelle peau, pour le Docteur et « l’ennemi » du jour. Et comme souvent, l’aventure fait écho au propre désarroi du Docteur. Ce qu’il dit au robot cherchant à renouveler son apparence correspond parfaitement à sa propre personne/persona. “Question: if you take a broom and replace the handle, and then later replace the brush – and you do it over and over again – is it still the same broom? Answer: no, of course it isn’t, but you can still sweep the floor… You have replaced every piece of yourself, mechanical and organic, time and time again – there’s not a trace of the original you left. You probably can’t even remember where you got that face from.”
Et se voit superbement traduite à l’image par un plan montrant le robot regardant son reflet dans un plat et un changement d’angle nous fait apparaître celui d’un Docteur désemparé.
Le visage du Docteur apparaîtra même à maintes reprises difficilement discernable à cause de jeu d’ombre ou de reflets déformés, symbole de la quête identitaire à l’œuvre.
La nouvelle personnalité du Docteur se traduit également par ses actions et notamment la manière qu’il a d’inviter son opposant à boire un verre avant qu’il ne le tue. Le mettre hors d’état étant le seul moyen de sauver ses amis. Le robot finira d’ailleurs empalé après une chute du ballon en vol mais on ne nous montrera pas si c’est du fait du droïde lui-même, convaincu par le Docteur qu’il n’y a pas d’autre échappatoire, ou si le Docteur s’y est employé physiquement. Une ambigüité renouvelée (n’oublions pas que le Docteur ment et qu’il s’est toujours adonné à la manipulation avec ses compagnons), renforcée, instaurant une certaine expectative sur ce qu’il est capable de faire. Surtout, la question de la confiance envers ce nouveau Docteur est magnifiquement travaillée, notamment lors de la confrontation de Clara laissée seule (abandonnée même !) face au robot. A l’acmé de la tension, sa main trouvera t-elle dans son dos celle de son protecteur ? Une interrogation qui permet de délivrer une excellente séquence et qui taraudera sans doute notablement cette nouvelle saison.
En outre, cet épisode très riche questionne également l’acceptation de ce Docteur par Clara qui aura besoin d’un dernier argument émouvant par le biais d’un caméo final pour franchir le pas et donner sa chance au petit nouveau. L’interprétation et le charisme de Capaldi auront suffisamment intrigué pour convaincre de revenir chaque semaine. Si cette apparition peut sembler artificielle ou inappropriée, un plan de flashback de The Time Of The Doctor montre que cette résolution avait été déjà pensée et intégrée à l’Histoire du Docteur. Un rappel que Moffat ne laisse jamais rien au hasard ou à l’improvisation.
Cerise sur le gâteau, un nouveau personnage est introduit dans le prologue conclusif et soulève en quelques instants de nombreuses questions. Une certaine Missy, sorte de Mary Poppins dégénérée accueille le robot décédé dans ce qu’elle présente comme la fameuse Terre Promise et qu’elle appelle le Paradis. Un personnage qui connaît le Docteur et le défini come son boyfriend. Les spéculations vont bon train sur sa véritable identité (Un Master féminisé ? Le retour d’un vieil ennemi, Le Rani ? River Song ? Une dérivation maléfique de Clara, la fille impossible ? Le TARDIS lui-même ?) d’autant que cette femme semble être l’instigatrice de la rencontre de Clara et le onzième Docteur dans l’épisode 6 de la septième saison The Bells Of St-John (la femme du magasin donnant le numéro du TARDIS à Clara) et que le lieu où elle évolue renvoie à celui de l’épisode 10 de la sixième saison, The Girl Who Waited.
Si l’on compare cet épisode avec The Eleventh Hour le précédent changement de Docteur ouvrant la cinquième saison, une légère frustration voire déception peut s’insinuer devant un spectacle moins enlevé et flamboyant. Mais n’oublions pas que dans les deux cas Moffat doit gérer des situations différentes (la cinquième saison était à la fois les débuts de Moffat en tant que showrunner et ceux de SON Docteur, tout comme on rencontrait une nouvelle partenaire. Ici, il doit manoeuvrer un changement d’envergure dans la continuité) et cela vient également des personnalités divergentes des deux incarnations du Timelord, Eleven était une rockstar tandis que Twelve est plus introverti (voire son malaise face à l’effusion de sentiment de Clara qui le serre dans ses bras). Avec ces prémisses, Moffat et son équipe réussissent un joli travail d’équilibriste tout en lançant de solides pistes narratives. De bons présages pour la suite.
Nicolas Zugasti
Doctor Who Saison 8 – épisode 01: Deep Breath
Showrunner : Steven Moffat
Réalisation : Ben Weathley
Scénario : Steven Moffat
Interprètes : Peter Capaldi, Jenna Coleman, Neve McIntosh, Dan Starkey, Catrin Stewart, Peter Ferdinando, Michelle Gomez…
Montage : William Oswald
Photo : Magni Agustsson
Musique : Murray Gold
Origine: Royaume-Uni
Duréé : 1h19
Diffusion BBC One: 23 août 2014
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