Après Furie, Pulsions et Blow Out de Brian De Palma ou encore Piranhas et Panic Sur Florida Beach de Joe Dante (et en attendant son excellent Les Banlieusards, annoncé dans un premier temps pour être finalement repoussé), Carlotta a récemment ressorti un film que beaucoup ont certainement oublié,Dreamscape et ce, dans une édition Blu-ray et DVD qui, bien que pauvre en bonus (un entretien de 15 minutes avec Dennis Quaid et la bande annonce du film), enterre la précédente édition DVD par la qualité de son image (via un nouveau master restauré HD), la présence de sous-titres français sur la version originale et la superbe affiche dessinée de Drew Struzan comme jaquette en lieu et place des affreux montages photos assistés par ordinateur qui sont devenus aujourd’hui monnaie courante.
L’un des fleurons (osons le dire) du cinéma fantastique des années 80 et meilleur film à ce jour du réalisateur Joseph Ruben (connu surtout pour des films tels Le Beau-Père et Les nuits avec mon ennemi avec Julia Roberts), Dreamscape happe le spectateur dès ses premières minutes, exemplaires dans la façon immédiate et sans détour inutile de poser les enjeux et les personnages principaux, pour ne plus le lâcher une heure et demi durant, allant toujours à l’essentiel malgré un scénario foisonnant d’idées à n’en plus pouvoir (une constante également de l’époque qui atteignit son summum avec L’aventure intérieure de Joe Dante).
En galère d’argent, le jeune surdoué télépathe Alex Gardner (Quaid) se retrouve contraint de participer à des expériences menées par le professeur Paul Novotny (Max Von Sydow) et le Dr Jane DeVries (Kate Capshaw alors au top de sa beauté) sur la possibilité de s’introduire dans les rêves d’autrui afin d’en modifier le cours et aider les rêveurs à dépasser les traumatismes sous-jaçents dont leurs cauchemars sont la manifestation. Mais très vite la machine va s’emballer et, entre un écrivain de romans horrifiques un peu trop curieux, un second télépathe lui aussi engagé sur le projet et dont le comportement est tendancieux (interprété par l’excellent David Patrick Kelly), l’énigmatique et froid chef des services secrets Bob Blair (Christopher Plummer) et le Président des Etats-Unis lui-même qui souffre de manière chronique de cauchemars où le pays a été dévasté par une explosion nucléaire, Alex va avoir fort à faire pour se sortir de cet engrenage et d’un complot politique qui pourrait lui coûter la vie si l’on en croit l’adage qui dit que lorsque l’on meure dans ses rêves on meure réellement.
Le scénario du film, sa force incontestable, est implacable, rigoureux, dans sa construction, un parfait engrenage diabolique dans lequel est pris le héros, évitant les intrigues secondaires pour aller à l’essentiel, fonctionnant par palier jusqu’au crescendo final. Le film tient d’ailleurs ses promesses jusqu’à la dernière minute et son coup de théâtre final. Rien d’étonnant quand on trouve à l’écriture Chuck Russell à qui l’on devra peu après en tant que réalisateur Freddy 3 – Les griffes du cauchemar et surtout l’excellent Le Blob.
Entre un scénario béton donc, des acteurs tous plus excellents les uns que les autres, une réalisation carrée, lisible, qui va à l’essentiel mais sait créer de véritables atmosphères (voir ces plans de nuit sur l’institut avec un léger et presque imperceptible travelling avant sur le bâtiment), les fausses notes d’alors, peu nombreuses au demeurant, restent toujours des points faibles aujourd’hui, A savoir les effets en stop motion liés à l’homme-serpent d’un côté et la partition électronique de Maurice Jarre de l’autre, rééditée récemment chez Intrada. Si elle était typique de cette période chez Jarre, mise à part un joli love thème au saxophone, instrument de musique typique d’alors dans les bandes originales, nous sommes loin de l’excellence d’autres travaux électroniques de la même époque tels Witness et Enemy Mine. Deux points qui n’entachent cependant nullement la qualité du film.
Outre le plaisir donc de se laisser à nouveau emporter par le film, revoir Dreamscape aujourd’hui permet de mesurer toute l’avancée technologique parcourue en 30 ans par le cinéma d’anticipation principalement et la suprématie de l’effet virtuel sur l’effet réel. A l’inverse d’aujourd’hui donc où ce virtuel se suffit encore trop à lui-même, où le numérique est encore trop une fin et non un moyen, les films tel Dreamscape bénéficiaient alors d’une mise en scène plus ou moins élaborée des effets spéciaux car il n’était pas possible de tout montrer (l’effet spécial étant souvent le détail d’un tout évoqué hors champ). Et ce peu à montrer devait l’être autrement que de façon frontale et crue (à moins de maîtriser la technologie, ce qui pouvait arriver de temps en temps comme dans la transformation du Loup garou de Londres de John Landis), de façon stylisée comme c’est le cas avec Dreamscape qui de par son sujet même, un voyage au sein des rêves, permettait donc de s’émanciper de la réalité et au réalisateur de formaliser des ambiances différentes pour chaque rêve. Cinq songes abordés comme autant de tableaux à l’intérieur desquels Ruben va jouer avec l’esthétique afin de tordre la réalité et de conférer aux scènes un aspect onirique essentiel. A ce sujet, le cauchemar du petit garçon est le plus réussi.
L’édition présente est certes minimaliste (mais les suppléments existants ne doivent guère être légions sur un tel film) mais elle a surtout le mérite d’exister et de permettre de faire découvrir ou redécouvrir cette excellente série B qui n’a pu qu’influencer Christopher Nolan et son Inception.
Philippe Sartorelli
DREAMSCAPE
Réalisation : Joseph Ruben
Scénario : David Loughery, Chuck Russell, Joseph Ruben
Interprètes : Dennis Quaid, Max von Sydow, Kate Capshaw, David Patrick Kelly, Eddie Albert…
Photo : Brian Tufano
Montage : Richard Halsey
Musique : Maurice Jarre
Pays : Etats-Unis
Durée : 1h39
Sortie DVD/Blu-ray : 20 août 2014
Editeur : Carlotta Films
Sympathique critique d’un film qui l’est tout autant, avec sa « texture » eighties qui cousine avec le film à sketches La Quatrième dimension. Une œuvre fantastique un peu folle, entre L’Aventure intérieure et Buckaroo Banzai.