Le cinéaste à qui Malavida consacre, à partir du 9 novembre, une grande rétrospective en salles, a toujours été difficile à classer. Louis Malle, qui débute sa carrière en 1955 avec Le monde du silence et l’achève en 1994 avec Vanya, 42e rue, faisait-il partie de la Nouvelle Vague ? Si l’on met de côté son premier film, un documentaire réalisé au fond des mers avec Jacques-Yves Cousteau, le suivant, Ascenseur pour l’échafaud (1958), présente beaucoup de points communs avec les premiers films que réalisent à la même époque Godard, Truffaut et consorts. Dont le tournage nocturne dans les rues de Paris, avec des images signées par Henri Decae, le même qui dirigera la photo pour Les 400 coups de Truffaut et Les Cousins de Chabrol. Puis, Louis Malle s’éloignera de la Nouvelle Vague.

Sous le titre de « Gentleman provocateur », c’est en plusieurs temps que se déclinera la rétrospective Louis Malle conçue par Malavida, après une première salve d’honneur au récent festival Lumière de Lyon — avec une série de projections très applaudies et accompagnées par Alexandra Stewart et Justine Malle, la fille du cinéaste. Rétrospective qui démarre avec six films, restaurés par Gaumont : Ascenseur pour l’échafaud, Les amants (1958), Le feu follet (1963), Viva Maria ! (1965), Le voleur (1967) et Le souffle au cœur (1971).
Six films qui montrent combien Malle se sent proche de la littérature. Il convoque Roger Nimier pour le scénario d’Ascenseur, Louise de Vilmorin pour celui des Amants, adapte Drieu la Rochelle pour Le feu follet — la mort accidentelle de Nimier empêche ce dernier de participer au scénario, comme le lui avait demandé Malle — et Georges Darien pour Le voleur. Il travaille aussi avec Jean-Claude Carrière pour ce dernier film et pour Viva Maria ! Du fascisant Drieu à l’anar Darien, du hussard Nimier à l’impertinente Louise de Vilmorin, l’éventail est très large. Et les voix-off qui accompagnent souvent les films appuient davantage encore les sources littéraires.

Bien que Le monde du silence ait obtenu la Palme d’or cannoise, c’est Ascenseur pour l’échafaud qui assoit la réputation de Louis Malle. Les déambulations de Jeanne Moreau dans les rues de Paris, accompagnées par la sublime musique de Miles Davis, le concours de circonstances qui enferme Maurice Ronet dans un ascenseur, les quiproquos policiers et l’ambiance générale du film font qu’on le regarde aujourd’hui avec beaucoup d’intérêt : non seulement pour la vision qu’il offre du Paris de cette époque, avec ses premières autoroutes, mais également pour ses qualités intrinsèques. Moreau, Ronet, Miles, auxquels s’ajoutent Lino Ventura dans le rôle du commissaire et une flopée de comédiens qu’on adore et qui font un petit tour ou deux (citons Charles Denner, Jean-Claude Brialy, Hubert Deschamps, Félix Marten, Georges Poujouly et quelques autres) rendent ce film incontournable.
Adapté d’un roman du XVIIIe siècle de Vivant Denon — celui qui donne son nom à une aile du Louvre —, Les amants est contemporain des Liaisons dangereuses que sort Roger Vadim l’année suivante. Les deux histoires parlent d’amour et de manipulation et ont pour origine des romans jugés licencieux à leur époque. Il en va de même à celle de leur sortie. Ainsi, pour Les amants, malgré un prix spécial du jury décroché à Venise, les foudres de la censure pleuvent sur le film. Il est condamné par les milieux catholiques, censuré en Angleterre et est l’objet d’un procès aux États-Unis. Toujours la même histoire pour des films novateurs, pourrait-on risquer, si Alain Cuny dans le film ne réglait définitivement un sort à ce vocable : « Toujours, c’est un mot de femmes. »

Le film est ainsi truffé par Louise de Vilmorin de mots d’auteur : « Tu n’as pas besoin d’avoir un genre, assène encore Cuny à son épouse Jeanne Moreau, puisque tu as un mari ! » À quoi cette dernière répond : « Un mari qui me regarde quand il lui tombe un œil ! » En une séquence et quelques dialogues, Malle abat ses cartes et montre l’ennui qui règne au sein d’un couple de grands bourgeois. « Jeanne s’était crue dans un drame et ce n’était qu’un vaudeville », insiste cruellement et ironiquement la voix-off.
Malgré le parfum de scandale qui entoure le nom de Malle et les sujets dont il s’empare (meurtre et adultère pour Ascenseur, adultère encore pour Les amants, suicide pour Le feu follet, inceste pour Le souffle au cœur, anticonformisme pour Le voleur) et malgré le titre de la rétrospective qui le sous-entend, le cinéaste n’est pas qu’un provocateur. Ne démarre-t-il pas Les amants en laissant sa caméra se poser sur la carte du Tendre, quelque part entre la mer Dangereuse et le lac d’Indifférence ? Et ne s’approprie-t-il pas la destinée de son voleur dans le film tiré de Darien, lui qui se sent tant de points communs avec le personnage ?

Louis Malle ne regarde jamais de haut les héros des aventures qu’il filme. Il n’a aucun mépris pour eux, pas même pour Lacombe Lucien qui, pourtant, dans le film qui porte son nom, devient collabo faute de n’avoir pu entrer dans la Résistance. Comme si Malle ressentait de l’empathie pour tous, quels qu’ils soient, meurtriers ou victimes, mais humains.
Ajoutons que, dans ce panel de récits sombres, Viva Maria ! fait office de parenthèse enchantée, hymne à la vie, à la révolution et à la féminité avec ces deux femmes, Maria et Maria (Jeanne Moreau et Brigitte Bardot), qui embrassent la cause des révoltés mexicains. Et l’on a le droit de prendre le verbe « embrasser » au sens propre comme au sens figuré.
Alors, quel mal y a-t-il, en compagnie de Malle, à se faire du bien ?
Jean-Charles Lemeunier
« Louis Malle, gentleman provocateur », partie 1 : six films de Louis Malle, restaurés par Gaumont et proposés en salles par Malavida le 9 novembre 2022.