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« Chercher la part d’humain », c’est ce que revendique le cinéaste slovaque Dušan Hanák
dans le bonus du DVD de son film Ružové sny (1976, Rêves en rose), que vient de sortir Malavida dans sa belle collection Collector.

Une part d’humain partagée par tous les personnages qui peuplent ces Rêves : les uns sont gadjos, les autres roms et chacun déteste l’autre camp. Chacun, sauf le facteur Jakub (Juraj Nvota), slovaque bon teint profondément amoureux de Jolanka (Iva Bittová), une Rom qui vit dans un campement à côté du village. On sent se dessiner ici une histoire à la Roméo et Juliette qu’auraient transposée dans la campagne tchécoslovaque Dušan Hanák et son coscénariste Dušan Dušek. Sauf que nous sommes dans la réalité, c’est en tout cas ce que confirme le film avec sa part documentarisée qui nous montre un mariage et des funérailles roms. Sauf que, dans la vraie vie, en tout cas dans ce pays « normalisé », il n’y a plus ni Mercutio ni Tybalt pour se confronter épées à la main. Roméo et Juliette connaissent ici un amour certes condamné des deux côtés mais personne ne les empêchera de goûter à la vie de couple et de se rendre compte que, sans argent, qu’on soit amoureux ou pas, ce n’est pas facile de joindre les deux bouts.

La Tchécoslovaquie était qualifiée de « normalisée » dans le paragraphe précédent. Le livret de Rêves en rose qui accompagne le DVD explique, dans un article écrit par Marcel Šedo, ce qu’était la « Normalisation » : « un retour aux normes totalitaires » imposé aux studios de cinéma fédératifs de Tchécoslovaquie. Étaient désormais exclus des films tout ce qui avait le sel de la Nouvelle Vague tchèque : « libéralisme, révisionnisme, anti-soviétisme, anti-socialisme, sexualité de mauvais goût, scepticisme, religionisme, ignorance des différences de classes, pessimisme, morbidité anti-populaire, poésie de la laideur », c’est ainsi qu’était décrit par le conseiller Miloš Krna le cinéma tchécoslovaque des années soixante.

C’est donc dans ce contexte de l’après-printemps de Prague que Rêves en rose peut être tourné. « Il n’y avait pas eu un seul film sur les Roms ici, avant », témoigne Hanák dans le livret. Il est vrai qu’existait, dès 1967, J’ai même rencontré des Tziganes heureux d’Aleksandar Petrovic mais le film battait pavillon yougoslave, pas tchécoslovaque.

Rêves en rose suit donc d’une manière amusée le quotidien burlesque du petit facteur, de son amoureuse et de tous ces gens qui gravitent autour : le grand-père affamé qui grimpe au sommet d’un arbre avec des paniers de nourriture, le père en pyjama toujours sous médicaments, la grand-mère rom aveugle, le chef de la poste, l’oncle qui vit à l’écart du village, chacun a ses caractéristiques, chacun est en soi un personnage de comédie. Dans le genre de ces comédies loufoques dignes d’Otar Iosseliani. Que dire par exemple de ce plan où, sur une route de campagne, un homme en mobylette croise les deux jeunes gens et part vers le lointain avant de se casser la figure ? La force de Rêves en rose vient aussi du mélange d’acteurs professionnels avec des non-professionnels. Tous conviennent parfaitement aux rôles qu’ils jouent et la différence entre les uns et les autres n’est pas visible. La présence des non-professionnels donne sans doute encore plus de véracité au sujet.

La mise en scène de Hanák en rajoute dans le burlesque. Lorsque Jakub annonce « Je l’aime et je veux l’épouser », le plan suivant montre un mur qui s’écroule. Le cinéaste ne cache pas les tensions qui existent entre les deux communautés, surtout visibles lors de la séquence du bal. Et cet affranchissement des règles que réclament nos deux amoureux semble aux yeux des deux populations complètement déplacé. « Sois libre comme un oiseau, c’est une chanson » lance Jolanka à Jakub mais l’on se rendra bien compte que l’air pur et l’eau fraîche ne suffiront pas plus tard à leur quotidien.

Hanák le raconte dans le bonus, son film eut des problèmes avec la censure. On le qualifia aussi de « raciste », ce que conteste le cinéaste. « Le film, se défend-il, ne parlait ni des Roms ni des jeunes tel que le voulaient les fonctionnaires idéologiques. » Il ajoute que c’est même malgré eux que le film a obtenu un prix du public : celui-là, ils ne pouvaient le contrôler.

Jean-Charles Lemeunier

Rêves en rose
Année : 1976
Titre original : Ružové sny
Origine : Tchécoslovaquie
Réal. : Dušan Hanák
Scén. : Dušan Dušek et Dušan Hanák
Photographie : Dodo Šimončič
Montage : Alfréd Benčič
Musique : Petr Hapka
Durée : 81 minutes
Avec Juraj Nvota, Iva Bittová, Josef Hlinomaz, Marie Motlová…

Sortie en DVD par Malavida en octobre 2020.

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