C’est sans doute parce qu’il a obtenu son prix Lumière à Lyon en 2015, mais aussi parce qu’il est l’ami de Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier, respectivement directeur et président de l’Institut Lumière, que Martin Scorsese a accepté de venir présenter au festival Lumière son dernier opus, The Irishman. Après seulement deux avant-premières à New York et Londres. Un film produit par Netflix et qui ne sortira en salles, aux États-Unis, que sur un court laps de temps. The Irishman sera disponible sur Netflix le 27 novembre et aura visiblement droit à une rapide exploitation dans les cinémas français.
Pour mieux illustrer l’attente, Thierry Frémaux annonçait que « les 1800 fauteuils de l’auditorium de Lyon étaient partis en trente secondes. » Bertrand Tavernier avouait son admiration pour Marty : « Il a été pour moi un modèle avec ses films sur les cinémas italien et américain. Il m’a donné l’envie de le faire avec le cinéma français. »
The Irishman est mené tambour battant par un trio impeccable : Robert De Niro — qui porte tout au long du film des lentilles bleues —, Al Pacino et Joe Pesci. Auxquels s’ajoute dans un rôle secondaire Harvey Keitel. « Je pensais qu’avec De Niro, nous n’avions plus rien à faire ensemble, confiait Scorsese ce soir-là. Surtout pour des films se passant dans le même milieu. Il y a quelques années, Bob est arrivé avec un livre qu’il m’a donné avec beaucoup d’émotion. Il était déjà le personnage. Il avait envie de faire le film et, une fois le livre lu, nous avions tous envie de le faire. Le scénario parle aussi du passage du temps. J’avais le film en tête, son style, je savais qu’il fallait que je le fasse. L’état actuel du cinéma m’a mis en colère et poussé encore plus à le tourner. Les films américains sont devenus comme des parcs d’attraction, avec une séparation de plus en plus nette entre le cinéma d’amusement et l’art. »
On retrouve dans The Irishman tout ce qui fait les plus grands Scorsese : la violence, l’humour, une dose de cynisme, la fluidité de la mise en scène, une ambiance se rapprochant de celle des Affranchis et, comme le précisait le cinéaste sur la scène de l’auditorium, « le passage du temps ». Si la plupart des protagonistes finiront avec quelques balles dans le corps — à chaque nouvelle entrée d’un mafieux dans l’histoire, quelques lignes nous précisent quelle sera sa mort violente —, quelques-uns vont mourir de vieillesse. Ce vieillissement fait partie du récit, en devient un point fort.
Les gangsters du film ont réellement existé — De Niro est Frank Sheeran, Pesci Russell Bufalino, Pacino Jimmy Hoffa —, de même que les liens entretenus avec la famille Kennedy. Le film parle de tout cela, de la hargne de la mafia contre Robert Kennedy devenu ministre de la Justice et contre Fidel Castro qui l’empêche de récupérer les casinos de La Havane. The Irishman prend également le rythme d’un road movie, avec ce voyage en voiture à travers le nord du pays, au cours duquel De Niro se remémore sa carrière de tueur à gages et de représentant du syndicat des camionneurs.
Curieusement, du trio de tête, c’est De Niro que je placerais en dernier. Pacino fait du Pacino, un mec irascible, qui n’a peur de rien et surtout pas de ses copains chatouilleux de la gâchette, qui s’emporte facilement. Bref, du grand art. Grand art aussi que celui de Joe Pesci, tout en calme et mesure et qui abat ses cartes dans l’ombre. Quant à De Niro, il reste gigantesque dans plus d’une scène, malgré quelques grimaces assez envahissantes. D’autant que, quand il est censé être jeune, le plâtrage sur son visage lui donne un air botoxé assez curieux.
Mais qu’importe, on oublie cela face aux 3h30 que dure The Irishman, 3h30 qui passent aussi rapidement qu’une balle de .357 Magnum transperce un méchant.
Jean-Charles Lemeunier