En ces temps de disette intellectuelle où le moindre crétin a droit à des heures d’antenne, d’autant plus s’il est un héros de télé-réalité, on se dit que s’instruire est devenu un luxe, une lutte à mener sans faillir. Apprendre que Blaq Out s’intéresse à un cinéaste aussi oublié qu’Henri Diamant-Berger et qu’il lui consacre un très beau volume contenant deux DVD et les mémoires quasiment introuvables aujourd’hui du monsieur (Le cinéma, quelle aventure), le bond de joie pratiqué par le cinéphile curieux des débuts du cinéma atteindra alors une hauteur olympique. Car Henri a non seulement connu les balbutiements du septième art (il a l’âge du cinéma, puisque né en 1895, et y a travaillé comme réalisateur dès 1915) mais il s’est passionné dès sa prime enfance pour lui et pour le théâtre. D’abord comme spectateur, puis journaliste. Les premières pages sont d’ailleurs étonnantes. En quelques lignes, il fait revivre un monde à jamais disparu où apparaissent les noms de Buffalo Bill, Sarah Bernhardt, Jean Jaurès ou Tristan Bernard, autant de personnages mythiques qu’il a approchés.
Avec beaucoup d’humour et de pragmatisme, il brosse des portraits enlevés d’individus hauts en couleurs. Ainsi, Ferdinand Zecca, un des premiers cinéastes, qui faisait passer pour des actualités des événements qu’il recréait de toute pièce, telle l’éruption de la Montagne Pelée où le technicien qui faisait la fumée du volcan avec sa pipe sort soudain la tête par le cratère. Ou Pierre Decourcelle, écrivain et fondateur de la SCAGL (Société cinématographique des auteurs et gens de lettres) et qui, selon Diamant-Berger, n’avait jamais écrit une seule ligne de sa vie. Un jour, apprenant que son « nègre » officiel venait de mourir sans avoir pu fournir la livraison qu’un journal attendait, Decourcelle écrivit tant bien que mal un épisode de son feuilleton pour s’apercevoir que son « nègre » sous-traitait avec un autre « nègre » et que le texte avait déjà été donné.
Tout le livre fourmille ainsi d’anecdotes truculentes. Dans le documentaire, présent sur l’un des deux DVD, que son petit-fils Jérôme Diamant-Berger et Liliane de Kermadec consacrent à Henri Diamant-Berger (Le cinéma de grand-père), Jérôme précise avec fierté : « A 20 ans, il deviendra le plus jeune réalisateur du monde. Il a inventé la script girl, la bande-annonce, le premier journal de cinéma, les premiers tournages en extérieurs, les premiers essais en Technicolor… «
Cinéaste et producteur, HDB se rend plusieurs fois aux Etats-Unis dans les années vingt, où il réalise six films et crée les studios Diamant à Fort Lee. La guerre va le contraindre à fuir la France et son petit-fils raconte comment les nazis ont été jusqu’à gratter les pellicules de ses films pour que son nom n’apparaisse plus à l’écran. Parce qu’il est juif et engagé dans la France Libre.
Quand on parcourt la filmographie d’Henri Diamant-Berger, on s’aperçoit que son nom est resté dans les mémoires essentiellement grâce à deux films portant le même titre et tournées dans la cité médiévale de Pérouges, proche de Lyon : Les trois mousquetaires. La première version, muette, est tournée en 1921, la seconde, parlante, en 1932. La première, raconte le documentaire, faillit même avoir Douglas Fairbanks en D’Artagnan. Mais l’Américain refusa de tourner en France et fit sa propre version du roman de Dumas à Hollywood. Et, contrairement à ce qu’annonce le site d’Unifrance, information reprise par Wikipedia (comme quoi la version 1932 aurait été détruite par les nazis), les deux films sont disponibles en DVD chez LCJ Editions.
Toujours à l’aise dans l’anecdote, HDB raconte que, pour que la robe du cardinal Richelieu paraisse rouge dans le noir et blanc de l’époque, l’acteur Edouard de Max devait se promener dans des vêtements jaune canari. Et, qu’au cours d’une répétition que lui imposait sa partenaire Claude Mérelle, de Max l’envoya vertement balader.
De la carrière après-guerre de Diamant-Berger, on ne retiendra surtout que ses productions : deux films de Robert Dhéry (les sympathiques La belle américaine et Allez France) et deux de Jean-Pierre Mocky (les excellents Un drôle de paroissien et Les compagnons de la marguerite). Quant à ses réalisations, malgré Monsieur Fabre que lui-même considère comme son meilleur film, on ne trouve guère que des vieilleries ayant sans doute mal vécu le passage du temps : Mon curé chez les riches (1952), Le chasseur de chez Maxim’s (1953), Mon curé chez les pauvres (1956), Messieurs les ronds-de-cuir (1959).
Restent ses réalisations de l’époque du muet et des débuts du parlant qui, elles, font très envie. LCJ en a édité plusieurs (Paris la nuit, Sola, Clair de lune) et l’on complétera cette connaissance grâce au coffret de Blaq Out. En plus des fantastiques mémoires de Diamant-Berger, y sont aussi présents un court-métrage (Une soirée mondaine, 1917), cinq moyens-métrages tournés entre 1918 et 1923 et un long-métrage de 1927, Rue de la Paix, se déroulant dans les milieux de la mode.
Un des points forts de la carrière de HDB est d’avoir toujours su bien s’entourer. On retrouve dans ses génériques les noms de l’architecte Mallet-Stevens pour les décors, de Django Reinhardt pour la partition, de Robert Bresson comme assistant. Même le grand et irascible Clémenceau, qui l’a envoyé en mission en Amérique dix ans auparavant, accepta en 1928 un film-interview. Pour l’interprétation, Maurice Chevalier l’accompagne dans une série de courts et moyens-métrages, dont plusieurs sont présents dans le coffret. Dans Une soirée mondaine, Chevalier a pour partenaires Mistinguett et le chanteur Mayol, dont il parodie la célèbre houppe, cette touffe de cheveux qui caractérise l’interprète de Viens poupoule. Dans L’affaire de la rue de Lourcine (1923), le tiercé gagnant a pour nom Diamant-Berger pour la réalisation, Labiche pour le texte original et Chevalier pour l’interprétation. C’est sans doute l’une des faiblesses de Diamant : pour un Labiche ou un Dumas, pour un Francis Carco qui a écrit le scénario de Paris la nuit, combien de Clément Vautel, de Flers et Caillavet, de Maurice Dekobra ? Même Yves Mirande et Courteline, quand il adapte leurs textes dans les années cinquante, se sont sacrément empoussiérés ou c’est la façon de les porter à l’écran qui a désormais pris un coup de vieux. Mais malgré la faiblesse de la fin de carrière en tant que cinéaste, il reste ses coups de génie, surtout celui de permettre à Mocky de tourner deux chefs-d’oeuvre.
L’Histoire est ainsi pleine d’auteurs méconnus, célèbres en leur temps et aujourd’hui oubliés. Prendre le temps de s’y intéresser, c’est mieux comprendre une époque et leur donner un ultime regard, un ultime égard pour tout ce qu’ils ont construit.
Jean-Charles Lemeunier
« Le cinéma d’Henri Diamant-Berger », coffret comprenant deux DVD et le livre « Le cinéma, quelle aventure : mémoires d’Henri Diamant-Berger », édité par Blaq Out le 18 décembre 2018.