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On attend toujours avec impatience des nouvelles du Chat qui fume, cet éditeur qui sait toujours nous réserver de belles surprises. La longue nuit de l’exorcisme (1972) de Lucio Fulci est de celles-là, un film connu également sous ses titres italien (Non si sevizia un paperino) et international (Don’t Torture a Duckling).

Premier étonnement, une fois qu’on a vu le film : la bêtise du titre français, qui préfère jouer sur la réputation de maître de films d’horreur de Fulci plutôt que de traduire vraiment. « Ne torturez pas un petit canard », annoncent les anglophones tandis que le paperino renvoie à Donald Duck (c’est ainsi que les Italiens ont baptisé l’ami de Topolino, alias Mickey). Tant en italien qu’en anglais, le titre est bien meilleur que cette histoire d’exorcisme rabâchée par les Français. Il faut avouer que, sorti en 1972 chez nos voisins, Non si sevizia un paperino n’arrive qu’en 1978 chez nous. Autant dire qu’entre temps, le tsunami de L’exorciste a fait ses ravages. Et que, quoi qu’on en dise, il n’est pas du tout question d’exorcisme ici. Quel dommage car quel beau titre original. Le petit canard auquel il est fait allusion est celui que tient un enfant qui a été tué. Car Fulci, même s’il met en scène une vague sorcière (Florinda Bolkan) et son oncle/amant (Georges Wilson), parle essentiellement de meurtres d’enfants. D’une façon terrible !


Fulci va toujours droit au but. Il est direct. Et lorsqu’il traite d’un assassin d’enfants, il filme des assassinats d’enfants. Sans mièvrerie, sans ellipse, sans tourner autour du pot. Ses enfants ne sont d’ailleurs pas enfantins (si ce n’est une petite fille attardée). Les autres, des gamins qui doivent avoir une douzaine d’années tout au plus, se comportent plutôt en adultes. Ils fument, jouent aux voyeurs quand deux prostituées débarquent en Fiat dans le village, entraînant une file d’attente masculine devant la ferme en ruines où se déroulent les ébats. Alors, lorsque ces enfants meurent, Fulci les filme ou montre une main sortant de la boue, ce que l’on fait habituellement lorsqu’il s’agit d’adultes.

Enfin, toujours dans le genre direct voire brutal, Fulci n’hésite pas à dévoiler ce que ses confrères se contentent de suggérer. Dans ce même village vit une ravissante blonde (Barbara Bouchet), que son riche père milanais a exilée dans cette campagne de la Basilicate, région voisine de la Calabre et des Pouilles, parce qu’elle avait de mauvaises fréquentations. La belle s’ennuie. Profondément, même. Alors, elle s’amuse à provoquer en se baladant en jupe très courte. Ou en prenant un bain de soleil complètement nue et en demandant au jeune fils du gardien de sa villa de venir lui apporter un verre. Et de ne pas baisser le regard. Autant qu’il profite de la vue ! On comprendra qu’avec ce genre de scène et celles des meurtres, le film ait été interdit aux moins de 18 ans.

Tout commence donc par un enfant que l’on enlève. À travers ce récit d’une enquête menée par les carabinieri de Monte Sant’Angelo, précise Fulci — donc, en regardant sur une carte, venant des Pouilles cette fois, dont Matera, où est tournée la majeure partie du film, est proche — et par un journaliste (Tomás Milián, acteur d’origine cubaine qui fit une grande partie de sa carrière en Italie et qui vient de décéder le 22 mars dernier), Fulci veut également montrer les réactions des villageois, dont les soupçons vont se porter tour à tour vers l’idiot du village (Vito Passeri) ou celle que l’on dénomme « la sorcière ». Le spectateur, qui joue au même jeu que les péquenauds mais sans arrière-pensée, se prend à soupçonner tout le monde : le journaliste, la belle Barbara, la sorcière, son tonton et même le curé (Marc Porel).

Sans en dire plus sur les investigations, on remarquera une fois de plus combien Fulci est gonflé. Le sujet, la manière dont il le traite, la conclusion, tout a dû faire suer à grosses gouttes les censeurs, et pas seulement ceux du Vatican. Gonflé, oui le Lucio l’est certainement qui ne se place jamais au-dessus de la mêlée, ne juge ni les uns ni les autres et se contente de regarder et de souligner. Ici, il pointe du doigt les superstitions paysannes, là l’incapacité de la magistrature à démêler des attitudes qu’elle ne comprend pas. Là encore, c’est la fille de la ville et ses problèmes de drogue et de sexe et, ici, les régionaux de l’étape qui se défoulent de cette même frustration sexuelle dans une ferme abandonnée. Sur tout cela, pèse le couvercle de la religion à travers un jeune curé qui, s’il aime jouer au foot avec les gamins du village, n’en condamne pas moins tout écart à la vertu. Non, décidément, la très catholique Italie a dû être choquée !
Si les meurtres des enfants sont brutaux, celui de la sorcière l’est aussi qui, échappant à ses bourreaux, parvient au bord d’une route. Dans leurs voitures, les familles en vacances ne font pas attention à elle. « Plus horrible que la violence, remarque dans l’un des bonus Jean-François Rauger, directeur de programmation à la Cinémathèque française, est l’indifférence du monde. »

La longue nuit de l’exorcisme peut-il jouir du statut de giallo, ces films policiers dans lesquels des tueurs fous tuent à l’arme blanche ? Le giallo est souvent urbain. En abandonnant l’arme blanche, en transposant l’action à la campagne, en soulignant les névroses des uns et des autres, en montrant ce qu’il est de mauvais goût de montrer et en délaissant parfois l’action au profit de séquences descriptives et d’absence de jugement, Lucio Fulci n’est pas de ces cinéastes qui jettent en pâture au public ce que celui-ci attend. Au contraire, il le prend tout du long à rebrousse-poil, regarde les actes des uns et des autres d’une façon lucide et ouvre, l’air de rien, des horizons politiques et sociaux auxquels on ne s’attendait pas.
Enfin, dernier plaisir de ce beau combo, les bonus qui, c’est une habitude du Chat qui fume, présentent des interviews des deux actrices du film, Florinda Bolkan et Barbara Bouchet, mais aussi du chef op’ Sergio D’Offizi, de Bruno Micheli qui travailla au montage, et des images d’archives de Fulci. Ajoutons encore des analyses pertinentes de Lionel Grenier, Olivier Père, Jean-François Rauger et Fathi Beddiar.

Jean-Charles Lemeunier


La longue nuit de l’exorcisme

Année : 1972
Titre original : Non si sevizia un paperino
Titre international : Don’t Torture a Duckling
Origine : Italie
Réal. : Lucio Fulci
Scén. : Gianfranco Clerici, Lucio Fulci, Roberto Gianviti
Photo : Sergio D’Offizi
Musique : Riz Ortolani
Montage : Ornella Micheli
Durée : 102 minutes
Film interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en France
Avec Barbara Bouchet, Tomás Milián, Florinda Bolkan, Irène Papas, Marc Porel, georges Wilson, Antonello Campodifiori, Ugo D’Alessio, Andrea Aureli

Combo DVD/Blu-ray édité par Le Chat qui fume le 15 juin 2017.

 

 

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