Dès les premières séquences de Chez nous, le film de Lucas Belvaux qui fait grincer quelques dents — celles du fond, à droite —, la caméra se pose sur un pont. En dessous, on a le choix entre deux voies : l’une est tranquille, l’autre est une autoroute. Pauline Duhez, la jeune héroïne du film interprétée par Émilie Dequenne, et quiconque vit dans le pays a lui-même le choix, semble nous dire Belvaux, le choix politique de choisir l’une ou l’autre des routes qui s’offrent à lui.
Nous sommes à Hénart, dans le Pas-de-Calais, une ville dont le nom semble inspiré de Hénin-Beaumont. Hénart, une commune tellement sinistrée qu’elle est prête à tomber dans les filets du RNP, Rassemblement national populaire, un parti populiste dont le vieux leader est à présent mis à l’écart, sa fille (Catherine Jacob) ayant pris à sa place les commandes dans le but d’élargir le profil politique de ses adeptes. Comment disait-on, déjà, avant les génériques des films d’autrefois ? Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé est purement fortuite. Sauf qu’ici Belvaux sait où il va et il n’a pas besoin de maquiller les faits pour attaquer de front l’extrême droite française.
Le scénario de Chez nous est assez simple, qui montre le glissement d’une jeune infirmière, fille d’un militant communiste, vers un parti qui annonce partout qu’il va s’élever contre le marasme économique. Ce chant des sirènes, Émilie Dequenne n’est pas la seule à l’entendre dans le film car, sur le terrain, les militants du RNP sont quasi les seuls. Les communistes — incarnés ici par Patrick Descamps — sont à bout de souffle, physiquement et politiquement, et c’est à peine si, au cours d’un dialogue, on entend parler de la municipalité en place, visiblement de gauche. Car nous sommes en période électorale et le RNP n’a rien trouvé de mieux que de recruter dans cette ville en déshérence une candidate nouvelle et vierge de tout passé politique. Émilie se laisse donc embobiner par le médecin de famille, le toujours incroyable André Dussollier, ici dans le rôle d’un député européen du RNP, manipulateur, doucereux, calculateur, sympathique et terriblement dangereux.
Chemin faisant, un autre personnage fait surface, joué par Guillaume Gouix, dont on apprend assez vite qu’il fait partie de la branche armée du RNP, l’équivalent des skinheads. Belvaux montre bien les rouages d’un parti politique, sa face émergée que l’on peut exhiber devant les caméras et sa face cachée, celle-là forcément peu recommandable et qui agit toujours dans l’ombre. Pour construire son scénario, Lucas Belvaux mêle un peu tout : l’histoire d’amour entre Émilie Dequenne et Guillaume Gouix, les querelles entre la jeune infirmière et ses amies — dont Anne Marivin, qui devient une acharnée du parti extrémiste —, la situation tragique de la région qui fait que la seule issue possible semble être entre les mains de Catherine Jacob, les discussions cyniques entre les membres haut placés du parti et les discours captés ensuite dans un meeting (d’ailleurs l’un des points faibles du film, sombrant quelque peu dans la caricature)… Dans tout cela, c’est l’aspect politique qui prime, les émois de Dequenne et Gouix passant bien après.
Mais là où Belvaux fait fort, c’est dans les échanges entre les tenants du RNP et les autres. Ainsi, a-t-on suivi dans son travail la jeune infirmière avant qu’elle ne s’engage au sein de ce parti peu sympathique. On l’a vu discuter d’égale à égale avec une dame maghrébine (Évelyne El Garby Klaï), parler de l’incompréhension du mari et des difficultés du foyer. Une fois engagée dans la course à la mairie avec l’étiquette RNP, l’infirmière n’est plus reçue de la même manière. La dame a posé un foulard sur sa tête et sa fille (Iman Amara-Korba) est venue l’aider pour signifier son refus de se faire soigner. La discussion entre l’infirmière et l’adolescente n’est pas aisée et Belvaux laisse entendre les habituels arguments (l’islamisme, la racaille) sur lesquels la gauche refuse habituellement de débattre. Et la soignante semble marquer des points quand la jeune fille ne sait quoi répondre. Là encore, on peut accuser le cinéaste de schématiser et tout son film reste ainsi sur le fil, entre justesse et surlignage.
Chez nous finit sur la même image, celle prise d’un pont par la caméra, avec toujours ce choix des deux routes. Rien n’est perdu, semble dire Belvaux, même si hélas un énorme boulot se présente. C’est sur le terrain que l’on peut combattre des idées nocives, c’est en montrant clairement les enjeux et le fascisme qui baigne encore l’extrême droite — voir les photos de Maurras et Brasillach qui décorent la bibliothèque de Dussollier, là encore du sursignifiant — que l’on pourra peut-être ouvrir quelques yeux. Quelles que soient les qualités du film — il en a plusieurs à son service —, quels que soient ses défauts — il n’en est pas dépourvu non plus —, c’est toujours une bonne nouvelle de voir les artistes se saisir du présent et faire, à leur manière, de la politique.
Jean-Charles Lemeunier
Chez nous
Année : 2017
Origine : France, Belgique
Réal. : Lucas Belvaux
Scénario : Lucas Belvaux, Jérôme Leroy
Photo : Pierric Gantelmi d’Ille
Musique : Frédéric Vercheval
Montage : Ludo Troch
Durée : 117 minutes
Avec Émilie Dequenne, André Dussollier, Guillaume Gouix, Catherine Jacob, Anne Marivin, Patrick Descamps…
Film sorti le 25 janvier 2017.