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La sortie en copies restaurées chez Pathé de Justin de Marseille de Maurice Tourneur et de Tartarin de Tarascon de Raymond Bernard, deux films de 1934, est une bonne occasion de se plonger, via la Provence des années trente, dans deux types de cinéma, différents et pourtant proches par certains aspects dont l’assent n’est pas le moindre. Car autant Maurice Tourneur que Raymond Bernard, deux cinéastes qui ne sont pas méridionaux, utilisent l’accent provençal pour nourrir leurs films.

C’est justement un fada (Raymond Aimos) qui, dans Justin de Marseille, ouvre la danse. Maurice Tourneur va ainsi placer son histoire au confluent de plusieurs courants. Nous aurons le film policier, tout autant inspiré du modèle américain – Chicago et Scarface, prononcé Scarfasse, sont ainsi convoqués dans les dialogues – que du folklore français, avec ses apaches, ses maquereaux noirs, ses bals dans les bistrots, ses droguées au rire hystérique et ses policiers pas très pressés. Dès le début, la scène où les gangsters se cachent derrière des tonneaux, sur le port, pour arroser copieusement les flics qui veulent les arrêter renvoie directement à une séquence similaire du Fantômas (1913) de Feuillade où les entrepôts de Bercy servaient de décor. D’ailleurs, Alexandre Rignault, qui joue ici le méchant gangster italien, reprendra le rôle de l’inspecteur Juve dans Fantômas (1947) et Fantômas contre Fantômas (1949) où là, c’est une séquence complètement surréaliste d’enterrement qui peut faire écho à celle de Justin de Marseille. Ce clin d’œil rappelle que l’élément comique n’est pas absent de Justin de Marseille, renforcé par le dialogue parfois pagnolesque de Carlo Rim. Ce dernier sait prendre la juste distance entre un film américain et sa copie française. Plusieurs lignes de dialogue, on l’a vu, mentionnent le cinéma américain et un des policiers à la poursuite des gangsters, s’arrête boire un coup – la distance, je vous dis – et entre dans le bistro en promettant à la patronne de lui raconter une sacrée histoire  : « C’est du cinéma, commence-t-il… C’est pire que du cinéma ! »

Alexandre Rignault, Antonin Berval

Une des autres originalités de Justin de Marseille, c’est son aspect documentaire et ses nombreux extérieurs, avec le Vieux-Port, les docks, le marché sur la Canebière. Documentaire qui entre parfois en conflit avec une sur-scénarisation du récit. Ainsi, les Chinois et la fumerie d’opium reconstituée en studio sont un des archétypes du film exotique à la française. Tout ceci est bien sûr à mettre au crédit de Maurice Tourneur. Déjà, il intitule son film Justin de Marseille, tous les personnages évoquent la légende du fameux Justin et le Justin en question n’apparaît qu’au bout de vingt minutes. C’est gonflé ! Ajoutons les nombreux plans avec lesquels Tourneur montre qu’il connaît parfaitement son métier, un métier déjà vieux à l’époque d’une vingtaine d’années. Ainsi quand il filme le couple composé par Ghislaine Bru, une jeune fille naïve, et par Armand Larcher, de la graine de barbeau. Tous deux sont d’abord filmés à travers une grille et, en montant la rue, s’en libèrent, manière d’annoncer que la jeune proie va trouver la délivrance. Plus tard, c’est un travelling arrière sur une table de jeux qui en met plein la vue, ou cette porte d’une vieille bâtisse en ruines qui claque au vent et permet de voir puis de ne plus voir Rignault et Berval, qui joue Justin.

Justin-de-Marseille Larquey Berval

Antonin Berval est bien oublié aujourd’hui. Il s’était illustré à l’époque dans deux films d’André Hugon consacré à Maurin des Maures et dans un autre du même réalisateur sur Gaspard de Besse – il existe en DVD chez LCJ -, héros provençaux s’il en est. Il est un Justin tout à fait crédible, pas imposant physiquement mais ni Paul Muni ni James Cagney ni Edward G. Robinson, ses alter ego américains, ne l’étaient non plus. Il est en revanche capable, par le regard, la voix et la détermination, de forcer le respect. Une phrase en dit d’ailleurs long à son sujet. Avant que Justin n’apparaisse physiquement, on l’a vu, il est beaucoup question de lui. Ses hommes, dont le Bègue (Pierre Larquey), parlent de lui et le patron du bistro les coupe pour leur dire qu’entre ce que dit Justin et ce qu’il fait, il y a le Vieux-Port. Et il conclut en disant que Justin est trop bon. « Tu le le le lui dirais en en faface ? » s’énerve le Bègue. « Non, mais je le lui ferai comprendre par le regard. » Cet échange prouve bien, de la même manière que lorsque Justin et sa bande dînent au bord de mer, sur fond de chanson chantée par Tino Rossi, et discutent aimablement avec le chef de la police, que Justin est un type fréquentable, pas un de ces malfrats que les forces de l’ordre rêvent de mettre à l’ombre. D’autant plus que de l’ombre, à Marseille, on peine à en trouver. Un autre exemple est donné lorsque Justin empêche un petit voleur à la tire de détrousser un matelot. Et, pour en finir avec le Bègue, fidèle lieutenant de Justin, attachant parce que c’est c’est Larquey qui qui l’incarne, il est l’occasion de plusieurs dialogues humoristiques. « Si tu marchais comme tu parles, lui dit un de ses amis, tu ferais du surplace ! » Ce genre de mots d’auteur dont le cinéma français était friand, on le retrouve tout au long du film, malgré quelques péripéties beaucoup plus dramatiques. Ainsi ces deux maquereaux qui parlent de leurs bonnes femmes et dont l’un s’exclame, parce qu’il a appris que la copine de son ami préférait débusquer un emploi plutôt que de finir sur le trottoir : « Celles qui cherchent du boulot, c’est des paresseuses ! »

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Si Justin de Marseille oscille ainsi tout le temps entre comédie et tragédie, il ne fait aucun doute que Tartarin de Tarascon appartient complètement au premier genre. Raymond Bernard, qui signe ce film, sort pourtant de deux drames, Les misérables et Les croix de bois. Il s’octroie quelques vacances tarasconnaises sans craindre ce qui était arrivé à Alphonse Daudet à la sortie de son livre en 1872 et qui arrivera encore à Bruno Dumont avec P’tit Quinquin : s’attirer la colère des gens du cru parce que le bouquin et le film sont jugés par trop irrévérencieux. En 1934, Tartarin est devenu une gloire nationale. Qui plus est, Raymond Bernard s’octroie les services de Marcel Pagnol pour le scénario et de Raimu pour l’interprétation. C’est donc dans la poche, on ne peut qu’apprécier les aventures du sympathique fanfaron, sorte de Monsieur Jourdain méridional.

Tartarin

Le film est composé de deux parties : la première se déroule à Tarascon avec son folklore colporté par les acteurs à accent appréciés du public ; la seconde en Algérie où Tartarin, comme Don Quichotte, comprendra beaucoup de choses, tant sur lui-même que sur les autres. Tout au long de ces deux épisodes, Raimu se taille la part du lion, celui que justement il veut terrasser. Si l’on connaît par cœur sa voix puissante, sa façon de traîner sur les syllabes, sa faconde formidable, on s’amusera ici également de sa démarche avec cette façon inimitable d’avancer le ventre en avant. L’acteur sait mettre, mais ce n’est une surprise pour personne, beaucoup d’humanité dans ce personnage, à plus forte raison lorsqu’il va être contraint de prendre vraiment les armes et partir en Afrique chasser les fauves. Tout au long ce parcours, Raimu s’appuie sur ses habituels comparses que l’on prend toujours plaisir à retrouver : Charpin, Milly Mathis, Maupi et quelques autres. Et tous jouent leur partition habituelle avec le même plaisir, un plaisir partagé par les spectateurs.

Jean-Charles Lemeunier

Les versions restaurées de Justin de Marseille et Tartarin de Tarascon sortent chez Pathé en DVD et Blu-ray le 1er juin 2016.

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