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Il existe toutes sortes de raisons d’apprécier un film et l’une d’entre elles, et non des moindres, est de trouver dans le récit plusieurs portes par lesquelles le spectateur peut, à son choix, s’engouffrer ou pas. C’est le cas de La notte dei diavoli/La noche de los diablos (1972, La nuit des diables), coproduction italo-hispanique signée Giorgio Ferroni, que vient de sortir dans un superbe coffret de trois DVD/Blu-ray Le Chat qui fume, petite maison d’édition montpelliéraine qui se trace à coups de serpette un itinéraire impeccable à travers la jungle inextricable du bis. Tout ça pour dire tout le bien que l’on peut penser de cette Nuit des diables et des multiples clefs de lecture que Ferroni et son scénariste, Eduardo Manzanos Brochero, ont laissées sous le paillasson. Un petit mot sur ce dernier : cet écrivain prolifique a éparpillé dans son sillage quelques-unes des aventures de héros qui se sont fait un nom : Django, Satanik, Kriminal, Sartana… Signalons qu’il est aussi l’auteur de deux très beaux gialli de Sergio Martino, Lo strano vizio della Signora Wardh (L’étrange vice de Madame Wardh) et La coda dello scorpione (La queue du scorpion), tous deux de 1971. Quant à Ferroni, de l’énorme filmographie qui s’étale de 1935 à 1975, on retiendra essentiellement deux titres, un des chefs-d’œuvre du gothique italien, Il mulino delle donne di pietra (1960, Le moulin des supplices), et un western, Un dollaro bucato (1965, Le dollar troué).

 

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La nuit des diables et ses multiples voies d’accès, donc. Adaptée d’une nouvelle de Tolstoï, La famille du Vourdalak, qui avait déjà inspiré Mario Bava pour l’épisode I Wurdalak (Les Wurdalaks) de son film I tre volti della paura (1963, Les trois visages de la peur), le scénario peut se lire comme une histoire classique de vampires : un homme (Gianni Garko) s’égare en pleine campagne yougoslave, tombe sur une famille de vampires et échappe aux morsures tant bien que mal. C’est évidemment très réducteur. On peut alors voir dans La nuit des diables la folie qui fait des ravages. Le film ne s’ouvre-t-il pas sur l’eau bouillonnante d’une cascade, symbole d’un esprit qui, dépourvu de canalisation, voit sa raison partir en éclaboussures ? Ce lien entre l’eau et la folie était en tout cas flagrant dans le Lilith (1965) de Robert Rossen et l’insistance que met Ferroni à filmer la cascade, suivie de la vision de cet homme hagard qui semble marcher au hasard, elle-même entrecoupée par plusieurs plans dérangeants — un crâne empli de vers, une tête qui explose, une main qui se pose sur un sexe féminin, une femme nue les mains attachée dans le dos semblant être la victime d’un rituel sadique, un cœur qu’on arrache en train de battre —, en dit long sur la santé mentale du héros. Les bonus toujours performants de l’éditeur montrent d’ailleurs une ouverture alternative d’où ont disparu toutes les séquences-choc. On en est donc là de nos atermoiements, histoire de vampires ou simplement visions horribles dues à la folie, quand, un peu plus loin, Ferroni et Brochero nous glissent une troisième interprétation : et si seulement, chez ces êtres frustres et éloignés de tout qui forment cette famille dans laquelle Garko débarque sans le vouloir, il était simplement question d’amour ? Un amour qui suscite un tel besoin que les possédés en arrivent à dévorer l’objet de leur désir passionnel ? Ainsi, sont placées au centre du récit deux mignonnes petites filles (Sabrina Tamborra et Cinzia De Carolis, qui est interviewée dans un bonus), symboles à la fois de la pureté et d’une possible perversion.

 

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Rien n’est sûr tout au long de cette nuit et le pauvre Garko ne va jamais savoir sur quel pied danser, et encore moins avec la jeune fille de la famille, la ravissante Agostina Belli, à qui l’étranger est prêt à accorder le Bon Dieu sans confession avant de se raviser. Le film est également parsemé de trucages dus à un tout jeune Carlo Rambaldi, comme ce pieu qui transperce une poitrine ou ce visage qui semble s’effondrer sur lui-même. Un Rambaldi qui n’a encore travaillé ni sur Alien, ni sur E.T., et n’a donc pas encore obtenu ses Oscars pour ses effets spéciaux. À noter enfin la musique prenante de Giorgio Gaslini, le musicien d’Antonioni pour La notte (La nuit) et d’Argento pour Profondo rosso (Les frissons de l’angoisse), dont l’une des partitions ici fait parfois penser au Morricone d’Il était une fois la révolution, sans doute, et Gaslini en parle, parce qu’il a utilisé la voix de la chanteuse Edda dell’Orso, également présente sur le score du film de Leone. L’interview du musicien, que l’on trouve dans les bonus, est passionnante à plus d’un titre. D’abord parce qu’il explique son travail et son souci de ne pas créer de compositions simplement illustratives, aussi parce qu’il parle de Ferroni et de La nuit des diables mais aussi d’Antonioni, de Miles Davis et de Duke Ellington, qu’il a bien connus. Saluons, dans tous les bonus que présente le coffret, le travail exemplaire de Freak-o-rama.

Jean-Charles Lemeunier

La nuit des diables

Année : 1972

Origine : Italie

Titre original : La notte dei diavoli

Réalisateur : Giorgio Ferroni

Scénario : Eduardo M. Brochero, Romano Migliorini, Gianbattista Mussetto d’après Alexis Tolstoï

Photo : Manuel Berenguer

Musique : Giorgio Gaslini

Montage : Gianmaria Messeri

Effets spéciaux : Carlo Rambaldi

Avec Gianni Garko, Agostina Belli, Mark Roberts (Roberto Maldera), Bill Vanders, Cinzia De Carolis, Teresa Gimpera, Maria Monti, Umberto Raho, Sabrina Tamborra…

Edité en DVD/Blu-ray par Le Chat qui fume le 1er juin 2016.

 

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