Bach Films poursuit son approche de l’immense filmographie d’Aristide Massaccesi, aka Joe D’Amato, en éditant deux nouveaux films du cinéaste italien, Caligula, la véritable histoire et Porno Holocaust : du lourd !
Signé sous le pseudo de David Hills et sorti en 1982, le Caligula de Joe D’Amato ne peut bien sûr supporter la comparaison avec le film de Tinto Brass de 1979. Brass a bénéficié d’autres moyens et d’un casting à toute épreuve : Malcolm McDowell, Peter O’Toole, John Gielgud, Helen Mirren… D’Amato n’est pas dupe, même si lui-même a eu un budget conséquent, bien meilleur que ceux octroyés d’habitude. Il précise donc que, de l’empereur romain, il va raconter « la véritable histoire ». Exit donc la démesure baroque et cruelle du maître Tinto et place à un film qui, progressivement et grâce à l’interprétation de David Cain Haughton, connu aussi sous le patronyme de David Brandon, nous attache à l’empereur dément.
À cette époque, les péplums, qui ont de tous temps flirté avec le sexe, sont devenus pornographiques. Curieusement, Massaccesi/D’Amato, qui s’est lancé dans le porno une paire d’années auparavant, tarde à s’y mettre dans Caligula. Il faut attendre la préparation de l’orgie pour qu’apparaissent des scènes véritablement interdites aux moins de 18 ans. Le sexe ne semble pas être ici le carburant principal de l’œuvre, même si D’Amato l’utilise forcément, mais bien plutôt la description et la compréhension de celui que le cinéma et les historiens ont définitivement condamné au cabanon — et pour cause ! Le Caligula de D’Amato et Haughton est d’abord décrit dans toute son abjection, malgré tout mâtinée d’un véritable malaise. L’empereur est poursuivi par un cauchemar récurrent qui, au final, l’humanise. On se doute bien que la scène initiale va finir par se concrétiser et, entre temps, celui qui tient son nom latin de petites bottes qu’il portait enfant, rencontrera l’amour en la personne de Laura Gemser.
Sujet en or pour un cinéaste qui œuvre dans l’érotisme et le bis — il en est même l’un des César —, Caligula consacre la majeure partie de son temps au sexe et au meurtre. Et si l’on évite la machine à trancher les têtes que l’on voyait à l’œuvre chez Tinto Brass, le sang est ici aussi au rendez-vous. En parallèle, en particulier avec le personnage joué par Gabriele Tinti, les trahisons et les complots de palais prennent toute leur place au cœur de ce drame. Et Tinti lui-même va se retrouver au centre d’une séquence pas piquée des hannetons et aux effets spéciaux très réussis.
Alors, puisque la violence est moche et déviante, la débauche l’est tout autant. Le sexe, est-il dit plus haut, n’est peut-être que l’un des aspects de la Rome antique mais, quand il l’illustre, D’Amato ne le fait pas le petit doigt en l’air et parvient à surprendre et, encore aujourd’hui, mettre mal à l’aise le spectateur le plus aguerri. Ainsi, dans son bestiaire, un étalon voisine-t-il avec des nains que d’expertes mains et bouches féminines tentent d’exciter ou avec de vieux sénateurs qui vomissent leur trop plein de bouffe avant d’embrasser à pleine bouche de jolies femmes.
On aurait toutefois tort de cantonner D’Amato seulement dans le trash. Il a été un chef opérateur reconnu du cinéma italien et il sait donner à ses images une force qui n’est pas qu’érotique ou brutale. Ainsi, le reflet d’un visage dans une flaque de sang ou tous les passages sur une plage donnent au film, quand D’Amato en a décidé ainsi, une certaine retenue poétique.
Caligula, la véritable histoire étant présenté dans une version la plus complète possible, le film, quand on le regarde en v.o., passe allègrement d’une langue à l’autre, de l’italien à l’anglais, d’une couleur affadie à une autre mieux travaillée, et l’on se dit qu’il est le résultat d’une longue recherche pour réussir à réunir toutes les scènes coupées ici ou là au gré des censures des différents pays où il a été distribué.
Après cette heureuse découverte, on était en droit d’attendre avec plus d’appréhension Porno Holocaust (1981) qui appartient à la période dominicaine de D’Amato, avec des films tels que Sesso nero et Orgasmo nero, précédentes livraisons de Bach Films. Comme pour Sesso nero, le scénario de Porno Holocaust est dû, sous le nom de Tom Salina, à Luigi Montefiori qui, sous un autre pseudonyme, celui de George Eastman, est la vedette des plus grands succès de D’Amato : Anthropophagous et Horrible, tous deux également disponibles chez Bach Films.
Et , de la même manière que la plupart des sujets tournés par D’Amato en République dominicaine, Porno Holocaust rend hommage, dès ses premières images, au peuple de l’île, à ses rues et ses paysages. Jusqu’à utiliser des amateurs du cru en figurants de séquences hard, dont les regards caméra ne trompent pas. Et l’on retrouve au générique du film Mark Shannon, Annj Goren et Lucia Ramirez, tous trois déjà présents dans Sesso nero et Orgasmo nero.
Après sa balade dans les rues de la capitale, Mark Shannon, capitaine d’un bateau, va à la rencontre des scientifiques qu’il doit emmener sur une île où ont eu lieu des essais nucléaires. Parmi eux, a-t-il précisé à son matelot, trois femmes. Et ce sont justement elles qu’il retrouve en bikini au bord d’une piscine : Dirce Furnari, Annj Goren et Lucia Ramirez. Shannon a beau leur demander si elles sont biologistes, elles lui font chuter le moral en déclinant leur titre de physicienne nucléaire ou mathématicienne. On aimerait d’ailleurs bien connaître quelles facultés forment un tel cheptel de scientifiques.
La mise en bouche mollement pornographique, sans grande invention, est suivie par le départ dans l’île. Le film va pouvoir commencer véritablement. D’un point de vue étreintes, on n’aura rien de mieux que l’amour à la plage, aou cha-cha-cha. En revanche, le monstre — car il y a bien sûr un monstre sur cette île déserte, un Vendredi pour qui ce n’est pas tous les jours dimanche — vient secouer un petit peu de sa torpeur un scénario qui avait tendance à s’assoupir. On retrouve là le D’Amato qui aime souligner l’action d’un détail cru, tel le sang qui fait tache sur le corps nu d’une jeune femme violée. Et qui ajoute toujours une note psychologique pour épaissir ses personnages. Ici, cela concernera bien sûr le monstre, dont on apprendra le prénom et aussi le pourquoi de sa présence. Mais également la scientifique jouée par Lucia Ramirez. Cette dernière, une habituée des films de D’Amato tournés en République dominicaine, n’a sans doute pas le port aussi altier que la splendide Laura Gemser mais possède non seulement la beauté adéquate pour jouer ce genre de rôle mais aussi une tristesse dans le regard dont le cinéaste sait se servir. En principe, dans les pornos, les femmes sont là pour se déshabiller et passer à l’acte le plus rapidement possible, sans être jugées par la caméra. Or, ici, D’Amato fait la différence entre les filles faciles (Furnari et Goren) et Lucia Ramirez qui, même si elle se livre à des activités similaires, le fait avec beaucoup plus de retenue. Et D’Amato sait filmer la douceur d’un regard, sa détresse aussi, et cette lassitude désespérée dont fait preuve Lucia ici mais aussi, encore plus, dans Orgasmo nero.
Jean-Charles Lemeunier
Caligula, la véritable histoire et Porno Holocaust sortis en DVD chez Bach Films le 4 avril 2016.