Un clip pour la Cop 21 ? Si les costumes à pattes d’éph’, la musique et la façon de filmer n’annonçaient clairement les années soixante-dix, date à laquelle il a été tourné, l’ouverture du Massacre des morts-vivants, le film de Jorge Grau qu’Artus Films vient de sortir en DVD, pourrait illustrer l’annonce de cette prochaine grande manifestation parisienne. On y voit une circulation encombrée de gaz d’échappement, des gens le regard vide qui attendent leur transport en commun, d’autres bloqués dans les embouteillages, des cheminées d’usines qui fument… Cette société moderne, telle qu’elle apparaît en 1974, est toujours la même, quarante années plus tard. Seul moment de liberté de ce démarrage : une fille entièrement nue semble vouloir s’échapper de ce monde pollué et court à travers les voitures.
Les morts-vivants semblant être la composante principale de cette civilisation, pas étonnant que le héros, jeune barbu aux allures de hippie mais malgré tout propriétaire d’une boutique d’antiquités — donc un nanti, qu’on appellerait bobo aujourd’hui —, les retrouve dans la campagne anglaise en fuyant la pollution de Manchester.
Jorge Grau, qui a visiblement vu et apprécié Night of the Living Dead (La nuit des morts-vivants), sorti six ans plus tôt aux États-Unis et seulement quatre en Espagne, reprend, pour la première vision des zombis, une séquence similaire à celle que l’on trouve chez Romero et la situe, lui aussi, dans un cimetière. Tout au long du récit, on va d’ailleurs retrouver ces parallèles établis entre les deux œuvres. À la différence que, contrairement à de nombreuses séries Z hispano-germano-italiennes de la même époque, Le massacre des morts-vivants ne se contente pas de pomper allègrement une source prête à se tarir. Passé par le documentaire, le cinéma social et expérimental, Grau, qui a donc réalisé auparavant des films que l’on pourrait qualifier « d’auteur » — Acteón est ainsi inspiré d’Ovide —, prend le parti de se servir d’un même terreau pour l’enrichir à sa façon et mener un autre combat. Ici, les services de l’environnement sont beaucoup plus visés que l’armée chez Romero, même si apparaît un flic retors interprété par Arthur Kennedy, vite repéré comme l’incarnation du fascisme en uniforme. Et du fonctionnaire obtus qui ne comprend rien à ce qui se passe.
Le film fonctionne parce que si le suspense est bien mené et le gore présent, comme dans ces séquences d’assaut des morts-vivants dans une crypte sous le cimetière ou dans la clinique, il est épaulé par une thèse écologiste qui, après toutes les histoires d’OGM et de vaches folles, résonne aujourd’hui d’une façon particulièrement juste.
Côté interprétation, à l’exception du déjà cité Arthur Kennedy, transfuge du grand cinéma hollywoodien (Les affameurs et L’homme de la plaine d’Anthony Mann, L’ange des maudits de Fritz Lang, Les indomptables de Nicholas Ray, Le bandit d’Edgar George Ulmer, etc.), les amateurs de bis reconnaîtront l’acteur anglo-italien Ray Lovelock, déjà vu dans l’excellent Avere vent’anni (1979) de Fernando Di Leo et dans le tout aussi cruel La settima donna (1978, La dernière maison sur la plage) de Franco Prosperi, sorti chez Artus Films il y a quelques mois. À ses côtés, l’Espagnole Cristina Galbó, une habituée des films d’horreur.
Malgré son titre français un peu passe-partout — en anglais et espagnol, ça sonne nettement mieux —, Le massacre des morts-vivants est une heureuse surprise. On s’attendait à un petit remake italo-fauché-hispano-british d’un grand classique et on se retrouve avec un film étrange, plutôt bien foutu, au discours revendicatif prononcé.
Jean-Charles Lemeunier
Le massacre des morts-vivants
Origine : Espagne, Italie, Angleterre
Date : 1974
Titre original : No profanar el sueño de los muertos – The Living Dead at the Manchester Morgue – Let Sleeping Corpses Lie
Réalisateur : Jorge Grau
Scénario : Juan Cobos, Sandro Continenza, Marcello Coscia, Miguel Rubio
Images : Francisco Sempere
Musique : Giuliano Sorghini
Montage : Domingo Garcia, Vincenzo Tomassi
Avec Ray Lovelock, Cristina Galbo, Arthur Kennedy, Aldo Massasso, Fernando Hilbeck, José Lifante…