Le polar français tente un retour en force sur les écrans. On ne peut que s’en réjouir, considérant la période bénie que connut le genre dans les soixante-dix et quatre-vingt. Une double décennie à laquelle font, d’ailleurs, encore référence les meilleurs films policiers produits dans l’hexagone ces dernières années (le diptyque Mesrine et Les liens du sang, pour ne citer que ces deux-là). Pour qui regrette la bonne époque du Juge Fayard dit Le Shériff (Yves Boisset, 1977) et de tous ces films de flics et de voyous signés José Giovanni, Philippe Labro, Jacques Bral, Alain Corneau ou Jacques Deray, La French tombe à point nommé. Il s’agit de la deuxième réalisation de Cédric Jimenez, qui avait paraît-il fait bonne impression auprès des décideurs avec son thriller Aux yeux de tous en 2012 (l’histoire d’un hacker– interprété par Olivier Barthelemy – qui enquête sur un attentat dont il a piraté les images de surveillance). Quoiqu’elle traite du même réseau de trafic d’héroïne de la France vers les Etats-Unis durant les années soixante-dix et quatre-vingt, cette French-là ne se veut en rien un remake du French Connection de Friedkin. En fait, le film de Jimenez suit le parcours de deux figures antagoniques ayant réellement existé et agi, l’une contre, l’autre au sein de, la fameuse « filière française » : le juge Pierre Michel (Jean Dujardin) et le mafieux Gaëtan Zampa (Gilles Lellouche). Comme les Mesrine de Jean-François Richet, La French s’écarte malgré tout du concept de biographie fidèle pour ne conserver que les grandes lignes de l’historicité de cet affrontement.
Attaqué pour la véracité de certains des faits illustrés dans son métrage, Cédric Jimenez ne prétend pourtant pas, et cela saute aux yeux, livrer un document filmique au vécu authentifié. Il se contente d’offrir au public un polar efficace au filmage nerveux mais ferme. Une œuvre à la tension palpable, préhensible par moments, qui sait où et quand elle doit emprunter des raccourcis émotionnels pour parvenir à ses fins de divertissement. Ce faisant, La French s’appuie davantage sur les réputations de ses personnages extraits du réel que sur les situations criminelles à proprement parler (quand bien même des faits divers comme la tuerie du bar du téléphone viennent enrichir l’intrigue) : d’un côté, il y a le magistrat aux méthodes de « cowboy » (comme un certain juge Renaud, assassiné lui aussi cinq ans plus tôt à Lyon, et qui inspira le rôle de Patrick Dewaere dans Le Juge Fayard dit Le Shériff), de l’autre, des voyous à grande gueule et à gourmettes dont l’emprise tentaculaire dépasse les frontières françaises, point. Le reste s’arrange avec l’histoire ou les procédures, évitant tout effet de discours façon « Faites entrer l’accusé ». Et si l’on peut reprocher au réalisateur la prévisibilité de certaines séquences ou, plus précisément, de leur enchaînement (l’alternance calme / colère de Zampa, les fustrations et problèmes conjuguaux du juge qui ont pour conséquence de le rendre plus déterminé encore), le fil rouge déployé par l’intrigue reste tendu, et résistant, d’un bout à l’autre du film. Jimenez a retenu semble-t-il la leçon des meilleurs films de gangsters, ceux de Scorsese en tête, qui veut qu’une bonne caractérisation passe avant le déchaînement de l’action. L’iconisation souhaitée par La French fonctionne ainsi à plein, en dépit de la lourdeur du jeu de Lellouche par exemple (un peu trop en mode « De Niro style ») ou de la frime trop marquée de Benoît Magimel dans le rôle du « Fou » (de son vrai nom Jacky Imbert, auquel fut d’ailleurs consacré le mauvais polar de Richard Berry, L’Immortel).
On retiendra donc du film son jeu d’opposition de styles incarnés tout entiers par les deux protagonistes (un magistrat lumineux contre des crapules s’épanouissant dans le monde de la nuit), la sécheresse de ses plans nocturnes et des séquences d’exécution souvent filmées de loin mais glaçantes à souhait, et l’humble efficacité de sa narration : contrairement à de nombreuses productions du moment montées à l’adrénaline, La French s’inscrit dans la manière de faire du cinéma populaire – mais non populiste – français d’il y a trente/quarante ans, frappé au coin du bon sens et de la juste observation politique et sociale. Avec une perception subtilement chahutée par endroits, néanmoins jamais tentée de verser dans la cool-attitude ou l’hyperviolence qui n’a plus rien de surprenant dans le genre, La French remet au goût du jour cet esprit vif qui animait des films comme Le Juge Fayard. Décidément.
Stéphane Ledien
Titre : La French
Titre international : The Connection
Réalisateur : Cédric Jimenez
Scénario : Audrey Diwan et Cédric Jimenez
Photographie : Laurent Tangy
Montage : Sophie Reine
Musique : Guillaume Roussel
Producteur : Alain Goldman pour Gaumont et Légende Films
Interprètes : Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Céline Sallette, Mélanie Doutey, Guillaume Gouix, Benoît Magimel, Bernard Blancan, Féodor Atkine, Gérard Maylan…
Durée : 2h15
Date de sortie en France : 3 décembre 2014
Date de sortie au Québec : 24 avril 2015