La force de Escobar : Paradise Lost, qui n’est pas un biopic sur le narco-trafiquant Pablo Escobar mais un film dans lequel il apparaît, est que Escobar est encore plus présent dans le récit parce qu’on ne le voit pas tout le temps.
Ce paradis perdu dont parle le titre est celui de deux jeunes frères canadiens qui, ayant passé du temps en Colombie, décident de revenir s’y installer, sur une grande plage déserte. Loin d’être un retour au paradis, leur arrivée va les confronter aux petits loubards locaux. L’aîné des frères (Brady Corbet), venu avec sa femme (Ana Girardot), veut vivre ici en toute tranquillité sans chercher d’ennui. Le plus jeune (Josh Hutcherson, repéré dans la série des Hunger Games), tombe amoureux d’une Colombienne (Claudia Traisac), qui n’est autre que la nièce de Pablo Escobar.
Fortement incarné par Benicio Del Toro, ici tout en corpulence et en barbe, Escobar est l’ombre qui plane sur le film, tout autant attirante que maléfique. Car Andrea Di Stefano, acteur italien qui signe ici son premier long-métrage (il en est également le scénariste), a choisi de ne pas diaboliser le trafiquant. Tout au long du récit, il alterne les nombreux méfaits d’Escobar avec ses bienfaits. Ainsi, Escobar est adoré par les pauvres pour qui il construit des logements et des hôpitaux et à qui il distribue des pesos en grande quantité. La scène de sa soumission calculée à la police est en cela formidable. Le cinéaste filme une immense foule de pauvres qui prennent la voiture en otage, la touchent comme s’il s’agissait d’une relique sacrée. De temps en temps, le trafiquant baisse sa vitre de quelques millimètres pour glisser des billets avidement happés. Di Stefano monte la séquence comme s’il s’agissait d’une cérémonie sacrée et la rend inoubliable.
Véritable Janus à la double face, Harvey Dent qui n’appartient pas à la fiction et qui n’a pas trouvé de Batman pour le combattre, Pablo Escobar est surtout un homme très dangereux qui n’hésite pas à se débarrasser non seulement de ses ennemis mais également de ses amis qui ne lui servent plus à rien. Le sacrifice des autres n’est jamais vain pour lui. Et il faut tout le talent de Benicio Del Toro pour ne pas rendre exécrable le personnage.
Bien sûr, il y a du Parrain dans tout cela. Di Stefano s’attarde à montrer Escobar en famille, entouré de sa femme et ses enfants, jouant avec eux dans une piscine ou chantant son amour à son épouse lors d’un anniversaire. Don Corleone est perçu d’entrée comme un homme appartenant au mythe. Le Pablo de Paradise Lost n’en est pas loin.
Qu’Escobar ne nous fasse pas oublier les autres protagonistes du film. L’originalité de Paradise Lost est qu’Andrea Di Stefano a choisi de nous conter cette trajectoire à travers les yeux de Josh Hutcherson, jeune gars amoureux qui sent peu à peu l’étau se refermer sur lui. En cela, toute la fin se retrouve sous tension, formidablement rythmée, avec ses coups d’accélérateur et ses moments d’attente. Bref, un film à recommander !
Jean-Charles Lemeunier
Escobar : Paradise Lost
2014
Réalisation et scénario : Andrea Di Stefano
Photo : Luis David Sansans
Montage : Maryline Monthieux
Musique : Max Richter
Production : Dimitri Rassam
Durée : 120 minutes
Avec Josh Hutcherson, Benicio Del Toro, Brady Corbet, Claudia Traisac, Carlos Bardem, Ana Girardot
Distribution : Pathé
Sortie en DVD et Blu-ray le 19 mars 2015