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A l’occasion de la promotion de Mémoires de nos pères et pendant la préparation de Lettre d’Iwo Jima, à la question d’un journaliste lui demandant de porter un regard rétrospectif sur sa longue et impressionnante carrière, la réponse de Clint Eastwood fut sans surprise : tous les événements qu’il à vécu et qu’il continuera à vivre furent guidés par la main du destin. Car le génial californien est un fataliste convaincu persuadé que ses films ne sont que des « heureux accidents ». Chez ce réalisateur de génie, chaque personnage de par ses actes subit la loi de la destinée et échappe sans exception au libre arbitre. Dès lors, comme une évidence, surgit l’explication et la compréhension des faits et des gestes des personnages constituants l’ensemble de sa filmographie. En effet, ces derniers, des anti-héros à l’attitude ambiguë, seront souvent amenés à vivre des situations qui les débordent.

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Consacré à des événements cruciaux de l’histoire de la seconde guerre mondiale qui avait marqué son adolescence, le sublime diptyque Mémoires de nos pères / Lettre d’Iwo Jiwa est une façon pour Clint Eastwood de revisiter une nouvelle fois le passé des États-Unis. S’inscrivant dans la droite lignée de ses œuvres précédentes comme Josey Wales, pour l’histoire lointaine de la guerre de sécession, ou Le Maître de guerre, pour le passé plus proche des conflits militaires des années 80, cet ensemble dense et cohérent amène sur les actes militaires un regard critique et sans concession. N’hésitant pas à écorner les emblèmes patriotiques comme le drapeau américain ou le traditionnel hara-kiri japonais, démontant la propagande des responsables de ces deux pays en guerre, ces films jumeaux sont comme les deux faces d’une même pièce, l’ombre et la lumière d’une bataille où protagonistes et antagonistes n’ont d’autre issue que la mort.

D’un culot incroyable ( voir par exemple la scène où des soldats américains exécutent, sans pitié et au mépris de toutes les conventions, leurs homologues japonais qui viennent juste de se rendre ), ces deux œuvres assomment les clichés hollywoodiens du film de guerre en prenant fait et cause pour l’individu, l’humain broyé par l’impitoyable machine étatique, une constante dans la filmographie du cinéaste.

Mais surtout, ce qui interpelle à la vision de ces deux films, c’est le saisissant effet miroir qu’ils imposent par rapport à la vie même de ce fantastique cinéaste. Dans Mémoires de nos pères l’un des héros principal de ce drame guerrier, l’amérindien Ira Hayes ( magnifiquement interprété par Adam Beach ) subit un destin inapproprié guidé en cela par une propagande d’état qui impose, de ce fait, un profond décalage, une évidente incompréhension entre l’homme et les institutions censées le protéger. Se sentant notamment coupable d’être en vie et starifié dans cette Amérique avide de légendes alors que tant d’autres continuent de périr à des milliers de kilomètres de là, Hayes devient un écorché vif, le centre de toutes les émotions du film qui malgré sa réticence initiale finira par se laisser manipuler comme ses deux autres camarades. Détruit par le système, il rejoint ainsi dans la filmographie d’Eastwood, un tas de figures importantes dont les trajectoires se composent au bon vouloir de la destinée, philosophie de vie à laquelle souscrit le génial réalisateur.

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Dans Sur la route de Madison, Eastwood magnifie une œuvre mineure, un petit roman de gare pour réaliser une somptueuse romance entre deux êtres, un photographe et une fermière, que tout oppose mais que le destin réunit pour une histoire d’amour exceptionnelle mais qui fatalement ne peut se poursuivre au-delà du temps qui leur était imparti. Impossible ainsi pour cette femme d’échapper à la monotonie de sa vie actuelle et d’entreprendre, de par sa propre volonté, une voie différente de celle tracée auparavant.

C’est également une voie indépendante de sa volonté que suit William Munny, le tueur d’Impitoyable. En quête de rédemption après un passé de tueur sans pitié, il remet sa situation actuelle en cause afin d’effectuer un dernier contrat. Quittant sa ferme et ses enfants qui représentaient une chance d’amendement, il ne peut résister à la tentation de repartir semer la mort sur son passage, rejoignant en cela le destin auquel il semble éternellement voué.

Destin tragique également que celui de Butch, le personnage interprété par Kevin Costner dans Un monde parfait. Revivant les drames de sa jeunesse par l’intermédiaire de sa relation avec un gamin qu’il vient de kidnapper, Butch ne peut échapper au sacrifice final qu’impose sa destinée.

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Victime un jour….

La rédemption est une voie pratiquement impossible chez Eastwood. Si Josey Wales arrive par ce biais à se créer une famille recomposée mais à l’opposé de sa famille originelle, elle semble illusoire pour la quasi-totalité des personnages eastwoodien. Ainsi Frankie, l’entraîneur de boxe dans Million Dollar Baby, ne peut se pardonner la perte de l’œil de son meilleur ami, ancien boxeur qu’il coachait, ainsi que de sa relation inexistante avec sa fille. Il trouve en Maggie, une jeune trentenaire désireuse de combattre et de relation filiale, la possibilité de guérir ces deux blessures et semble y parvenir….avant que le destin n’en décide autrement. Dans Mystic River, parfaite adaptation du roman de Denis Lahane, David subit un viol dans son enfance qui va conditionner sa trajectoire individuelle mais également, par réflexion, celle de ses camarades. L’issue est d’une évidence fatale, tant l’enfant martyrisé doit forcement dans l’imaginaire collectif, faussé par l’incompréhension du crime subi, entraîner, par ricochet, le malheur des autres. Pas de rédemption possible aux yeux de son ami d’enfance dont la vision est perturbée par un drame, le meurtre de sa fille. Fasciné par les victimes, Eastwood aborde avec ce film le sujet de la pédophilie par l’intermédiaire du film noir. Enquête policière débouchant sur une tragédie, critique cinglante de la justice individuelle, Mystic River confirme finalement que dans l’esprit de l’auteur le libre arbitre est illusoire.

Auteur d’une constance sans faille, Eastwood aura donc tout au long de sa filmographie imposé ses théories cinématographiques et philosophiques comme le destin. Le soldat de sa dernière production, le polémique American Sniper, représentant le dernier anti-héros de la longue carrière d’un cinéaste fidèle à ses principes, droit dans ses bottes.

Fabrice Simon

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