Le cinéma bis regorgeant de genres et sous-genres, il était normal qu’Artus Films, un éditeur qui nous a déjà livré par le passé plusieurs perles rares, explore des catégories encore assez méconnues, l’Euro Spy et le Rape and Revenge. Dans la première, avec Operazione Goldman (1966, Opération Goldman) d’Antonio Margheriti, toute la production cherche à rappeler autant les James Bond très en vogue que les fumetti, ces bandes dessinées qui l’étaient tout autant. Les espions sont censés être américains et parlent italien. Dans la seconde, La settima donna (1978, La dernière maison sur la plage) de Franco Prosperi, un modèle est en vue : celui posé par Wes Craven avec sa Last House on the Left (1972, La dernière maison sur la gauche). D’ailleurs, les distributeurs français de La settima donna chercheront à créer la confusion jusque par le titre.
Opération Goldman démarre immédiatement sur les canons en vigueur : un agent secret humoriste et dragueur, quelques jolies filles et un méchant super méchant caché dans une base secrète quelque part sous la mer. C’est kitsch, très kitsch même, et l’on pourrait se croire dans un Austin Powers si ce n’était que le héros, au sourire moins jaunâtre que celui de Mike Myers, ne nous assène pas clins d’œil et plissements de lèvres pour souligner un peu plus le trait. Anthony Eisley, qui joue l’espion, est un bellâtre pas franchement folichon mais le voir jouer avec son chéquier comme d’autres, à commencer par James Bond, sortent le Walther PPK montre combien le film de Margheriti garde en tête la parodie.
Parmi les autres acteurs, on remarquera les beautés dont s’entoure notre agent, la brune Diana Lorys et la blonde Wandisa Guida. Du côté obscur, c’est Folco Lulli, le sympathique Italien du Salaire de la peur, qui s’y colle. Avec ses cheveux courts teints en roux, il est assez méconnaissable. On appréciera en outre le décor futuriste de sa base et les otages cryogénisés qui sont moins beaux à voir après le dégel.
Un petit mot sur Antonio Margheriti, qui a passé l’essentiel de sa carrière sous le patronyme d’Anthony M. Dawson. Un cinéaste italien comme on les aime, qui pendant près de quarante ans, de 1958 à 1997, s’est investi dans tous les genres : péplum, western, science-fiction, guerre, policier, horreur, érotique, cannibales, animaux féroces, apocalypse, extra-terrestres… Bref, à lui seul, un dictionnaire de la série B (ou Z) transalpine.
Avec La settima donna, une décennie est franchie. Les Italiens lorgnent à présent les films d’horreur américains cradingues. Après un hold-up qui a mal tourné, trois bandits se réfugient dans une villa de bord de mer… habitée uniquement par cinq jeunes femmes sous la houlette d’une religieuse. Ne comptez pas sur vos doigts : le titre italien parle d’une septième femme parce qu’il y a aussi dans la maison une femme de chambre. Donc, cela fait bien sept.
Le film est glauque à souhait et habilement mené. Au fil du récit, les caractères se dévoilent autant chez les filles que les malfrats. Mais les apparences peuvent être trompeuses et Franco Prosperi maîtrise bien ses enjeux. Ce réalisateur, qu’il ne faut pas confondre avec le documentariste du même nom auteur de la série des Mondo Cane et Mondo Candido, a signé quelques films du nom de Frank Shannon. Il s’est, à l’instar de Margheriti, illustré dans tous les genres populaires. Ce qui a fait acquérir à l’un et l’autre une adresse certaine.
Il place ici face à face la vulnérabilité des jeunes femmes et la bestialité des hommes qui n’hésitent ni à frapper ni à violer, voire à tuer gratuitement. Tout ceci bien sûr pour faire naître chez le spectateur un sentiment de rejet et un impératif besoin de justice. Pas étonnant alors que pour la dernière partie de ce genre de sujets, celle que l’on appelle « Revenge« , on applaudisse à plusieurs mains la punition.
Principalement interprété par Florinda Bolkan et Ray Lovelock, mais aussi Sherry Buchanan et Laura Trotter, La dernière maison sur la plage se situe dans une lignée de films où des citoyens ordinaires doivent faire face à des gangsters armés. The Desperate Hours (1955, La maison des otages) de William Wyler, dont Cimino a tiré un remake en 1990, est sans doute l’un des premiers. L’œuvre de Prosperi annonce, avec bien sûr son prédécesseur signé Wes Craven, les films tels que les deux Funny Games de Haneke – certes beaucoup plus forts parce que dus à un véritable auteur qui pose d’autres questions et qui interroge le spectateur sur son voyeurisme face à des situations malsaines. Rien de tout cela ici : Prosperi place sa caméra du côté des bons et l’idée de châtiment n’apparaît à aucun moment comme discutable, comme elle ne l’apparaissait pas non plus dans Straw Dogs (1971, Les chiens de paille) de Sam Peckinpah. La dernière maison sur la plage montre la vitalité du cinéma italien de l’époque qui, tout en surfant sur les modes, nous livrait de bons petits films tout à fait honorables.
Jean-Charles Lemeunier
Opération Goldman et La dernière maison sur la plage en vente en DVD chez Artus Films le 3 février 2015