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Le bandit

Bach Films sort en DVD neuf films italiens échelonnés entre 1911 et 1946. La guerre s’achève et les Italiens inventent le néo-réalisme. Trois films de la collection datent de 1946 et s’inscrivent dans ce courant artistique.

Commençons avec Il bandito (Le bandit) que signe Alberto Lattuada et que produit Dino De Laurentiis. La force des cinéastes italiens (et Lattuada n’y fait pas défaut) est de ne jamais se prendre au sérieux jusque dans les moments les plus tragiques. Le bandit s’ouvre sur un train de prisonniers, ceux qui, capturés par les Allemands à la fin du régime fasciste, ont été conduits en Allemagne. Au fur et à mesure que passent les wagons, la caméra filme les graffiti qui les ornent : « Viva USA », « Viva Italia », « À mort Hitler » et… « Cherche femme même usagée ». Parmi les prisonniers qui s’extirpent tant bien que mal du train (Lattuada montre que tous n’ont pas cette chance, certains ayant péri pendant le trajet), se trouve Amedeo Nazzari, grande vedette de l’époque, un des acteurs préférés du public dans les années quarante et, surtout, version italienne d’Errol Flynn.

Ce démarrage s’articule fortement sur les préceptes du néo-réalisme, avec un style quasi documentaire. Lattuada filme sans pathos la réalité du retour : tel ce prisonnier qui a épousé une Allemande en captivité et qui est déjà marié en Italie avec deux enfants. En suivant Nazzari de la gare au centre de Turin, la caméra montre les maisons détruites par les bombardements et les champs de ruines. Son ami Carlo (Carlo Campanini) raconte comment il a résisté aux SS pour sa fille Rosetta (Eliana Banducci). Laquelle se trouve sur le quai de la gare et pleure au récit de son père.

Puis, Nazzari suit une fille dans la rue, qui s’avère être une prostituée et… sa sœur qu’il croyait disparue sous les bombardements (Carla Del Poggio). Lattuada n’a pas peur de souligner les détails sordides : lorsque Nazzari pénètre dans l’immeuble dans lequel la prostituée s’est engouffrée, il croise un vieux qui, visiblement, monte la garde : le « portier » lui fait un clin d’œil et, du menton, l’invite à suivre son gibier. Citons encore cette séquence étonnante, très gonflée pour l’époque, dans laquelle les anciens combattants font la queue pour toucher une pension de guerre. Même si l’Italie a rejoint le camp des Alliés en 1943, on a réellement l’impression de voir un film de perdants, des gens dont le moral se situe au niveau des chaussettes. Nous sommes complètement immergés dans la réalité d’un drame humain, ce qui sera l’un des traits du néo-réalisme. Mais, avec Lattuada, on aurait tort de croire que le film va suivre une trajectoire rectiligne.

C’est finalement parce qu’il suit instinctivement le conseil inscrit sur le wagon, à propos de la recherche d’une femme, que Nazzari va quitter le documentaire néo-réaliste pour entrer dans une fiction policière à l’américaine. En retrouvant sa sœur, le héros va entrer de plain-pied dans ce qui va évacuer les thèmes dépressifs amenés par tout ce qui vient de se produire depuis le début.

Dans le bonus, Jean A. Gili, l’historien du cinéma italien, estime que Le bandit est une bonne clef d’ouverture au monde d’Alberto Lattuada, cinéaste éclectique. On l’a vu, le film dérive du néo-réalisme au polar. La séquence du braquage est tout à fait réussie de ce point de vue. Mais Lattuada l’éclectique ne craint pas de délaisser les rivages policiers pour aborder ceux du mélo. Quand les gangsters se retrouvent en pleine campagne et qu’ils abattent le chauffeur d’une voiture pour s’enfuir, nous sommes encore dans un récit à l’américaine. Pourtant, le ton change soudain et laisse le spectateur désarmé, parce qu’il ne s’y attendait pas, devant un pur mélo. Et c’est le cœur serré que l’on assiste aux dernières séquences du Bandit, comme si l’on regardait un film de Raffaello Matarazzo (dont Nazzari fut, au cours des années cinquante, l’un des interprètes favoris).

le témoin

Il testimone (1946, Le témoin) est le premier film de Pietro Germi, signé sous la supervision d’Alessandro Blasetti. On y note, dans cette histoire d’un homme suspecté de meurtre, accusé par un témoin qui ensuite se récuse, l’étonnante prestation de Ronaldo Lupi, tout à la fois inquiétant et attachant. Jusqu’au bout, on gardera des doutes sur la culpabilité de son personnage. Face à lui, la très belle Marina Berti reste figée dans son rôle de jeune fille obligée de faire glisser sur elle l’adversité pour mieux pouvoir la vaincre. Si son personnage ne sourit jamais (et d’ailleurs, c’est le témoignage à propos d’« une fille souriante » qui pousse Lupi à rencontrer Berti), Marina Berti sait montrer par le regard, l’attitude, diverses émotions, son désarroi, son inquiétude, sa peur et son amour.

Plus connu pour ses comédies grinçantes, telles Divorzio all’italiana (1961, Divorce à l’italienne), Sedotta e abbandonata (1964, Séduite et abandonnée) ou Signore e signori (1966, Ces messieurs-dames, Palme d’or à Cannes avec Un homme et une femme de Lelouch), Germi se rappelle à notre bon souvenir avec ce premier film très intéressant, appartenant au courant néo-réaliste. Le témoin se rapproche également du cinéma français du Front populaire : c’est un cinéma d’arrière-cours et de gens simples qui se rencontrent et s’aiment, de copains qui viennent faire de la musique et boire du vin quand tout autour d’eux respire la crise, de couple qui ne demande qu’à vivre sa passion mais qui en est empêché par un destin plus fort qu’eux. Qui prend ici la forme de l’appareil judiciaire.

Mais le ressort principal du film repose surtout sur un problème de conscience. Deux des personnages, Lupi et Ernesto Almirante, formidable petit vieux qui doute de ce qu’il a réellement vu, ont des problèmes avec ce qu’ils ont fait. À l’instar de l’Italie qui s’est abimée dans le mauvais camp en suivant le côté obscur du Duce, Ronaldo Lupi a un comportement de coupable (alors qu’on ne sait pas s’il l’est réellement) et Ernesto Almirante qui, dans un premier temps, a accusé Lupi, ne sait plus quoi faire pour être agréable et faire oublier son erreur. C’est une qualité qui frappe dans le cinéma italien (et l’on pense à la grande époque des années soixante et soixante-dix), avec des scénarios complètement inscrits dans l’histoire contemporaine du pays.

La proie du désir

Au générique de Desiderio (1946, La proie du désir), figurent trois noms importants : Roberto Rossellini, Giuseppe De Santis et Marcello Pagliero. Co-écrit par De Santis qui, apparemment, a également dirigé certaines séquences, le film est commencé par Rossellini, interrompu pour cause de guerre et achevé par Pagliero. On peut s’amuser à repérer qui a amené quoi dans cette histoire de Paola, une prostituée qui, tombée amoureuse d’un brave horticulteur, part se réfugier dans son village natal.

De Rossellini, on reconnaît la qualité néo-réaliste de la description de la ville et de la campagne, des amours difficiles entre êtres simples que les conventions freinent et abiment. De Santis a-t-il filmé ces séduisantes séquences où les deux sœurs interprétées par Elli Parvo, qui a des airs de notre Ginette Leclerc, et Roswita Schmidt, se prélassent en petite tenue dans la chaleur de la journée ? Les plans de ces cuisses offertes au regard valent bien celles de la Mangano dans Riso amaro (1949, Riz amer), la plus célèbre réalisation de De Santis. Reconnaissons qu’un réel érotisme traverse Desiderio. Il passe non seulement par le personnage très sexué d’Elli Parvo, que l’on peut admirer en combinaison transparente et même torse nu, mais aussi par ceux de la sœur et de l’amie (Jucci Kellerman).

Est-ce en souvenir d’un grand film de Mario Camerini, à l’époque de ces « téléphones blancs » que l’on tournait pendant la période mussolinienne, mais ici, les hommes, quels mufles ! Des vieux qui s’affichent avec de jeunes femmes au salaud de la campagne qui a envoyé l’héroïne sur le trottoir en passant par le beau-frère (Massimo Girotti) qui se prend de désir pour Paola et délaisse sa propre femme. Le désir, qui donne son titre original au film, est bien la clef de tout ce petit monde. Seul Carlo Ninchi, l’horticulteur amoureux, est mu par l’amour alors que tous les autres mâles sont en chasse.

Et Pagliero, demanderez-vous ? Si on reconnaît les influences de Rossellini et de De Santis, quelle part est la sienne ? Acteur dans le cinéma français de l’immédiat après-guerre, il est apparu dans un curieux film de Jean Delannoy, Les jeux sont faits (1947). Dans ce scénario de Jean-Paul Sartre, les morts côtoyaient les vivants. L’existentialisme, philosophie à la mode au lendemain du conflit mondial, est bien au cœur des souffrances de Paola. Elle se plaint du vide de sa vie, de sa prédestination à céder aux hommes, et son parcours suit une boucle qui n’aurait pas déplu à l’auteur de La nausée. Certes, Desiderio est antérieur d’un an mais le propos existentialiste est dans l’air du temps.

Jean-Charles Lemeunier

Collection Les grands classiques du cinéma italien édité par Bach Films en DVD le 12 novembre 2014.

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