Bon timing : alors que son Incompresa était présentée à Cannes à Un Certain Regard, le premier long-métrage réalisé par Asia Argento sort chez Bach Films. Et, ce n’est pas une surprise, Scarlet Diva a beaucoup à voir avec Incompresa.
Certes, Asia s’est assagie avec le temps. Mais sa souffrance reste la même, celle d’être une enfant de la balle. Aria, l’héroïne d’Incompresa, est la fille d’un acteur et d’une musicienne célèbres. Pour la mère d’Anna, personnage central de Scarlet Diva, Asia Argento est allée chercher sa propre mère, l’actrice Daria Nicolodi, et lui a demandé de jouer… le rôle d’une actrice trop prise par son travail pour s’occuper de sa fille (d’ailleurs, dans l’article consacré à l’actrice-réalisatrice par wikipedia, on apprend son véritable nom : Asia Aria Anna Maria Vittoria Rossa Argento). Mise en abyme vertigineuse, Scarlet Diva parle d’une actrice qui cherche à produire son premier scénario, baptisé Scarlet Diva, et qui tombe enceinte d’un chanteur. Comme l’indique la romancière Agnès Michaux dans le bonus, le film sort en Italie en mai 2000 et, en juin 2001, Asia accouche d’une petite fille née de sa liaison avec le chanteur. Marco Castoldi.
Cette diva écarlate, Anna/Asia, donne beaucoup d’elle-même au mépris de la bonne morale italienne : elle se drogue, s’exhibe, couche avec le premier venu et déclare à qui veut l’entendre qu’elle exerce un métier de pute. Sa gentillesse la rend d’ailleurs victime, tels ces deux routiers qui veulent reluquer ses tatouages et la serrent de très près, ou cet assistant-photographe qui, lors d’une séance de prise de vue, lui refile une substance qui la renvoie dans un cauchemar digne des films de son père. Anna est pourtant très fleur bleue, tendance Sissi, et découvre dans les bras de son musicien (Jean Shepard) la différence qui existe entre le sexe et l’amour. Et tombe amoureuse.
Film chaotique, comme l’est le parcours d’Anna, Scarlet Diva nous donne du personnage, et forcément de celle qui l’interprète, une image attachante, perdue qu’elle est dans sa douleur originelle. C’est d’ailleurs, comme dans Incompresa, la dernière image qui vous saisit et vous fait comprendre combien ce film a pu vous toucher.
Heureusement pour nous, cette première mise en scène ne restera pas unique : Asia enchaîne avec Le livre de Jérémie en 2004 (dans lequel apparaît Marilyn Manson), puis Incompresa cette année. Au milieu, plusieurs courts (dont un documentaire sur son travail avec Abel Ferrara, dont Agnès Michaux voit la figure dans Scarlet Diva, incarné par Herbert Fritsch) et quelques clips (elle a sorti un album, Total Entropy, l’an dernier).
Alors, Ferrara ou pas Ferrara, ce grand cinéaste à qui Anna rend visite pour qu’il réalise son scénario, et qui n’est préoccupé que par son ego ? Peu importe mais il est vrai que, réalité ou légende (et l’on est toujours en droit, en matière de cinéma, de donner raison à Ford ou à Wiseman), beaucoup d’épisodes de Scarlet Diva sonnent très juste : l’interview à Locarno par le journaliste (Paolo Bonacelli), l’assiduité du producteur américain (Joe Coleman) qui lui fait oublier sa récompense ou le bout d’essai à Los Angeles en costume de Cléopâtre. Agnès Michaux voit dans ce film (et le générique de fin lui donne raison) le journal intime d’une jeune femme qui, par bien des aspects, ressemble encore à l’adolescente qu’elle était. Et lorsqu’Anna, regardant par la fenêtre, voit passer dans la rue un parapluie emporté par le vent, est-ce celui délaissé par Mary Poppins, ses illusions de gamine qui n’ont plus cours et qui, malgré tout, subsistent sous la forme d’un romantisme caché sous la punkitude ?
Si, dans tout cela, il ne fallait retenir qu’une qualité, c’est la modernité dont fait preuve Asia, cette façon de jouer et de diriger les autres, le montage, la musique, tout ce qui fait Scarlet Diva – et force est de reconnaître qu’elle a été à bonne école, tant avec Abel Ferrara qu’avec Dario Argento, Nanni Moretti, Sofia Coppola, Bertrand Bonello et quelques autres.
Jean-Charles Lemeunier
SCARLET DIVA
Ecrit et réalisé par Asia Argento
Photo : Frederic Fasano
Musique : John Hughes
Interprètes : Asia Argento, Jean Shepard, Herbert Fritsch, Gianluca Arcopinto, Joe Coleman, Francesca D’Aloja, Vera Gemma, Daria Nicolodi, Paolo Bonacelli, Leo Gullotta, Selen
Origine : Italie
Durée : 91 minutes
Sortie française en salles le 24 janvier 2001 et en DVD le 14 avril 2014
Editeur : Bach Films