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Art de la monstration, de l’obscène au sens strict (l’objet mis sur le devant de la scène), le cinéma possède mieux que d’autres cette aptitude à diviser le jugement critique lorsqu’il met mal à l’aise sans aucune retenue. Et quoi de mieux, pour embarrasser, que de traiter d’un sujet aussi délicat que l’inceste ? Emballez-moi tout ça dans un cocon proprement mis en scène, avec une belle photo, des cadres convenablement choisis, et voilà : un film faussement choc qui ne raconte pas grand-chose, sinon la relation ambiguë et glauque entre un père et sa fille, amoureux et amants, vivant une vraie vie de couple avec ses manques, ses jalousies et ses querelles. La réalisatrice israélienne Keren Yedaya (« Jaffa ») cherche à rentrer (un peu grotesquement) dans le lard du spectateur, en commençant par insinuer le doute avant de lui imposer la réalité : fifille à son papa, ou juste grande différence d’âge que l’homme mûr tente de dissimuler en public en présentant sa compagne comme sa progéniture ? L’incertitude est permise d’autant plus qu’à contre-courant du traitement « classique » (si l’on peut dire) de l’inceste, le plus souvent physiquement forcé, le lien qui unit Moshe et Tami est a priori librement consenti. Oedipienne en diable, la fille se donne volontiers au père bien au-delà du tribut ponctuel – ou droit de cuissage mythologique –, avec les délices que l’on prête à une luxure assumée.

Quand nous disons que le film ne raconte pas grand-chose, il faut le comprendre dans le sens où l’existence de Tami est rythmée par une répétition aberrante des mêmes gestes. Elle mange, elle vomit, elle se lave les dents, elle couche, elle pleure. Puis elle mélange, pleurant en mangeant, vomissant en pleurant. La bacchanale est pleinement consommée. Elle en serait presque jouissive, si ce n’était le contexte intime (l’inceste, précisément) et l’absurde comportement de cette jeune femme sans âge, au passé oblitéré, à l’avenir inexistant, bref se languissant dans un présent de désespoir et de peine. Tami n’a ni amis, ni études, ni travail, ni aucune occupation autre que prendre soin de papa, de toutes les façons que l’esprit puisse s’amuser à imaginer. Seule, seule, tristement seule. Pathétique. Et ingrate. C’est justement parce qu’elle l’est – pathétique et ingrate – qu’elle attire si peu la compassion chez un spectateur qui, franchement, a d’autres chats empathiques à fouetter.

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Sans vergogne, le film tisse la toile de cette relation invraisemblable tenue par la force psychologique du père et, sans doute, par l’insidieuse action de l’habitude (une habitude impossible à inscrire dans le temps, tant il est difficile de déterminer l’âge de l’actrice Maayan Turgeman, quelque part entre 15 et 20 ans). Tami ne donne jamais réellement l’impression de vouloir quitter le jeu amoureux incestueux, même quand elle prend ses quartiers chez une amie éphémère. Molestée, manipulée, abusée (les jeunes hommes rencontrés sur la plage en font ce qu’ils veulent), Tami a perdu toute force vive, elle s’est vidée de toute cette lumière intérieure qui nous éclaire en tant qu’humains. Elle est devenue une machine aux ordres du paternel / mari / amant / tyran, un robot sans âme qui semble ne reprendre un peu de vie qu’au moment du coït – coït réitéré à intervalles réguliers comme une litanie non pas érotique ou charnelle, mais purement libidinale, aussi commune et nécessaire que le fait de s’alimenter. Le problème est bien que le film lui-même suive cette voie de la robotisation, froide et calculée, vouant dans sa finalité le spectateur à pressentir un énième recommencement, et le récit à stagner dans les bas-fonds où il s’était empêtré dès les premières minutes.

Eric Nuevo

 

Loin de mon père (That Lovely Girl)

Israël

Réalisation et scénario : Keren Yedaya

Photo : Laurent Brunet

Interprétation : Maayan Turgeman, Grad Tzahi, Yael Abecassis

Distribution : Sophie Dulac Distribution

1h34

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