Après la parution du premier volume en juin 2013, les éditions IMHO ont édité fin 2013 le deuxième et dernier recueil du manga inachevé de Satoshi Kon, Opus. Une publication posthume qui permet de retrouver la saveur de l’univers particulier du réalisateur et donc mangaka et d’explorer de nouvelles facettes de ses thématiques et notamment la confusion imaginaire/réel jusqu’à former deux strates de réalités s’interpénétrant.
Le niveau d’exécution est tel qu’il ne manque que les images intermédiaires entre deux cases pour former un film digne de l’oeuvre de Kon. A l’époque, il travaillait en même temps à la préparation de son premier long Perfect Blue et le découpage de ses planches illustre avec brio à quel point il montrait déjà une grande maîtrise du langage cinématographique. Certains raccords audacieux et superbes préfigurant même ceux dont il nous délecterait tout au long de ses quatre films et de sa série Paranoïa Agent. C’est bien simple, il ne manque qu’une bande sonore et musicale pour accompagner la lecture et l’illusion d’une œuvre animée serait presque parfaite.
Dans ce volume 2, nous retrouvons donc le mangaka Chikara Nagai à la poursuite de Rin qui pour survivre a subtilisé la planche fatale où il est dessiné en train de se sacrifier pour tuer Le Masque, le grand méchant du manga Résonance. Jeune garçon aux pouvoirs psychiques entrant en résonance avec ceux de Satoko, Rin a pris conscience de son existence et pour la préserver s’est donc mis en quête de tuer l’ennemi avant qu’il ne devienne Le Masque. Il remonte donc dans la chronologie des épisodes déjà parus pour atteindre le numéro fatidique où il est apparu. Ce qui s’apparente à un retour dans le temps et les conséquences des actions de Rin sur la trame même de la fiction renvoyant à un paradoxe temporel.
Au prise avec un effondrement de la réalité diégétique, Chikara, Satoko et Mei (la petite soeur de Rin) doivent non seulement éviter l’effacement pur et simple (ce qui nous vaut une remarquable séquence sur le pouvoir de la création) mais retrouver puis neutraliser Rin sans interférer avec les évènements déjà dessinés et prenant place dans le passé de Satoko lorsqu’elle était petite fille.
Réflexion sur la condition de personnages de fiction, sur la responsabilité du créateur, Opus est aussi une mise en abyme très aboutie puisque le déroulement de l’intrigue dessinée par Kon entre en résonance avec les souvenirs de Chikara et pousse à fond le concept métafictionnel en entraînant toujours plus loin les personnages dans la propre remise en question de leur nature et leur univers.
Manga inachevé à cause de l’arrêt brutal de la revue dans laquelle il paraissait, Satoshi Kon donna néanmoins une conclusion tout à fait honorable et satisfaisante quelques temps plus tard pour l’édition compilée de ses épisodes. Des crayonnés que l’on penserait même prévu dès l’origine du projet tant ils entrent parfaitement en résonance avec l’oeuvre qui vient de se dérouler.
Pas besoin de préciser que ces deux volumes édités par IMHO sont à ranger dans toute DVD-thèque idéale aux côtés des films du regretté Satoshi Kon.
Et si l’on pense qu’il en avait fini avec Le Masque, revoyez, à l’aune de cette lecture stimulante, le film Perfect Blue, dans une scène clé du métrage vous remarquerez un élément de décor familier qui peut ainsi donner une nouvelle approche rétrospective du film.
Ultime preuve si on en doutait encore, du génie créatif et narratif de maître Satoshi.
Nicolas Zugasti