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On le disait autrefois et il serait bon de le répéter : oui, Michel Simon était l’un des plus grands acteurs de son temps. Deux combos DVD + Blu-Ray sortis chez Pathé Vidéo, Boudu sauvé des eaux (1932) de Jean Renoir et Le bonheur (1934) de Marcel L’Herbier, sont là pour le rappeler.
Après La chienne (1931, où le personnage joué par Michel Simon finit clochard), Renoir et Simon cherchent un nouveau sujet de film. L’acteur vient de jouer au théâtre des Mathurins Boudu, une pièce anarchisante de René Fauchois. Lequel, en plus d’être auteur, aimait incarner les personnages historiques à l’écran : il avait été Napoléon dans un court-métrage muet et sera Marat dans Remontons les Champs-Élysées et Chateaubriand dans Le destin fabuleux de Désirée Clary, deux films de Sacha Guitry.
Il n’en faut pas plus : Michel Simon propose à Jean Renoir le sujet qui est aujourd’hui considéré comme un classique mais qui, d’après les commentaires de Michel Simon dans les bonus, a été très décrié lors de sa sortie et a choqué les bourgeois.
Boudu, c’est ce clochard qui se jette à l’eau parce qu’il a perdu son chien et qui est sauvé de la noyade par le libraire Lestingois. Incarné par Michel Simon, l’énergumène aura vite fait de transformer toute la famille, le couple de petits-bourgeois (M. et Mme Lestingois, joués par Charles Granval et Marcelle Hainia) et la petite bonne Anne-Marie (Séverine Lerczinska), que M. Lestingois aime bien rejoindre le soir dans sa chambre, « parce que Madame ne veut plus » (faire l’amour, bien évidemment).
Si Renoir marque déjà les différences de classes (ce qu’il fera encore plus par la suite dans La grande illusion et La règle du jeu), il montre surtout comment l’irruption du clochard (sans classe du tout, sans éducation aucune, sans bon goût, sans rien si ce n’est une gouaille qui le rend attirant auprès de ces gens de bonne tenue) va tout bousculer. Boudu, c’est un peu ce que sera plus tard l’ange de Théorème ou le Visitor Q de Miike : après son passage dévastateur, plus rien ne sera pareil.
Lui-même grand bourgeois, Renoir montre beaucoup d’indulgence pour son libraire libertin, à la main qui s’aventure longuement sur la poitrine d’Anne-Marie et dont les rêves, illustrés en prologue du film, le montrent en satyre galopant, jouant du flûtiau et tournant autour de la domestique.
Pour donner chair à ce clodo hors du commun, Michel Simon minaude, lève les yeux au ciel, tord la bouche en parlant ou se gave de sardines, puisées à la main à même la boîte, avant de prendre la parole. Dans la boutique du libraire, il se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, renverse tout, joue au maladroit. Éléphant certes, mais jamais lourd car l’acteur sait se dandiner, se contorsionner, rendre gracieux ce corps encombrant tout en étant toujours là où il ne faut pas. Il faut le voir, le pied sur le couvre-lit de Madame, tenter de mettre du cirage sur ses chaussures. Cirage dont il se tartine les doigts et qu’il essuie ensuite consciencieusement sur les draps. Puis, voulant se passer les mains sous l’eau, il fonce dans la cuisine, renverse tout, laisse couler le robinet et s’en va.
Boudu est un empêcheur de tourner en rond et bouscule sans s’en rendre compte les habitudes de ce petit monde. Il empêche, la nuit, Lestingois de rejoindre Anne-Marie. Il pourrait agacer mais, bizarrement, on lui passe beaucoup de choses. Michel Simon est si placide. Si sympathique. Et tellement à contre-courant de tout. Une séquence dit beaucoup du personnage et montre combien il se moque de tout, y compris de sa propre survie. Alors qu’il est sur un banc, au début du film, on lui fait l’aumône d’une pièce. Lorsqu’une belle voiture décapotable arrive à sa hauteur, il se rue sur la portière pour ouvrir la porte et récupérer un pourboire. Le conducteur sort, se fouille les poches, ne trouve rien. Alors Boudu lui tend l’argent qu’il vient de récupérer sur son banc et s’en va sereinement, laissant perplexe le chauffeur de la voiture.
Si l’on sent la jubilation de Michel Simon à ravager l’intérieur bourgeois des Lestingois, celle de Renoir qui le filme est tout aussi sensible. Sous ses aspects de gros rustre, Boudu est aussi un séducteur et le cinéaste s’amuse, lorsque le clochard parvient à ses fins, à élever la caméra au-dessus du lit pour se fixer sur une chromo : celle d’un petit clairon qui avance vaillamment, l’instrument au clair.

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Le bonheur n’a rien à voir avec le chef-d’œuvre qu’est Boudu. C’est un honnête mélo dans lequel on découvre un Charles Boyer flamboyant, aux yeux de braise, proche du malfrat qu’il incarnait l’année précédente pour Fritz Lang dans Liliom. Le bonheur est un film d’opposition. Marcel L’Herbier met face à face un héros libertaire (Charles Boyer) et une riche actrice adulée (Gaby Morlay), le théâtre d’où vient le sujet (le film est tiré d’une pièce d’Henry Bernstein) et le cinéma (on voit le tournage d’un film dans le film) et mêle les sexualités. Ainsi, il engage pour la quatorzième fois son complice Jaque-Catelain, un acteur que l’on savait proche des milieux homosexuels et qui fut sans doute lié à L’Herbier par des liens plus que professionnels (ce que dit clairement N.T. Binh, dans l’un des suppléments) et lui donne le rôle du mari de Gaby Morlay. Michel Simon, lui, est le manager de l’actrice, ouvertement homo. Simon en rajoute en grande folle et livre une composition très amusante qui donne au film ses meilleurs moments de comédie pure. L’Herbier capte alors le regard amusé que porte Jaque-Catelain sur cette caricature incarnée par Simon de ce qu’est sans doute vraiment Catelain dans la vie.
Dans le rôle du manager, Michel Simon reprend un rôle qu’il a, là aussi, créé à la scène. Il fait le précieux et reprend quelques mimiques qui sont devenues sa marque de fabrique : haussement des yeux, torsion de la bouche. De la même manière que Charles Boyer fait don au film d’une sauvagerie salutaire, Michel Simon offre à ce Bonheur toute la saveur d’une composition à peine forcée.
Dans la scène du tribunal, ceux qui ont de bons yeux pourront s’amuser à reconnaître Jean Marais en figurant.
Si Boudu sauvé des eaux est forcément un régal et Le bonheur une curiosité agréable à découvrir, on regardera avec un intérêt égal les nombreux bonus qui accompagnent les deux films : interviews de Michel Simon, de Marcel L’Herbier, documents d’époque, appréciations de critiques d’aujourd’hui, etc.

Jean-Charles Lemeunier

2 combos DVD + Blu-Ray restaurés, édités par Pathé le 26 mars 2014

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