Une baffe fait parfois plaisir à voir. Surtout quand elle est reçue par une tête à claques. Et l’on peut dire qu’en matière de tête à claques, Alvaro Vitali bat des records incommensurables. Une jolie fille régale encore plus le regard, d’autant plus si elle est court vêtue, voire pas vêtue du tout. En ajoutant le premier élément au second, on obtient ce que les Italiens ont appelé la commediaccia, c’est-à-dire une comédie qui n’est pas de haut vol par rapport à celles, magnifiques, qu’ils ont signées pendant des décennies. Une comédie résolument machiste où les hommes, tous plus abrutis les uns que les autres, ne rêvent que de voir à poil la jolie fille du film. Car les commediaccie ont ceci de particulier : l’actrice principale est toujours canon, elle tourne la tête à tous les mâles et ôte facilement ses fringues, à condition qu’il y ait un trou de serrure où quelqu’un pourra glisser un œil. N’exagérons pas : elles se défringuent facilement, certes, mais pas autant que leurs homologues mexicaines des ficheras des années 70 et 80 : dans ces comédies tournées au sud du Rio Grande, la plupart des actrices se retrouvent très rapidement entièrement nues, de dos, de profil et de face, sous le moindre prétexte et parfois sans prétexte du tout.
Bien qu’elles n’aient rien de la froideur d’un iceberg, les commediaccie ont, comme lui, une partie émergée. Quelques-uns de ses réalisateurs sont reconnus en France, à commencer par le grand Dino Risi dont certains films (Vedo nudo – Une poule, un train… et quelques monstres, 1969 ; Sessomatto – Sexe fou, 1973 ou Sesso e volentieri – Les derniers monstres, 1982) s’apparentent à ce sous-genre. Mais pour un Risi ou un Pasquale Festa Campanile, combien de Michele Massimo Tarantini (le Quentin du pauvre ?), de Mariano Laurenti ou de Sergio Martino ?
Ces deux derniers sont justement les réalisateurs de deux commediaccie (en France, on les nomme “comédies sexy italiennes”) éditées par Bach Films en DVD.
Du premier, on appréciera La prof d’éducation sexuelle (1981) dont le titre original, L’onorevole con l’amante sotto il letto, doit pouvoir se traduire par L’honorable (sous-entendu député) avec la maîtresse sous le lit. Du second, Giovannona Coscialunga disonorata con onore (1973) : donc Mademoiselle Cuisses Longues qui, chez nos voisins, est déshonorée avec honneur.
Navrant est certainement le premier adjectif qui vient à l’esprit à la vision de ces bluettes. Mais qu’est-ce qu’on peut prendre comme plaisir en regardant les sempiternelles grimaces des acteurs, les baffes et les coups de pied au cul, les regards tordus sur de belles fesses rebondies ! Toute l’Italie des années 70 et 80 est dans ces commediaccie : les jolies filles, les latin lovers, les marâtres, les hommes politiques (très teintés de Démocratie chrétienne) ouverts à toutes les compromissions et les membres du clergé encombrants. Il y a ainsi, dans La prof d’éducation sexuelle, un évêque (Gigi Reder) que l’on cherche à éviter (Lino Banfi, le député, se cachera même sous son bureau pour cela) et un tonton curé (Giacomo Furia) terriblement collant. Ajoutons un troupeau de sœurs menées par Jimmy il Fenomeno, acteur au faciès de catcheur qui aimait se travestir dans ce genre de comédies. Les religieuses se retrouvent vite à crapahuter sur la moquette à quatre pattes à la recherche d’un bijou qui n’existe pas.
Parlons encore des grimaces : Lino Banfi se mord la main, louche sur sa mèche rebelle, se prend des portes dans le nez et trébuche sur tous les obstacles à sa portée. Il est, avec son comparse Alvaro Vitali, le roi de la commediaccia. Vitali justement : ce nabot de première main a non seulement travaillé avec Fellini, Risi et Polanski, mais on ne peut se passer de citer quelques-uns de ses succès mémorables : La baigneuse fait des vagues, La lycéenne fait de l’œil au proviseur, L’infirmière a le bistouri facile ou La doctoresse préfère les marins. Tout un programme !
Malgré toutes leurs singeries, leurs airs de gros nazes, leurs mimiques stupides et les coups qu’ils se distribuent, Banfi et Vitali portent véritablement les films qu’ils jouent et parviennent à faire rire les plus intellos de leurs spectateurs. Ils sont l’alibi comique de la sexy comédie et dire qu’ils surjouent est un douloureux euphémisme : le mot n’est pas assez fort et ceux-là sont vraiment des coriaces, des inoxydables. Ils n’ont honte de rien et certainement pas de refaire, de film en film, les mêmes torsions de la bouche et des yeux. Un alibi, c’est certain : les Italiens pouvaient dire à la partie féminine de la famille (l’épouse ou la mamma) qu’ils allaient au cinéma pour se marrer. Certes, ils reluquaient au passage la beauté déshabillée mais se marraient quand même. Et, au final, des années de plus tard, de qui se rappelaient-ils le mieux ? De la jolie brune ? De la belle blonde aux gros nichons ? Ou des grimaces de Vitali et de Banfi quand ils se retrouvaient en élève et proviseur, militaire et adjudant, simple flic et commissaire… ?
Il n’en est pas de même pour Edwige Fenech qui éclaire Giovannona Coscialunga. Vu la couronne accordée aux deux autres crétins, cette grande et très jolie brune est l’impératrice de la commediaccia. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit. Edwige a, c’est certain, une plastique parfaite mais ce n’est pas son seul atout. On pourrait parler parfois de son absence de jeu, la belle Edwige se contentant de n’être que jolie. Mais ce n’est pas entièrement exact : dans La Pretora de Lucio Fulci, elle interprète une juge coincée et sa sœur jumelle qui gagne sa vie sur les trottoirs… et se tire très bien de ce double emploi. Giovannona exerce ce même métier de prostituée. Edwige Fenech l’incarne avec tellement de candeur, sans en rajouter dans le côté sexy, que la grande majorité des Italiens lui ont accordé, à l’instant où ils la voient apparaître, le Bon Dieu sans confession.
Son personnage est, dans ce film, plutôt bas de plafond. Donc, ceux qui l’emploient (un industriel véreux et son secrétaire) lui demandent d’être simplement jolie et d’ouvrir la bouche le moins possible. De là à voir dans ces deux personnages les reflets d’un producteur et d’un réalisateur de sexy comédies, il n’y a qu’un pas qu’on s’amusera -ou pas- à franchir. Outre ces deux-là, on retrouve les figures récurrentes de la comédie italienne : un sénateur, un curé, un maquereau et quelques épouses acariâtres et frustrées. Le reste est une suite de quiproquos, de coups et de poursuites avec un finale à la Benny Hill.
Une fois n’est pas coutume, Edwige n’a pas pour partenaires Banfi et Vitali, mais se rattrape avec quelques autres énergumènes, de Pippo Franco à Vittorio Caprioli, en passant par Gigi Ballista. Franco est la tête à claques du film et ,d’ailleurs, il s’en reçoit quelques-unes. Le spectateur moyen qui, d’ordinaire, s’identifie au héros en a en principe pour son argent. A la fin de la projection, non seulement il aura vaincu tous les méchants mais il partira au bras de la jolie fille qu’il aura su séduire au passage. Il en va tout autrement avec les comédies sexy italiennes. Le personnage mâle principal aura, certes, pris quelques râteaux mémorables et du mal à parvenir à ses fins mais il vengera ledit spectateur de toutes les déconvenues de la vraie vie et de toutes les réelles baffes qu’il aura ramassées. D’où le plaisir d’applaudir le protagoniste et de lui faire la claque. Lui qui, au propre comme au figuré, sera alors vraiment… une tête à claque.
Un seul regret : les deux DVD ne comportent qu’une piste sonore française. Du coup, les grivoiseries sonnent d’une façon beaucoup plus vulgaire.
Jean-Charles Lemeunier
La prof d’éducation sexuelle et Mademoiselle Cuisses Longues en DVD chez Bach Films depuis le 1er août 2013.