Retrouver son âme d’enfant en regardant un film n’est pas si fréquent et c’est pour cette raison qu’il faut saluer la nouvelle salve de serials, ces films à épisodes américains des années trente et quarante, que nous propose en DVD Bach Films dans sa désormais célèbre collection dirigée par Roland Lacourbe. Avec leurs scénarios répétitifs et leurs interprètes dont les méthodes n’ont strictement rien à voir avec celle de l’Actor’s Studio, on pourrait rigoler bêtement et ne faire que cela.
Or, ces films possèdent un charme indéniable qui balance par dessus votre tête tous vos critères habituels : les serials n’offrent à vrai dire pas grand chose de ce qui vous fait habituellement aimer un film, si ce n’est la bonne santé. Ils en pètent, de bonne santé, et c’est un régal de voir le héros et les méchants se foutre sur la gueule tous les quarts d’heure. On retrouve par exemple dans Zorro’s Black Whip (1944, Zorro le vengeur masqué), que Spencer Bennet et Wallace Grissel cosignent pour Republic, une joie communicative dans le saccage. Dès que le Zorro du titre ou George J. Lewis, le gentil de l’histoire, se battent avec les méchants, ils mettent systématiquement à mal tout le mobilier de la pièce où se déroule le pugilat. Les cascadeurs devaient avoir pour mission de tout fracasser (il faut dire que les décors n’ont jamais l’air très solides) : comme les gamins des années quarante devaient sauter sur leurs sièges, l’adulte d’aujourd’hui trouve ces bagarres excessivement jubilatoires. Parfois, celles-ci relèvent presque du gag surréaliste. Toujours dans le même serial, quelques gros bras ont la tâche de détruire le siège du journal local. Les types sont surpris par George Lewis. Lequel, en tapant du poing contre eux, les aide à briser entièrement tous les meubles. Mission accomplie des deux côtés.
Ouvrons une petite parenthèse : le George J. Lewis en question incarnera, quelques années plus tard, le père de Don Diego (Guy Williams) dans la fameuse série télévisée qui a charmé tant de générations.
Zorro’s Black Whip, donc. Bien que qualifié pendant tout le film de “masque noir”, le “fouet noir” du titre n’appartient pas à Zorro, jamais cité dans le film, mais à un justicier masqué qui sévit dans l’Idaho de 1889 et non dans la Californie encore sous domination espagnole. Malgré tout, dans le générique, le nom de Johnston McCulley, le créateur de Zorro, est mentionné. En outre, plutôt que d’évoquer Zorro, il faudrait parler de Zorra. Car le fameux justicier, et le scénario n’en fait pas mystère, est une justicière (Linda Stirling, déjà interprète de Tiger Woman, un autre serial édité chez Bach Films). Je l’écrivais quelques lignes plus haut : laissez tomber tous vos critères de sélection. Ici, la psychologie est sommaire, les péripéties sont tirées par les cheveux, les pièges dans lesquels tombent les héros sont, l’épisode suivant, déjoués en deux coups de cuillère à pot. C’est ce qui fait le sublime de ces films à épisodes : la mauvaise foi y est présente dans une dimension à côté de laquelle la 3D fait figure de platitude. Ajoutons-y le l’énergie et un rythme époustouflant (ça bouge tout le temps) et, parfois, un réel mystère quant à l’identité de certains personnages.
Ce n’est pas le cas dans Zorro’s Black Whip, où le méchant et la justicière sont montrés dès les premiers épisodes. Par contre, dans The Three Musketeers, le serial Mascot de 1933, on subit avec jouissance l’excellent suspense quant à l’identité d’El Shaitan, le chef des méchants.
Réalisées par Armand Schaefer et Colbert Clark, les aventures de ces Mousquetaires ont pour vedette un tout jeune John Wayne. Bien que crédité quatrième au générique, c’est sur ses épaules que repose l’histoire, lointainement adaptée de Dumas : les trois mousquetaires appartiennent à la Légion étrangère, tandis que leur D’Artagnan (Wayne) est un pilote américain. Les Arabes qui les entourent sont soit douteux soit de redoutables adversaires. Le scénario joue avec les nerfs du spectateur, qui va soupçonner l’un ou l’autre personnage d’être le chef du Fiery Circle (le Cercle ardent). Dans ces aventures mouvementées au cours desquelles on n’a jamais le temps de s’ennuyer, on retrouve un petit côté Tintin très agréable.
Lui aussi tourné pour Mascot Pictures en 1935 par Otto Brower et B. Reeves Eason, The Phantom Empire est sans doute, des cinq titres, celui qui inquiète le plus au départ. Il faut avouer que le héros, Gene Autry, est un cowboy chantant, une espèce aujourd’hui en voie de disparition mais qui eut son heure de gloire aux États-Unis (chez nous, c’est tout juste si l’on se souvient de Roy Rogers et de son cheval Gachette). Qu’il entonne ses chansonnettes country ou qu’il se heurte aux étranges soldats d’un continent oublié souterrain, Autry est un tantinet ridicule et pénible et les gentils gamins qui lui prêtent secours et qui s’époumonent à tout bout de champ “À la rescousse” le sont tout autant. Il faut bien avouer que l’argument de départ paraît faiblard : Autry doit tous les jours à la même heure enregistrer une émission de radio dans un ranch. Bien sûr, les méchants n’auront de cesse de lui mettre des bâtons dans les roues. Qu’à cela ne tienne : en peu de temps, le récit vous captive autant par ses trouvailles que par son ingéniosité. L’ingénuité est également au programme et on se régalera de l’emploi qui est fait des robots souterrains. Certains personnages sont, il est vrai, quelque peu délaissés (tels les méchants géologues) mais le royaume de Mu a de la gueule et ses mystérieux cavaliers dont le seul grondement est effrayant naissent d’une riche idée qui mérite le détour. Dans les serials en général et dans celui-ci en particulier, l’imagination prend le pouvoir.
Avec The Painted Stallion (1937, La caravane de l’enfer), retour vers le studio Republic. William Witney, Ray Taylor et Alan James se sont partagés la réalisation de ce western. Futur grand maître du film à épisodes, Witney a débuté sa carrière cette même année, en 1937. On ne peut pas le créditer d’une mise en scène transcendantale. Ce film reste néanmoins très agréable à suivre, ne serait-ce que pour l’utilisation des paysages grandioses que traverse une caravane et pour la sympathie générée par le héros, Ray “Crash” Corrigan, qui affiche souvent ce flegme dont ne se départira jamais plus tard un Robert Mitchum. Le piment de l’histoire est apporté par cet étalon paint du titre original (“bicolore” dans les sous-titres français), que chevauche une mystérieuse et jolie cavalière indienne qui tire souvent d’un mauvais pas les héros. Elle a les traits de Julia Thayer, plus tard connue sous le nom de Jean Carmen, mais qu’il ne faut pas confondre avec la jolie blonde du même nom (Jeanne Carmen) qui fut, dans les années cinquante, la copine de Marilyn et des Kennedy et qui adorait se faire photographier en tenue légère.
Le scénario de The Painted Stallion ne s’embarrasse pas de détails : crédité Stuart dans la présentation de chaque épisode, le héros voit, par exemple, son nom orthographié Stewart sur un courrier. Les séquences sont assez répétitives (les cavaliers traversent le même espace dans un sens puis dans l’autre), les mêmes images sont réutilisées (telle celle où la cavalière indienne franchit à cheval un ravin ou lorsque Corrigan bascule dans le vide et se raccroche à une broussaille) mais rien n’est grave ici. Comme ces petites tricheries qui font le sel des serials : à la fin de chaque épisode, le héros est laissé dans une situation périlleuse, un cliffhanger, dont on pense à juste titre qu’il ne pourra se sortir. L’épisode suivant (que les spectateurs voyaient la semaine suivante) nous dévoile un plan que les réalisateurs s’étaient bien empressés de nous cacher : si la carriole plonge dans le vide, le héros a pris soin, juste avant la chute, de s’éjecter du véhicule. Et là encore, comme un enfant, on se surprend à soupirer. Le héros est sauf et l’action peut repartir de plus belle car il n’existe aucun temps mort dans tous ces films. J’évoquais la mauvaise foi ? C’est de la mauvaise foi et c’est génial.
Plusieurs célébrités de l’histoire américaine apparaissent au fil des épisodes de The Painted Stallion : Kit Carson (incarné par Sammy McKee, un gamin de 13 ans), Jim Bowie (Hal Taliaferro) et Davy Crockett (Jack Perrin). Ajoutons que la partie comique est assurée par les duettistes Oscar et Elmer, inconnus chez nous et qui le resteront sans doute. Ces séquences tournées pour amuser les plus jeunes spectateurs sont forcément celles qui ont pris le plus de rides. Qu’importe : les serials n’en finissent pas de nous enchanter par leurs trouvailles.
C’est également de 1937 que date Dick Tracy, à la tête duquel on retrouve Ray Taylor et Alan James. Le studio est, une fois de plus, Republic.
Alors que les gangsters font fureur dans le cinéma américain des années trente, Chester Gould leur invente un adversaire de taille, Dick Tracy, dans une bande dessinée créée en 1931. Aidé des célèbres G-Men, ce détective de choc ne s’embarrasse pas de préjugés : face à de redoutables méchants (qui, comme dans Batman, sont la grande force de la bédé), Tracy donne facilement, très violemment même, le coup de poing.
Dans ce premier serial qui conte ses aventures (plusieurs autres suivront), Tracy doit combattre The Spider, appelé aussi le Boiteux et dont on ne voit toujours que le pied-bot ou le visage dans l’ombre. Les films à épisodes adorent les super-héros qui combattent seuls les féroces armadas de leurs ennemis. L’agent du FBI n’a aucun pouvoir mais c’est toujours seul, ou accompagné d’un collègue, voire d’un gamin (le fidèle Junior, incarné par Lee Van Atta), qu’il va se jeter dans la gueule du loup. Dick Tracy se rapproche des séries télévisées telles que nous les connaissons aujourd’hui. Dans les autres serials, la même histoire se déroule au fil des quinze épisodes, jusqu’à ce que le héros vienne à bout de ses adversaires. Ici, même si le fil conducteur est la lutte entre Tracy et le Boiteux, les différents épisodes illustrent les victoires successives du FBI : Tracy fait à chaque fois échouer les manigances diverses et variées du Boiteux, tout en recherchant son frère disparu. Le spectateur, lui, sait dès l’origine que Gordon, le frère en question, a été enlevé par le Boiteux. Il a subi une intervention du cerveau par le méchant docteur Moloch (John Picorri) et est devenu le bras droit du Boiteux. L’acteur est même changé, puisque le gentil Richard Beach se transforme en méchant Carleton Young. La bédé et les serials adorent la science-fiction (ici le traficotage du cerveau ou une aile volante, avion surpuissant contre lequel aucun coucou du FBI ne peut lutter), même dans des histoires qui collent à la réalité. Ainsi Tracy assiste-t-il à l’inauguration du Bay Bridge de San Francisco, ouvert en 1936, année du tournage.
Pas étonnant que les ténors de la Nouvelle Vague, dont les films étaient inscrits dans la période où ils étaient tournés, aient adoré les films américains en général et les séries B en particulier. Celles-là, et c’est également vrai pour les serials, donnent la véritable température de l’époque. Et cela, outre le plaisir de regarder des scénarios complètement échevelés, est d’une importance capitale.
Jean-Charles Lemeunier
Collection mise en vente en DVD par Bach Films le 6 mai 2013