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L'épave_Cela ne fait aucun doute, Willy Rozier était un auteur. Il avait un univers que l’on retrouve dans la plupart de ses films avec, entre autres, la mer, ce qui est normal pour un champion de natation (il l’est en 1925 et représente la France aux Jeux olympiques d’Amsterdam en 1928, face à deux futurs Tarzan, Johnny Weissmuller et Buster Crabbe). Mer et plongée sont inscrits aux génériques des deux films les plus connus de Rozier, L’épave et Manina, la fille sans voiles et on les retrouve ici ou là, au détour d’une péripétie (entre autres dans la série des Callaghan). L’Afrique est un autre thème qui parcourt la filmographie de l’intéressé.
Après les quatre films illustrant les aventures du détective Slim Callaghan, Bach Films poursuit ses investigations dans la carrière de Willy Rozier en sortant simultanément Monsieur chasse (1947), 56, rue Pigalle (1948), L’épave (1949), Les amants maudits (1952) et ses deux dernières œuvres, érotiques celles-là : Dany la ravageuse (1972) et Dora, la frénésie du plaisir (1976).
Tous ces films ont pour scénariste Xavier Vallier (pseudo de Rozier) et sont produits par la Sport-Films, sa boîte de production. Si avec tout ça, vous ne pensez pas que Rozier mérite son qualificatif d’auteur, c’est à désespérer de tout !
Ne nous méprenons pas : ce statut ne fait tout de même pas de Rozier l’équivalent d’un Renoir. Ses films peuvent paraître quelque peu surannés ou surjoués. Mais, en mettant à part Dany et Dora, sur les quatre autres films nouvellement à disposition, c’est sans doute L’épave, le plus connu, qui a le plus mal vieilli, suivi par 56, rue Pigalle. Monsieur chasse et Les amants maudits sont, quant à eux, deux très agréables surprises.

mr chasse
Reprenons l’ordre chronologique. En 1947, à l’époque où il tourne Monsieur chasse, Rozier a déjà derrière lui une carrière d’acteur (entre autres chez Robert Siodmak et Anatole Litvak) et de cinéaste (depuis 1933). Pour cette adaptation d’une pièce de Feydeau, il sait trouver le rythme adéquat, un rythme qui ne faiblit jamais. Et s’entoure de comédiens à toute épreuve, des qui n’ont pas peur de se jeter à corps perdu dans la comédie et dont l’excentricité est toujours réjouissante aujourd’hui. Le monsieur qui chasse (Frédéric Duvallès) se sert en fait de cet alibi pour aller rejoindre sa maîtresse. Sa chaste épouse (Noëlle Norman) est courtisée par le meilleur ami de monsieur (Paul Meurisse). Ajoutons à cela un autre ami (Félix Oudart qui, bien que né à Lille, s’amuse à prendre ici des allures de Raimu). Et un neveu (Eddy Rasimi). Et une logeuse (Marguerite Deval) qui se mêle de ce qui ne la regarde pas. Et quelques autres dont un commissaire (Moncorbier) et le tour est joué. Ça court dans tous les sens, souvent en caleçon, à une vitesse folle. Certes, ce n’est pas Occupe-toi d’Amélie dans la version brechtienne que Claude Autant-Lara donnera de la pièce de Feydeau deux ans plus tard mais le plaisir est là. Communicatif.

56ruePigalle

Sorti l’année suivante, 56, rue Pigalle est un mélo de première bourre dans lequel un innocent (Jacques Dumesnil), accusé du meurtre d’un maître-chanteur, s’enfuit en Afrique. Bien oublié aujourd’hui, Dumesnil (qui est pourtant au générique des Tontons flingueurs dans le rôle du Mexicain), plus guindé que romantique, est un acteur que l’on retrouve dans plusieurs films intéressants de l’époque (comme Le mariage de Chiffon d’Autant-Lara ou La ferme des 7 péchés de Jean Devaivre). Rozier l’avait déjà dirigé dans Les trafiquants de la mer deux ans auparavant. Quant à sa partenaire Marie Déa, c’est pour elle (si l’on en croit l’écrivain Thierry Crifo, interviewé pour le bonus des Amants maudits) que Willy Rozier provoqua en duel à l’épée le journaliste François Chalais, qui avait eu le malheur de critiquer l’actrice. C’est dire le genre de personnage qu’était Willy Rozier. Le duel se fit et il en reste une archive filmée.
L’épave date de 1949. C’est le plus connu (avec, je le répète, Manina, que Bach Films n’a pas encore sorti mais on garde bon espoir) et, du coup, le plus décevant.  Qu’on ne se méprenne pas : il est normal qu’avec un tel parfum de soufre flottant au-dessus de cette production, on soit heureux de la voir enfin. L’épave, c’est ce bateau englouti que fouille le héros (André Le Gall), un plongeur professionnel. C’est aussi ce qu’il devient, fou d’amour, après sa rencontre avec Perrucha (une toute jeune Françoise Arnoul, dont c’est la première apparition – si l’on excepte une figuration, coupée au montage, dans Les Rendez-vous de juillet de Becker). Une Françoise Arnoul à la moue boudeuse, qui n’a pas encore acquis la grâce qu’elle aura peu de temps après. Alors, la question des seins de l’actrice : j’en parlais dans une précédente chronique lors de la sortie des Callaghan, Jean-Pierre Bouyxou affirmait que la poitrine découverte dans le film appartenait à une doublure et un bloggeur, le Dr Orloff, soutenait le contraire. C’est bien ce dernier qui a raison. On voit deux fois le personnage de Perrucha la poitrine nue, à chaque fois ses cheveux lui recouvrant le visage. Il s’agit donc bien d’une doublure. Mais un court instant, l’actrice est allongée dans un lit et, dans un même plan, Rozier saisit son visage et son sein surgissant sous le drap. Une fois réglée cette question qui a son importance, que reste-t-il de cette Épave ? Un mélo quelque peu surjoué (y compris par les plus grands, Aimé Clariond en tête) et une histoire triste qui éveille progressivement l’intérêt : il y a le récit qui s’assombrit au fur et à mesure, les extérieurs (Marseille, dont l’Estaque, Toulon) et ces acteurs appréciés, même si on ne connaît pas toujours leur nom, qui apparaissent ici et là (Charles Blavette, Raymond Cordy, René Blancard, Henri Arius).

Les amants maudits_
Les amants maudits est la plus belle surprise de cette riche collection. Le film n’est pas connu et l’on ne peut que remarquer la qualité de l’interprétation. Robert Berri, qui tient le premier rôle, vaut mieux que ce pourquoi il a été distingué par la suite : un porte-flingue un peu balourd se faisant bousculer par le héros après quelques provocations (ce qu’il était dans quelques films de la série Callaghan). Ici, en barman qui rêve de gloire et devient l’ennemi public numéro 1, Berri est formidable, à sa place, et l’on en vient à regretter qu’il n’ait pas suivi davantage cette trajectoire plutôt que d’atterrir dans les comédies policières (on pense à des titres tels que Pas de pitié pour les caves, tout un programme). Face à lui, Danielle Roy est une totale inconnue qui n’a laissé aucune trace dans le cinéma français. Elle a ce charme vénéneux des héroïnes de polars américaines.
Avec son rythme soutenu et son noir et blanc travaillé, Les amants maudits oscille d’ailleurs entre les styles américain (on pense à Gun Crazy) et français, entre la Cadillac et la Citroën. Un film à redécouvrir en toute hâte !

Jean-Charles Lemeunier

Films sortis en DVD chez Bach Films le 26 novembre 2012

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