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FCVQ, suite et presque fin. Le début de la semaine affichait selon nous quelques temps morts, mais la soirée du lundi 17 promettait d’être surprenante et placée sous le signe du fantastique (ou de l’étrange) de haut niveau : d’abord avec le premier film de Brandon Cronenberg (fils de David), Antiviral, déjà chroniqué par l’ami Fabrice Simon dans notre numéro spécial Cannes 2012. Ensuite avec Alpeis du Grec Giorgos Lanthimos, auteur acclamé pour son paraît-il très intéressant Canine, lequel lui assura une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger en 2009. Autant dire qu’on avait hâte de découvrir ce double programme, surtout à la lecture des synopsis. La déception n’en fut que plus grande après coup : Antiviral comme Alpeis sont les exemples typiques de films aux sujets malins, stimulants, créatifs, originaux mais… mal traités et tournés en rond.



Projeté au Palais Montcalm et introduit par son jeune réalisateur qui a honoré – c’est une belle preuve d’implication artistique – le public de sa présence, Antiviral raconte la quête et l’enquête lugubre d’un employé d’une compagnie spécialisée dans la vente et l’injection de virus de célébrités. L’employé en question, interprété avec une certaine froideur désabusée par Caleb Landry Jones, s’inocule aussi ces échantillons pour les rétrocéder illégalement à des groupes criminalisés. Jusqu’à ce que la mort de la star Hannah Geist (Sarah Gadon), dont il a aussi « volé » la maladie, le précipite au cœur d’un complot où il s’agira de déjouer sa propre mort…

Plutôt confus dans ses enjeux après une brillante exposition, très influencé aussi, et c’est tant mieux, par la filmographie la plus organique de Cronenberg senior et le thème de la Nouvelle Chair, Antiviral se perd vite en conjectures, que des dialogues marmonnés n’aident pas à démêler. Le réalisateur tente bien quelques percées graphiques déviantes avec des images de mutation fantasmée (et dans la révélation finale, concrétisée) et quelques gros plans gore sur quelque affection de la peau, mais l’ensemble du film s’étire dans un trop-plein de langueur clinique, une contemplation de la dégénérescence plus psychologique que physique de son protagoniste. Brandon Cronenberg a le bagage nécessaire pour créer la disruption graphique, mais pas suffisamment de conviction (ou d’expérience ?) pour la maintenir tout au long de son métrage.



Un bon scénario mais une réalisation morne, c’est ce que l’on retiendra aussi du film Alpeis de Giorgos Lanthimos. L’histoire ne manque pourtant pas d’intérêt : à Athènes, une société secrète propose de remplacer des défunts par des comédiens, de manière à accompagner dans le deuil les familles laissées dans la douleur. Pas de mystification aux yeux des personnes concernées : le « comédien », sans grande ressemblance physique avec le cher disparu, se contente de répéter les dialogues (souvent anecdotiques) qu’échangeaient parents et enfants ou mari et femmes avant que la maladie ou l’accident ne les sépare. Artificielle car dénuée d’émotion dans son application, cette substitution sert surtout à combler un vide et à minimiser la cassure de la routine. Mystérieux, obscur dans ses motivations, le petit groupe rassemblant ces interprètes de fortune s’appelle « Alpes », et leur Chef, « Mont Blanc ». Chaque membre porte, évidemment, le nom d’une des montagnes du massif bien connu, afin d’agir dans la clandestinité et ne pas interférer avec l’implication identitaire. Jusque là, le film interpelle, remue, dérange – dans le bon sens du terme. Le démarrage, très lent ici aussi, s’apprécie à l’aune d’une révélation ou d’une rupture de ton qu’on imagine imminente. Las ! Après avoir laissé sa caméra logiquement naviguer au sein du petit groupe et des familles commanditaires de ce service de remplacement un peu particulier, Lanthimos choisit de s’attarder sur les mœurs des uns et les banalités affligeantes proférées par les autres. Il y a bien l’irruption d’une tension palpalble avec cette infirmière qui décide, à l’insu du reste du groupe, de se substituer à une jeune fille dont elle a caché la mort à Mont Blanc ; mais les conséquences de ses actes interviennent très tard dans le récit, après que le réalisateur ait divagué, de façon fantomatique, sur l’amour entre personnes âgées, les luminaires et les poncifs d’une vie passée à rêver d’être quelqu’un d’autre.

La platitude de l'image générale (mais notons quelques déambulations nocturnes inquiétantes dans la capitale Athénienne), alliée à une réalisation qui, si elle évite l'aspect contemplatif, ne cherche pas à dynamiser le propos, a vite fait de faire retomber notre intérêt. Lanthimos est un auteur, voyez-vous, et il veut bien nous le faire comprendre en refusant tout filmage spectaculaire et tout effet narratif empruntés au genre à la lisière duquel il se situe pourtant, favorisant plutôt une ambiance glauque mais propre (ces petits vieux qui couchent ensemble, quel intérêt ?) et une réflexion sur la place de chacun dans la société. Reste, au milieu de tout ceci, une confrontation excellente de tension nerveuse entre Mont Blanc et l'héroïne aux trois quarts du film, puis une narration enlevée de l'obsession qui s'empare de cette protagoniste privée de son rôle. Au fond, si Alpeis retient encore un petit peu l’attention, c’est dans son inconsciente auscultation d’un pays en crise culturelle et sociale et sa mise en abyme de l’interprétation : tous les personnages ont pour seule référence de vedettariat, Hollywood et ses stars (Brad Pitt, Morgan Freeman…), et chaque membre de la société secrète s’enferre dans un jeu factice, plat, sans saveur qui ne semble aucunement déranger les proches des défunts remplacés par les « Alpes ». Une certaine illustration du cinéma conformiste et de son public suiveur, tel que le produit l’industrie du divertissement. Pour autant, Alpeis ne s’élève pas plus haut en éprouvant notre patience à travers des répliques volontairement molles et un développement qui ne cherche qu’à revenir à son point de départ. De la subversion bidon, tout simplement.



Et l’on terminera ce compte-rendu par le premier film, très attendu au Québec, de Sylvie Testud, La Vie d’une autre. Comme pour les deux expériences sus-citées, le métrage vaut sans doute mieux sur le papier qu’à l’écran. Le point de départ, en tout cas, force l’admiration narrative : à son réveil au lendemain d’une première nuit d’amour avec le jeune homme qu’elle a rencontré chez ses futurs employeurs (Mathieu Kassovitz), Marie (Juliette Binoche) constate que quinze ans se sont écoulés. Elle n’est plus la même, vit dans un appartement luxueux avec vue sur la Tour Eiffel et occupe un poste très haut placé qui en fait l’une des femmes d’affaires les plus médiatisées. Mais surtout, elle est désormais mère et en pleine instance de divorce. Pour celle qui s’est réveillée aussi amoureuse et extravagante qu’au premier jour de sa vie de couple, la désillusion est totale…

Rien ne nous permet d’éclaircir le mystère du « quinze ans plus tard ». Amnésie ? Trouble psychologique ? Dérèglement temporel ? Sans jamais chercher à répondre à la question du « pourquoi ? », Sylvie Testud enchaîne scènes de comédie grossière (Binoche surjoue les femmes paumées puis entreprenantes) et mélodrames de la vie conjugale et familiale : Marie fait face au décès passé de son père et à des choix de vie et de relations aux antipodes de ce qu’elle fut à 25 ans – donc au début du film. À la manière d’Un Jour sans fin, le sujet permettait d’aborder des contrées fantastiques, mais Sylvie Testud choisit l’orientation plus psychologique, quand bien même l’on se contenterait d’une comédie romantique attendrissante. Hélas, tout est caricaturé à l’extrême dans cette description d’un milieu bourgeois en décalage avec des idéaux de jeunesse. Plus concentrée sur la critique des valeurs matérielles et la bonne morale du bonheur authentique que sur l’équilibre de son récit, Sylvie Testud s’égare et peine à choisir un ton. Juliette Binoche en fait des tonnes dans les rires et les exclamations pour ensuite forcer le trait de l’amour à reconquérir à tout prix. La sympathie générale qu’on éprouve pour le film et son sujet – certes pas tout à fait original mais intrigant – et le jeu plus en retenue de Kassovitz ne suffisent pas à sauver l’entreprise, par ailleurs très bien produite et filmée avec un certain cachet. Il faudrait que le cinéma français, un jour, se décide à aborder des sujets étranges avec plus d’ouverture sur le fantastique ou, si cela lui sied mieux, le côté fantasque que ses voisins adoptent volontiers…

Stéphane Ledien

Le Festival de cinéma de la ville de Québec se tient jusqu’au dimanche 23 septembre. Nous reviendrons sur l’événement et le film de clôture, Inch’Allah (réalisé par Anaïs Barbeau-Lavalette), la semaine prochaine. D’ici là, bonne fin de semaine – et de festival !

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