Cinéaste plutôt passe-partout des années soixante, signant plusieurs comédies, quelques épisodes de films à sketches, un western et un giallo, Tinto Brass se spécialise à partir de 1976 et de Salon Kitty dans le film érotique haut de gamme. Il n’hésite pas à mélanger sur ses plateaux grandes stars et filles nues dans des situations finalement peu équivoques. Citons Helmut Berger, Ingrid Thulin et John Ireland dans sa sulfureuse évocation des bordels nazis qu’est Salon Kitty. On croise encore Malcolm McDowell, Peter O’Toole, John Gielgud et Helen Mirren dans le très séduisant Caligula (1979), qui va lancer la mode tenace des peplums érotiques italiens. Dans La clé (1983, tiré d’un roman du Japonais Tanizaki), face à Frank Finlay, il filme la grande Stefania Sandrelli dans son plus simple appareil et sous toutes les coutures, ce qui vaudra à la courageuse actrice les foudres des bien-pensants. Ce film, qui parle des tourments d’un vieux professeur face à sa jeune et séduisante épouse dans une Venise en proie aux fascistes, est à rapprocher de Senso ‘45 (2002, connu aussi comme Black Angel, nouveau clin d’œil à Visconti comme l’était déjà Salon Kitty), qui se déroule lui aussi pendant la guerre dans la cité lacustre magnifiquement filmée à toutes les saisons. Les deux histoires ne sont pas les mêmes (d’un côté, la recherche du plaisir dans une société où domine l’ordre, de l’autre l’amour d’une belle Italienne – Anna Galiena – pour un officier SS) mais on note plusieurs similitudes de scènes entre les deux films qui font de ces deux œuvres accomplies deux échos de la vie amoureuse d’une cité sous la domination mussolinienne.
À côté de ces deux réussites, Bach Films, qui vient de consacrer à Tinto Brass une collection de DVD, a choisi de sortir Monella (1998) et Tra(sgre)dire (2000), deux films mineurs qui reposent quasiment uniquement sur la beauté de leurs deux interprètes féminines, Anna Ammirati pour le premier et Yuliya Mayarchuk pour le second. Les trames sont légères, prétextes à montrer le plus possible de chair nue et notamment les jolis fessiers des actrices, dont Tinto Brass s’est fait le chantre autant que Russ Meyer est celui des gros nichons.
Lola, l’héroïne de Monella, désire plus que tout, avant de l’épouser, que de tester son fiancé au lit, histoire d’être sûre de ne pas se tromper. Elle multiplie les provocations pour mettre le spectateur dans un état plus proche de la Lombardie (l’Ohio local) que celui dans lequel reste le jeune homme, qui sait se contenir. Le scénario est somme toute banal si ce n’est que Brass glisse çà et là des saynètes qui montrent véritablement l’Italie, surtout celle des années cinquante, époque à laquelle se déroule le récit. Lola a un beau cul et aime faire du vélo. Sa jupe volette sur sa petite culotte blanche et tous les mâles qui la regardent passer n’en perdent pas une miette. Quand elle pose son vélo, deux curés s’approchent et se mettent à embrasser la selle. C’est ce genre d’idées très graphiques qui font dire que Brass, même s’il semble parfois paresseux, est un véritable auteur. Cela ne fait aucun doute : ses plus grands films prouvent qu’il sait filmer et construire de beaux plans. Il adopte pour celui-ci un ton goguenard, lui qui apparaît dès les premières images en chef d’orchestre (Tinto adore figurer dans ses films). Les regards qu’il porte sur la jeune héroïne et sa liberté de conduite en disent long : Brass (en chef d’orchestre mais certainement aussi en tant que metteur en scène) est tout à la fois amusé et émoustillé par le personnage. La vie, semble-t-il dire, n’est finalement pas assez sérieuse pour la prendre au tragique.
La graphie de Tra(sgre)dire repose sur le jeu de mot italien entre trasgredire (transgresser) et tradire (trahir) et le film poursuit la voie tracée par Monella en célébrant l’amour et l’excitation que crée la jalousie. Anarchiste en diable, le sujet renvoie dans les cordes les grands préceptes de la civilisation italienne : le mariage et la fidélité. Monella tenait d’ailleurs le même discours sur ces deux-là et le recours aux prostituées et flirtait même avec l’inceste. Ici, la protagoniste de Tra(sgre)dire s’essaie à l’homosexualité et tout, dans le Londres où se déroule l’action, respire le désir amoureux. Les nombreux plans de Hyde Park et des couples dont les caresses sont de plus en plus intimes sont une véritable profession de foi de la part de Tinto Brass : aimez-vous sans vous préoccuper du reste, aimez-vous en prenant du plaisir sexuellement. Le reste n’est qu’affaire de civilisation moralisatrice et n’a aucune importance.
Un seul regret : que les films ne soient pas présentés en version originale mais seulement en vf.
Bach Films va sortir d’autres titres de Tinto Brass d’ici peu : Paprika (1991), All Ladies Do It (1992, traduction anglaise de Cosi fan tutte, au titre très mozartien), Le Voyeur (1994), Fallo ! (2003) et Monamour (2006). De quoi se familiariser encore mieux avec l’œuvre de cet érotomane grand cru.
Jean-Charles Lemeunier
Collection de 4 DVD sortis chez Bach Films en septembre 2012