Les génériques s’avèrent parfois de véritables jeux de piste. C’est le cas de celui d’Il boia scarlatto (1965, Vierges pour le bourreau), qui vient de sortir en DVD chez Artus Films. Il s’agit, comme c’était souvent le cas pour les films italiens de cette époque, de savoir qui se cache derrière tous ces noms anglo-saxons. Ainsi, Walter Brandt est-il Walter Brandi, spécialiste des rôles de vampires. Louise Barret est Luisa Baratto, Alfred Rice Alfredo Rizzo, Femi Martin n’est autre que Femi Benussi, future reine érotique ici dans son premier rôle. Barbara Nelli, qui ne s’est pas trop foulée, est devenue Barbara Nelly et Nando Angelini Nik Angel. Il en va de même pour le reste de l’équipe : les deux scénaristes Roberto Migliorini et Roberto Natale se cachent sous les pseudos US de Robert McLoren et Robert Christmas et la photo, signée John Collins, est de Luciano Trasatti. Derrière Max Hunter, le metteur en scène, se profile l’ombre de Massimo Pupillo. Dans son très érudit supplément, Alain Petit, spécialiste du genre, s’interroge sur ce pseudo. « Max pour Massimo, répond-il, et Hunter parce qu’il était chasseur. »
Peut-être faudrait-il plutôt chercher l’origine de Max Hunter dans le film La vierge de Nuremberg (1963, d’Antonio Margheriti) : le personnage principal, incarné par Georges Rivière, se nomme ainsi. Et qu’est-ce que la vierge de Nuremberg ? Un instrument de torture qui ouvre le film de Pupillo : c’est dans ce sarcophage empli de pointes acérées qu’est enfermé le bourreau écarlate qui donne son titre italien à Il boia scarlatto.
Vierges pour le bourreau est devenu culte pour au moins deux raisons : ce film a été rarement vu depuis sa sortie et il traite de la torture. Le scénario part d’un postulat courant dans le cinéma italien des années soixante, qu’on retrouve souvent chez Renato Polselli : un quarteron de jeunes beautés déshabillées se retrouve dans un château en proie à un méchant fou. Ici, c’est pour réaliser un roman-photo. Plus original qu’un vampire, leur persécuteur est le fantôme d’un bourreau du XVIIe siècle. Je n’en dirai pas plus pour ne pas déflorer le mystère.
Il y a vraiment quelque chose de l’air du temps dans cette production. La vierge de Nuremberg a déjà été mentionnée mais on aurait pu tout aussi bien citer les films du cycle Poe tournés aux Etats-Unis par Roger Corman, en particulier La chambre des tortures (The Pit and the Pendulum, 1961). Toutes ces oeuvres ont un trait commun : la cruauté. Laquelle, chez les Italiens, se marie parfaitement à l’érotisme. Pupillo se fait un plaisir (partagé, croyez-moi, par les spectateurs) de bien montrer les détails des mécanismes horrifiques qu’il met en scène. Comme ce portique tournant sur lequel sont attachées deux demoiselles. Le bourreau fait passer des pointes de plus en plus près. Les corsages sont effleurés, puis accrochés, les chairs se strient de raies sanglantes et notre chère Femi Benussi dévoile même à l’occasion son mignon petit sein. Quittez donc je vous prie l’attitude du spectateur de 2012 qui en a vu d’autres, tellement plus terribles, et remettez-vous à l’instant à la place de celui de 1965 que le moindre bout de peau titille. On comprend son émoi et l’on goûte, avec du recul, ce plaisir coupable ressenti. D’autant plus, pauvre de lui, que ledit spectateur ne sait encore rien (faute de sortie en France ou en Italie), pour ne citer que lui, de Teruo Ishii et de ses oeuvres. Il faudra pour cela attendre quelques années encore avant de voir ses femmes criminelles et autres femelles yakuzas.
Bon, je l’admets, je ne vous ai pas encore parlé d’un des clous du récit, digne du marquis de Sade cité dans la bande-annonce : une de nos jolies victimes (Moa Tahi) est attachée à une toile d’araignée géante composée de cordes auxquelles la belle est solidement attachée. Qu’elle fasse un geste et c’en est fait d’elle : des flèches viendront la pourfendre. Pendant ce temps, une grosse et très moche araignée mécanique enduite de poison s’approche d’elle, inexorablement. Je vous laisse avec ce suspense intenable et franchement très jouissif.
En tête du casting de ces Vierges pour le bourreau, on retrouve Mickey Hargitay, un Monsieur Muscles américain d’origine hongroise, connu pour avoir été un Hercule mollasson aux côtés de son épouse, la sculpturale Jayne Mansfield. Ensemble, ils ont eu une fille, Mariska Hargitay, que l’on voit très souvent à la télé en ces soirées de disette. C’est elle la policière de la série New York Unité spéciale. Ici, Hargitay est le maître du château, qui n’en perd pas une pour exhiber ses pectoraux. Face à lui, pour une fois dans le bon camp, Walter Brandi laisse au vestiaire ses crocs de vampire pour user de sa matière grise et de ses muscles.
Vierges pour le bourreau n’est évidemment pas un chef-d’œuvre impérissable du 7e art. Ce qui n’empêche pas, loin de là, ce film mineur de révéler bien des surprises et l’on se surprend à suivre l’intrigue d’abord avec amusement, puis avec un réel intérêt, après s’être aperçu que l’on passait un bon moment à le visionner.
Pour les amateurs de curiosités, ajoutons que les effets spéciaux sont signés par Carlo Rambaldi, qui se fera plus tard un nom en fabriquant ceux de King Kong version 1976, d’Alien, d’ET, et autres Rencontres du troisième type.
Jean-Charles Lemeunier
DVD sorti chez Artus Films en juin 2012