Comme on s’est moqué des manchots danseurs et chanteurs du premier film, on s’est aussi gaussé des dinosaures de The Tree of Life exprimant la naissance du sentiment de compassion. Comme si les animaux, dans le programme d’un film, ne pouvaient être sérieusement envisagés comme récipiendaires de sentiments humains. Tandis qu’Happy Feet exsudait un humanisme bouleversant (Miller l’expérimentait déjà au travers du destin du petit Babe, le cochon qui voulait devenir berger), la suite pousse plus loin l’universalité de sa réflexion et ses questionnements existentiels pour partager la même ambition que la dernière palme d’or cannoise. L’harmonie cosmogonique et humaniste manquée par Terrence Malick, Miller la formalise avec et dans une stupéfiante clarté.
Happy Feet 2 n’est pas seulement un remarquable film d’animation pour petits et grands dont il résulte une émouvante sensation de réconfort, c’est en outre un formidable double message d’espoir. Celui contenu dans le programme même du film (on va y revenir) mais aussi celui de voir enfin le talent immense de George Miller enfin reconnu à sa juste valeur. Car il faut être un sacré conteur et réalisateur pour conserver la puissance de ses images malgré Amel Bent, un doublage sans saveur (ou horripilant dès lors que Max Boublil en Sven ouvre le bec) et la traduction des chansons en V.F.
Les séquelles obéissent habituellement et implicitement à la règle de la spectacularisation du récit qui, après l’exposition constituée par le premier épisode, peut se permettre d’entrer dans le vif du sujet immédiatement et démultiplier les enjeux et leurs effets. Après tout, le réalisateur australien est un habitué des suites lui qui signa celles de son Mad Max originel. C’est éminemment le cas ici puisqu’en multipliant les personnages, Miller augmente d’autant les péripéties. Mais sans pour autant limiter l’impact émotionnel à des onomatopées admiratives sur les séquences endiablées parcourant le métrage.
L’aventure intérieure
Mumble est devenu adulte et avec sa compagne Gloria ont eu un fils, Erik. Ce dernier, comme son père à son âge dans le premier film, a du mal à s’intégrer dans la communauté des manchots empereurs. Il ne sait pas plus chanter que son père mais il ne montre par contre aucune disposition pour la danse et les claquettes en particulier. Il va devoir trouver sa voie, celle qui permettra son épanouissement personnel comme une plus grande communion de son peuple. C’était déjà une des particularités du premier de montrer le voyage initiatique de Mumble et ses répercussions sur la collectivité (ouverture d’esprit, musicalité accrue grâce à ses pieds énergiques), de lier l’intime au collectif, le micro et le macroscopique. Plutôt qu’une répétition du même schéma directeur, ce que la bande-annonce peu engageante pouvait laisser craindre, Happy Feet 2 travaille encore plus profondément ces fondamentaux pour aboutir à une union paroxystique de tous les éléments mis en place. Surtout, Miller contrarie à chaque fois les nombreuses promesses d’aventures exploratrices pour privilégier un voyage plus intériorisé. Un iceberg gigantesque se détache et dérive jusqu’au territoire des manchots pour les emprisonner. Une situation critique car cela les prive de l’accès à la mer pour se nourrir. Mumble, son fils, deux de ses amis et quelques autres comme Ramon et sa bande se trouvant sur l’autre versant vont donc s’échiner à les désenclaver, ce qui, par « rebonds » successifs impliquera d’autres créatures de la banquise. Quant l’aventure vient à soi, aux portes de son quotidien…
L’objectif poursuivit par le cinéaste ne sera pas seulement de conter leur libération physique. L’ambition du propos n’est d’ailleurs pas incompatible avec le statut d’œuvre destinée aux enfants dans lequel beaucoup sont prêts à enfermer ce merveilleux film d’animation. Les personnages sont drôles et très bien caractérisés, les péripéties énergiques, le déroulement du récit assez linéaire, les numéros chantés et dansés bénéficient de chorégraphies superbes, autrement dit, le plaisir purement récréatif est total. Pourtant, tout ce qui se déroule à l’écran est sous-tendu par une complexité thématique ahurissante que la mise en scène de Miller rend d’une limpidité désarmante. Pris dans ce maelström d’émotions et de pulsations en couleurs (une tournure quelque peu absconse qui prend tout son sens à la vision du film), le spectateur n’en appréhende pas forcément la finalité jusqu’à ce qu’elle se révèle dans une éclairante et éclatante sonorité finale qui abat aussi bien la dernière barrière physique entravant les manchots, que les derniers verrous d’une compréhension et implication du spectateur qui va bien au-delà des mots.
Krill Bill
Happy Feet 2 voit ainsi le nombre de ses personnages principaux croître conséquemment. En plus de figures connues comme Gloria, Mumble, Lovelace ou Ramon et sa bande de pingouins venant de Terre-Adélie, viennent s’ajouter Erik et ses amis, Sven le manchot volant, un éléphant de mer et deux Krill, sorte de petites crevettes, quittant le banc confortable de leurs congénères pour vivre leur vie. Leur volonté de s’individualiser, de se singulariser, par rapport à l’entité collective aux contours indéfinis trouvant un écho chez absolument tous les autres protagonistes de l’histoire. Cette fois-ci, il n’y a plus un seul personnage principal auquel se rattacher, désormais, tout le monde a son importance dans la résolution du récit. Illustrant ainsi ce que Mumble dit pendant le fantastique climax : « Chaque pas compte ». Ce foisonnement de caractères n’est pas la traduction d’une quelconque incapacité à structurer son histoire. Au contraire, parvient à associer ces circonvolutions narratives au principe fondamental soutenant cet épisode et déjà en germe dans le premier. Chacun a son rôle à jouer dans la bonne marche de l’univers. De fait, le réalisateur accorde une égale importance à chacun des personnages principaux qui entraîneront par leurs actions décisives, les autres dans leur sillage. Surtout, l’interconnexion entre tout et tous est totale (tout est en relation, jusqu’à la dernière image répondant à la première !). Toute la force évocatrice du film est contenue dans l’alliance du moindre de ses éléments divers et disparates pour former l’énorme Grand Tout entraperçu dans le finale. Et à ce petit jeu, ce sont Will et Bill qui en sont les rouages essentiels.
Les petits krills symbolisent à merveille les liens unissant l’infiniment grand et l’infiniment petit, leur éveil, qui renvoie à celui de Mumble dans le premier Happy Feet, matérialise les correspondances entre les deux chefs-d’œuvre et leur parcours fait résonner visuellement la philosophie initiée par Sven sur le pouvoir de la volonté. Il clame que pour avoir, il faut le vouloir. Et c’est exactement ce que les deux crevettes vont expérimenter, Will et Bill représentant respectivement le vouloir et l’avoir. Cela devient clair comme l’eau entourant la banquise lorsque les deux sont brutalement séparés et que Bill, profondément attaché à la sécurité d’un confort lié à son déterminisme biologique (le cocon du banc, fonder une famille, manger du plancton) se désespère et crie qu’il a perdu son « Will », désignant aussi bien son compagnon que la volonté de changement que celui-ci incarnait. Un double sens linguistique beaucoup plus signifiant en version originale. Malheureusement, seules trois salles parisiennes, sur les plus de 750 copies en circulation au moment de la sortie, permettent de l’apprécier de manière optimale. Cette proportion pouvant être considérée comme la marque infamante de la déconsidération sidérante pour ce film. Mais peu importe, la mise en scène de Miller est suffisamment talentueuse pour dépasser ces limitations. En effet, alors que le propos du métrage porte sur l’intégration du moindre élément à la trame générale de l’univers comme celle du récit en cours, le réalisateur va s’ingénier à le traduire visuellement en opérant des mouvements de caméras, en ordonnant un enchaînement des séquences, afin de nous faire basculer du caché au visible, du premier au second plan, du macro au microscopique, du collectif à l’individu. Et inversement. Une chorégraphie impeccable qui n’est pas seulement l’apanage des numéros musicaux. N’oublions au passage qu’au-delà de la profonde signification donnée aux images, Happy Feet 2 s’apprécie tout autant d’un simple point de vue divertissant puisqu’il est à la fois une entraînante comédie musicale qu’un film d’aventures et d’action extrêmement jouissif.
Everything has an end title
Trouver sa place, ce pour quoi il est fait, est le souci primordial de tous les personnages. DE Sven le manchot volant superstar, à Ramon en mal d’amour en passant par Erik en déficit d’expression artistique ou Will décidé à révolutionner la chaîne alimentaire. Si tout dans le film est une question d’intégration, quid de l’humanité ? Par leur anthropomorphisme les manchots et les autres espèces sont les principaux points d’identification du spectateur, pourtant, des spécimens humains sont bien présents à l’écran. Ils apparaissent par deux fois. La première, au cours du flash-back contant la rencontre de Lovelace et Sven sur le pont d’un navire scientifique, nous montre des personnages live, leur représentation, leur intégration donc, posant un problème esthétique puisque brisant l’harmonie de l’animation. Cette distinction visuelle est la marque que l’Homme est incapable, pour l’instant, de faire corps avec son environnement. La deuxième apparition intervient lorsque Lovelace attire l’attention de ce même bateau afin d’aider à la libération des manchots. La même étrangeté de leur apparence demeure jusqu’à ce qu’ils posent les pieds sur la banquise pour tenter de creuser un chemin, une ouverture, à travers la glace pour sauver le peuple empereur. Là, on passe dans le registre de la performance capture. Pas encore de l’animation pure comme le reste du casting mais plus tout à fait des humains de chair et de sang : leur action désintéressée et en prise avec la survie de l’écosystème les transforment moralement ce qui engendre des répercussions visuelles. Une information instantanément et inconsciemment perçue grâce à ce choix esthétique sans que Miller ait besoin de s’appesantir dessus outre mesure. Et ce genre de lien, de correspondance visuelle fait la beauté de l’enjeu mélodique qui parcourt tout le film et que le cinéaste va porter à des hauteurs cosmiques.
Avec The Tree of Life, Terrence Malick recherchait à retrouver une harmonie durable entre le cosmos et l’humanité, recherchait une élévation spirituelle que ses superbes images stellaires et la luminosité de celles impliquant la famille de Brad Pitt et Jessica Chastain n’ont jamais vraiment réussi à générer. Cet exploit, c’est Miller qui y parvient de façon admirable, ne se contentant pas d’insérer des plans de la Terre vue de l’espace pour créer ce lien. Il use de fondus enchaînés, de filages de la caméra, de traveling avec zoom compensé, conduisant d’un personnage s’ébrouant sur la banquise à l’immensité galactique, et inversement, et réalise petit à petit ce que la voix-off du début annonçait, l’interconnexion de la moindre action, du moindre être vivant, de la moindre particule ou goutte d’eau avec le substrat de l’univers. Cette consubstantialité, Miller nous la fait notamment apprécier au travers de l’Art (du chant, de la danse, de l’opéra, du cinéma) et fait des créatures les plus insignifiantes, les minuscules Krills, les ferments de cette union cosmogonique et philosophique. Will, Bill et leurs congénères sont ainsi appréhendés comme des étoiles. Leur structure anatomique faisant en sorte qu’ils peuvent briller ou s’éteindre les font ressembler à des astres constellant les fonds marins. Une correspondance accentuée par le biais de la réalisation dont les fondus et le montage nous les font presque confondre avec ces galaxies chamarrées que Miller dévoile à intervalles réguliers. Les Krills, par l’intermédiaire d’un ultime mouvement de caméra entreront dans la danse finale, instillant les ultimes répercussions des pulsations rythmiques assurées par la libération physique des manchots. Une sarabande hypnotique de chants et de couleurs qui sera aussi l’instrument de la libération spirituelle de personnages en quête d’harmonie (avec les autres, avec soi, avec la nature). Et pourquoi pas également pour le spectateur communiant et vibrant à l’image de ce chant d’espoir et de salut pour atteindre une sorte de Nirvana sensoriel. Comme une goutte d’eau renfermant l’univers, Happy Feet 2 contient tous ces trésors et bien plus encore.
Nicolas Zugasti
Bande-annonce de Happy Feet 2 de George Miller en salles depuis le 14 décembre 2011
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