3 réflexions sur “« Les Neiges du Kilimandjaro » de Robert Guédiguian

  1. Bon, contrairement à la coutume, je vais commencer par la bonne nouvelle. Je dois bien avouer que je suis toujours aussi admiratif de votre plume ou plutôt – pour utiliser un mot que vous utilisez régulièrement – de la forme de l’article. Un véritable talent d’écrivain,
    Malgré tout cela, j’ai l’impression d’avoir à faire à une certaine complaisance quand on aborde le temps des choix et des gouts.
    « dans un art où l’œil demande à être flatté »
    J’ai toujours trouvé ce genre de propos dérangeant. Être flatté, ne revient-il pas à dire que le film exerce une démagogie visuelle sur le spectateur, qui du coup se sent intimider voir tromper par le cinéaste. Si forme il y a, elle n’est pas forcément de l’ordre du visible et j’ai l’impression qu’en posant un regard négatif sur ce film, vous reniez tout un pan du cinéma. Celui que vous citez : Hollywood dont Hawks ou Walsh sont des modèles de transparence, de limpidité et d’harmonie avec le spectateur. Tout ce que je retrouve chez l’ami Guédiguian. Chez lui, il y a forme car en pensant à son film, il pense à son spectateur : ce qui inclut l’absence des effets chatoyants dont le but est d’impressionner le spectateur. Il est trop honnête et trop soucieux de se mettre à la hauteur de son spectateur, directement issues de ses origines communistes.

    Ce que vous appelez « pauvreté esthétique », je le nomme par une « simplicité visuelle ». Une expression qui à définitivement un caractère négatif à vos yeux.
    A vrai dire, la véritable question que je me pose, N’êtes-vous tout simplement pas partisan d’un cinéma dominé par « le projet formel » (pour reprendre les mots de ce grand critique qu’est Jean-Claude Biette) que par « le récit » ou pour être encore plus simple, n’aimez-vous pas le cinéma qui à juste pour prétention de raconter une histoire. Et je peux vous en citer des trouvailles formelles pour captiver l’attention du spectateur. De cette première scène qui instaure la lutte des classes en deux plans à cette armoire ou se trouve coller une couverture d’un comics et la photo de Jaurès, preuve qu’on peut aimer la culture américaine tout en étant un communiste convaincu.

    Et puis le plaisir d’avoir trouvé un regard opposé se substitut à des phrases irritantes que je qualifierai sans hésiter de puériles. Ces énièmes comparaisons à une esthétique visuelle ou encore pire, à ce bon vieux Derrick. Au moins, ayez la décence de choisir une autre référence que des répétitions propre à ce cinéphile, adorateur, à juste titre, du cinéma de genre qui pourtant réfute le cinéma français en bloque.

    Attaquez-vous à ses véritables ignominies que sont Intouchables ou Polisse (les rejetons du syndrome La Rafle) et laissez l’honnêteté visuelle (et donc éthique) de Guédiguian faire son trou en montrant ses pauvres gens qu’on à tendance à oublier. Guédiguian, c’est du cinéma militant sur tous les fronts.

    Et au lieu de vous répéter, parlez du cinéma que vous aimez et que vous défendez si bien, et ici, c’est mon impatience devant une future critique de Time Out qui parle.

    Tifenn Jamin de CineKlectic

  2. Voilà un message passionné – ce qui me fait bien plaisir. C’est tellement plus appréciable et intéressant que les commentaires postés à la hâte juste pour nous informer que nos phrases sont « trop longues », ou que notre approche commence à se « téléramiser » (et autres conneries du même genre).

    Merci à toi, donc.
    Maintenant, je veux être clair : disons, sans revenir sur les qualités du film – que je soulève, sans doute pas assez à ton goût et je respecte cela – que je le trouverais volontiers formidable, d’autant qu’il est consacré à des gens réellement formidables, s’il se montrait exigeant au-delà des symboliques qu’il esquisse dans sa première moitié. Au risque de me répéter, dès que le braquage a eu lieu (et filmé sans effets de manche, de façon tout à fait appropriée donc à mon sens, parce qu’il ne s’agit pas d’un casse spectaculaire), le souci d’inventivité visuelle s’évapore et la volonté de réalisme se laisse écraser par un nivellement télévisuel. Eh oui ! La remarque sur Derrick fâche mais, las !, c’est bien ce qui m’est venu à l’esprit quand j’ai vu cet affreux zoom après que la police ait repéré le voleur dans la cité. Et, de fait, si l’exemple revient si souvent dans la bouche des détracteurs d’un cinéma français « qui ne se foule pas » (pour aller vite), c’est bien qu’il est représentatif – un cas d’école dirait-on, sachant que la formalisation concernée vaut comme culture audiovisuelle contagieuse. J’aurais pu citer pire, par exemple les bévues commises par AB productions ou des stupidités type LE G.R.E.C, mais ç’aurait été exagéré et inapproprié, car Guédiguian, quand même, assure le minimum syndical (désolé, je n’ai pas pu résister : la petite touche CGTiste, sans doute). Je t’accorde que l’exemple est devenu cliché, et je t’accorde qu’il y a bien d’autres films sur lesquels s’acharner en priorité.
    Sauf que ce que tu dis de Guédiguian, d’autres le disent aussi de Maïwenn ou du succès d' »Intouchables » : donc attaquer ma critique en m’invitant à descendre en flammes d’autres films est un faux problème. Quand bien même je le ferais, ça n’annulerait pas ce que je pense de l’austérité des « Neiges… » : pourquoi l’effet suscité devrait-il être amoindri ou atténué ?
    Pour ma part, je n’ai vu ni l’un (« Polisse ») ni l’autre (« Intouchables ») et n’ai pas du tout envie de m’y frotter (probable que le second sorte au Québec un de ces quatre…), alors que, bon point, j’avais plus qu’envie de visionner le film de Guédiguian : son sujet, ses personnages, son univers, tout me séduisait d’emblée – et m’a séduit après coup, mais avec des réserves légitimes.
    Si j’allais plus loin, je pourrais taxer ta réaction de snob, car Guédiguian, reconnu « auteur », ne se trouve sans doute que rarement en mauvaise posture critique de la part d’une intelligentsia cinéphilique qui, en revanche, se fait une joie de pourrir, c’est le mot, n’importe quel succès populaire – exactement comme tu le fais. Sont-ce les millions de spectateurs rameutés par « Intouchables » qui t’agacent, ou le film lui-même ? Il ne faut pas faire le procès d’un film à travers son succès public, ni même critique.
    Je n’entrerai pas davantage dans ce débat-là car, derrière tes invitations à fustiger tout de go d’autres cinéastes que ce cher Robert, je décèle une part de sensibilité réelle, et de compréhension de ce qu’est une démarche artistique empreinte de sincérité et de réalisme social. Dont acte, encore une fois pour « Les Neiges… » : je ne peux que louanger ces qualités-là dans le film. Si tu m’as bien lu, tu verras qu’il n’y aucune raison de nous chicaner (terme québécois) sur ce point.
    Je ne dis pas que j’ai détesté, soyons clairs : je dis une bonne fois pour toutes que j’ai été déçu par son manque d’exigence cinématographique. Et que l’œil soit « flatté » n’a rien de démagogique, non : tu perçois dans ce terme son sens le plus flagorneur et le plus usité (c’est une lecture autorisée, j’en conviens), en omettant sa signification plus profonde, celle du regard agréablement affecté, surpris. Si le cinéma refuse de souscrire à cette évocation – en tout cas selon la liberté de s’y opposer que tu soulèves –, eh bien je me permets de le déplorer. Les images sont faites pour être ciselées, cadrées, et, si elles sont pensées pour le grand écran, doivent rendre justice à cette perspective. La réalisation plan-plan du film, une fois posées ces vignettes inventives que tu soulèves avec brio d’ailleurs, ne s’inscrivent pas, je le redis, dans ce cheminement. Demande-toi ce que tu dirais de ces cadrages et mouvements zéro chez Maïwenn. ça n’est pas parce que tu fais un film sur des gens simples que tu dois adopter un style simple – je dis simple et non invisible, et j’y viens, à cette notion.
    Car enfin, nous y voilà, lorsque tu cites les grands réalisateurs hollywoodiens en parlant – c’est une erreur à mon sens – de « style invisible » (parfaitement valable pour un Sidney Lumet, mais pas pour un Hawks, désolé), tu confonds ostentation et « opératisme », classicisme et platitude, limpidité et fadeur, harmonie et tranquillité. Je conviens que la beauté (ou l’inverse) reste dans l’œil de celui qui regarde. Mais quand même, la forme qu’adoptent ces grands cinéastes est parfaitement ciselée pour le grand écran et l’ampleur de leurs films n’en est que plus éclatante dans une salle de cinéma. Je ne suis pas sûr que « Les Neiges… » le soit, surtout dans un contexte de production française où les chaînes de télévision (et donc du pré-formatage) sont encore reines en matière de décisions. Ce qui fait que je suis emporté par le style, classe, de « They Drive By Night » (« Une femme dangereuse » titre français absolument idiot, une fois n’est pas coutume) de Walsh dans lequel George Raft et Humphrey Bogart interprètent des camionneurs sans le sou (je résume vite), tandis que je ne suis nullement impressionné par celui des « Neiges… ». Et pourtant, les deux parlent de « petites gens ». Sauf que le travelling si limpide – et donc presque imperceptible, tu peux le dire – chez Walsh me transporte à un autre point là où le statisme infligé par Guédiguian me laisse sur le carreau. Il faut de tout pour faire un monde de spectateurs : mais ne convoque pas Walsh pour défendre l’idée d’un cinéma formellement humble ou de facture technique relativement austère, parce que c’est un argument tronqué.
    Par contre, et je vais conclure là-dessus, où as-tu lu que nous fustigions à ce point le cinéma français ? Admettons que ce soit le cas pour une majeure partie du cinéma français contemporain (car celui des années cinquante, soixante, soixante-dix, nous on l’aime et on en redemande), nous le faisons en vertu du mépris dont fait preuve, lui, le 7e Art hexagonal, au moins depuis le milieu des années 80 pour la forme en général, à travers les déclarations saugrenues de ses thuriféraires les plus médiatisés : Agnès Jaoui disant que le scénario est tout ce qui compte, Eric Rohmer rejetant toute idée de travelling parce que c’est fatiguant d’installer des rails (celle-là je la dois à Éric Nuevo, merci à lui), ou Xavier Beauvois décrétant : « avec les bons films, tu ne vois rien. Lorsque la mise en scène saute aux yeux, c’est qu’il y a un souci. ». Okay, mais quel souci, exactement ? Chez DePalma, elle saute aux yeux mais c’est pour ça que je l’aime, et je veux dix DePalma plutôt que dix Beauvois !

    Sur ce, bonne continuation et merci encore pour ton analyse passionnée – et passionnante. La preuve !

    Stéphane L

    • Pour rebondir sur un terme : le snobisme. C’est justement ce snobisme qui fait de Guédiguian, un cinéaste reconnu. Nombre de papiers s’intéresse à la dimension engagé et sociale de son cinéma, en ne montrant pas dans quels conditions, c’est du cinéma. Ce qui démontre à quel point le rédacteur veut se donner bonne conscience. Au contraire, tu t’intéresse à la valeur cinématographique de ce film. Ce que j’estime énormément !

      Tu parles de Hawks comme quelqu’un qui à un sens du cadre visible, qu’on peut reconnaitre à chacun de ses films. Oui en effet, toi et moi, somme férus d’analyse cinématographique et nous prenons plaisir à voir comment Hawks s’emploie à réinventer « Rio Bravo » dans « El Dorado » et « Rio Lobo ». Mais n’oublions pas que Hawks se fouter qu’on le reconnaisse en tant qu’auteur, ce qui l’intéresse, c’est de donner au public un film sans barrières formelles . Il n’attend pas du spectateur qu’il reconnaisse un cadrage ( d’être un théoricien du 7éme art) ou un déhanché de John Wayne ( la dimension cinéphile propre à Serge Daney), il attend jusque un spectateur qui vienne dire, j’ai aimé votre film. C’est de cette façon que je vois Hawks comme quelqu’un qui utilise tous les artifices disponibles tout en les rendant invisible.
      Et nan surement pas – coup de gueule -, je ne confonds pas classicisme et platitude, limpidité et fadeur, harmonie et tranquillité. Il n’y a rien de négatif sur cette dimension invisible de l’illusion comme il n’y a pas de point négatif à être flatté par le cinéma. Nous avons pas eu le mérite de comprendre certains termes.

      Au sujet du cinéma français, je trouve que vous en parlez pas assez ou alors vous en parlez négativement.Mise à part le cinéma français estampillé cinéma de genre. Peut-être que je ne lis pas assez Versus ? Quand à Jaoui et Rohmer (chez lui, c’est clairement de la provoque lié à son tempérament réactionnaire), je ne suis pas forcément d’accord avec eux mais toutes opinons radicales sur le cinéma me passionne. Et je vois ou tu veux en venir lorsque tu parles de Beauvois – que je n’apprécie pas surtout son dernier film -, c’est l’éternel prise de bec entre les partisans du cinéma en tant que technique à part entière et ceux qui pourrait dire, la technique n’est pas ce qui doit animer un film. Beauvois, c’est pire ! Il insulte ses propres techniciens en affirmant que c’est facile d’apprendre à manier une caméra. Débat dans lequel je me reconnais pas même si mon idéal est que l’aspect technique et industriel du cinéma ne doit pas se voir, au profit des images. Et c’est justement beaucoup plus difficile de gommer les marque d’une caméra. On en revient à la dimension proprement illusionniste du cinéma

      Je te remercie pour m’avoir répondu si longuement. Qu’il est rare de voir des commentaires se transformer en débat.

      Tifenn

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