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Les deux premiers films en compétition de ce 64ème Festival de Cannes ne manquent pas d’ambition, mais déçoivent pour les mêmes raisons. Sur des sujets délicats (le quotidien d’une mère dont le fils est l’auteur d’une tuerie dans We Need to Talk About Kevin ; une étudiante qui se prostitue auprès d’une sorte de « secte » dans Sleeping Beauty), les réalisatrices Lynne Ramsay et Julia Leigh se complaisent malheureusement trop vite dans un discours très attendu et une mise en scène qui aurait gagné à jouer plus souvent la carte de la simplicité.

Chez Julia Leigh, protégée par Jane Campion à la production, la ravissante Sara (Emily Browning, vue dans Sucker Punch) incarne donc une étudiante qui enchaîne les petits boulots pour boucler chaque fin de mois : serveuse dans un bar, rat de laboratoire, prostitution dans des hôtels haut de gamme. Intriguée par une annonce parue dans un journal, elle prend contact avec une société secrète où des jeunes femmes font le service (nues), lors de dîners entre riches et vieux hommes. Puis Sara acceptera d’être endormie, anesthésiée, pour passer la nuit au côté d’un de ces hommes qui pourra faire d’elle ce qu’il veut, tout en respectant une seule et unique règle : « pas de pénétration ». La jeune réalisatrice, dont c’est ici le premier film, peine à installer un malaise a priori souhaité. Sa mise en scène, très lisse, repose sur des légers travellings latéraux qui ne font qu’accentuer la pose de chaque plan, composé au millimètre près. Dans cette rigidité de la mise en scène, Julia Leigh ne tire aucun discours. Elle préfère finalement laisser au spectateur le soin de porter (ou pas) un jugement sur le comportement de cette jeune femme et de ces hommes qui pourraient profiter d’elle… mais qui ne font rien. Là se trouve peut-être le seul intérêt du script. En refusant de montrer tout acte violent, et en usant par moments d’artifices de mise en abyme (la mini caméra espion), Sleeping Beauty contrarie les attentes du spectateur, pour remettre en cause sa position de voyeur. Reste à savoir si un spectateur contrarié peut aussi être un spectateur satisfait…?

Du côté de Lynne Ramsay, qui adapte un roman de Lionel Shriver, le constat est assez identique. Le film souffre dès ses premiers plans d’en faire beaucoup trop dans les effets de style d’une grande inutilité, jouant ainsi des focales pour souligner et surligner par exemple l’opposition entre deux personnages. Car la pauvre Tilda Swinton se retrouve ici bien seule face au monde entier après avoir enfanté de ce qu’il faut bien appeler un monstre ! Ramsay découpe son scénario et multiplie les allers-retours dans le temps, passant d’une époque à l’autre (l’avant et l’après tuerie), mais gardant comme fil rouge (d’où l’importance de cette couleur qui elle aussi traverse les époques et le film comme un fardeau pour la mère), l’impossible amour entre une mère et son fils. On comprend que derrière cette cellule familiale qui vole en éclat, c’est en fait l’Amérique toute entière qui vacille : après avoir commis l’irréparable, Kevin (le fils), fera un salut de chef-d’orchestre devant un drapeau américain. Plus tôt la réussite professionnelle du couple aura poussé la petite famille à déménager dans une grande et belle maison à la campagne, où rien ne semble manquer à personne, si ce n’est, donc, cet amour mutuel qui ne viendra que bien trop tard entre Kevin et sa mère. We Need to Talk About Kevin souffre ainsi de tourner assez vite en rond au gré de ses voyages dans le temps et de la répétition de certaines scènes (les conflits entre l’enfant et sa mère). Et cette constuction « alambiquée » du récit de chercher finalement à gagner du temps en attendant le climax final, qui n’est plus une surprise pour personne au bout du compte. Reste malgré tout dans ce film, la force d’un casting parfait (Tilda Swinton continuant d’être la meilleure comédienne dans le registre de la mère blessée, après Julia d’Erick Zonca), et une mise en scène qui quand elle fait dans la simplicité, arrive à nous convaincre et nous interpeller, à défaut de complètement nous faire vibrer.

Les prochains films en compétition laissent présager du bon (Habemus Papam de Nanni Moretti, dans lequel l’acteur-réalisateur remet en cause la foi d’un Pape fraichement désigné) et du – a priori – moins bon (Maïwenn s’attaquant au monde de la Police avec Polisse, et son casting français cinq étoiles, Joey Starr en tête !). Ce jeudi marque aussi l’ouverture d’Un Certain Regard avec le très beau film de Gus Van Sant, Restless, comédie romantique adolescente qui fait se croiser un premier amour avec la réalité de la mort. Un scénario macabre d’une belle et touchante simplicité, relevé par une mise en scène à l’avenant et des comédiens formidables (dont un certain Henry Hopper, fils de).

Julien Hairault

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Une réflexion sur “« Sleeping Beauty » de Julia Leigh & « We Need to Talk About Kevin » de Lynne Ramsay (Compétition Officielle)

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