Il aura fallu attendre qu’il réalise le très bon Casino Royale pour que Martin Campbell sorte de la catégorie de simple « faiseur » (voire même de vulgaire tâcheron) à laquelle il était trop souvent cantonné depuis le début de sa carrière. Le Monsieur avait il est vrai eu le « mauvais goût » de s’aventurer en 1994 dans le genre du « post nuke » – un crime de lèse-majesté dans le microcosme petit bourgeois de la critique cinéma – avec le pourtant bien sympathique Absolom 2022. Or le réalisateur se révèle être très intéressant quant à sa maîtrise de la mise en scène, notamment la mise en place et la gestion de séquences d’action, comme en témoignait – parmi d’autres – la géniale scène dans les toilettes du premier film du renouveau Bondien avec Daniel Craig.
Son dernier métrage (adapté de la minisérie Edge of Darknessqu’il dirigea pour la BBC au milieu des années 1980) conforte le spectateur averti dans cette impression. Scénarisé par les auteurs des Infiltrés (Yeah !!!) et de Lantana (Hum…), Hors de contrôle s’inscrit dans un traitement brut et sans concession du cinéma d’action : pas d’esbroufe dans la mise en scène, et une violence graphique et explicite assez surprenante pour un film faussement mainstream. Campbell opte pour des plans suffisamment longs (en terme de durée) et larges (au niveau du cadre) garantissant une lisibilité parfaite de l’action, et la tension qui transparait dans son film devrait une fois pour toutes faire reconnaître à ses détracteurs ses qualités de metteur en scène. Trop souvent, les montage cut et les scènes en plans serrés ne sont que des subterfuges pour dissimuler les insuffisances de la mise en scène. Et force est de reconnaitre que le réalisateur de Casino Royale et du Masque de Zorro a toutes les qualités requises pour ce type de métrage.
Hors de contrôle décrit la spirale emportant le flic Thomas Craven (Mel Gibson) dont la fille Emma, une scientifique pleine d’avenir, se fait assassiner sous ses yeux sur le perron de son domicile. Alors que dans un premier temps tout le monde est persuadé qu’il s’agit d’une balle perdue, et que c’est Craven lui-même qui était visé, le policier va enquêter sur les activités de sa fille pour une société nucléaire, afin de faire toute la lumière sur ce meurtre et découvrir les responsables. Si les enjeux cachés de cette affaire sont finalement assez peu explorés, c’est précisément car le background politique intéresse peu Campbell, qui préfère se focaliser sur le parcours tragique de cet homme qui a tout perdu et compte bien aller jusqu’au bout dans sa quête où justice et vengeance n’ont jamais été aussi difficiles à discerner. Impossible pour lui de faire marche arrière dans cet engrenage de violence qui se conclura par l’exécution des commanditaires de l’assassinat de sa fille. Le réalisateur nous prévient d’ailleurs au détour d’un plan furtif, quand Craven pénètre en voiture sur cette autoroute qui l’accueille avec le panneau de signalisation « no turns ».
Point fort du film, la violence s’immisce aussi brutalement dans l’intrigue que dans le cadre de l’image, surprenant à chaque fois le spectateur. Ainsi cette femme qui, après avoir donné des indications à Craven, se fait percuter soudainement par une voiture. Un choc aussi intense que lors de la séquence de la mort d’Emma Craven, lors de laquelle le spectateur a de grandes chances de faire un bond aussi impressionnant que celui du corps de la pauvre fille suite à l’impact de balle gros calibre qu’elle reçoit en pleine poitrine. Le plan initial du générique était déjà révélateur du métrage tout entier : un long plan fixe d’un lac paisible à l’aube, puis des cadavres qui émergent du fond et apparaissent un par un à la surface.
Les personnages aussi semblent contaminés par cette violence imprévisible qui paraît gouverner leurs comportements : ce « conseiller » des hommes politiques corrompus par exemple. Alors qu’il expose à ces derniers calmement quelques conseils pour régler discrètement le « problème Craven », il décide – toujours aussi impassiblement – de sortir son arme et de faire parler le feu.
Film captivant et plutôt réussi, Hors de contrôle déçoit par ailleurs par certains choix narratifs et artistiques plombant clairement le métrage. Des scories tantôt mineurs (on ne comprend pas bien la motivation de ce « conseiller », se sachant certes condamné par une maladie et en quête de rédemption pour ses actes passés, qui prête main forte à Craven) tantôt consternants. Était-il indispensable pour l’intrigue et pour brosser le portrait psychologique tortueux de Craven de faire revenir sa fille par le biais de voix ou d’apparitions ? Le syndrome « I see dead people » frappe encore une fois le cinéma hollywoodien, qui semble pouvoir difficilement évoquer l’épreuve du deuil sans faire intervenir fantômes et autres esprits de l’au-delà, même s’il ne s’agit peut être ici que de démons intérieurs (culpabilité et remords) torturant l’esprit de Craven. Et en guise de cerise sur le « Gâteau de la Désolation », le spectateur a le droit lors de la scène finale au long couloir avec halo de lumière : un final qui laisse un goût amer dans la bouche, bien plus désagréable que celui de l’hostie de la messe dominicale.
> Fabien Le Duigou
> Sortie en salles le 17 février 2010
> Lire aussi notre article sur Casino Royale dans VERSUS n° 14, toujours disponible, et nos articles à venir sur Martin Campbell et Mel Gibson dans VERSUS n° 18 (sortie courant mars)
Hors de contrôle, bande-annonce en VOST