En France, la signification du vocable “films de genre” est réduite à films d’horreur ou fantastique. Or, chaque film appartient à un genre particulier. Seulement voilà, les œuvres qui obtiennent de précieuses subventions publiques et autres avances sur recettes concernent principalement les comédies grassouillettes télévisuelles – des stars de la télé cachetonnant dans des films aux gags éculés et au ras des pâquerettes pour rester poli, avec pour exception notable Jean Dujardin dans la série des O.S.S 117– ou les drames existentiallo-psycho-traumatico-rigides-et-questionnant-des-problématiques-fondamentales-et-sociétales-tu-vois, soit des films bobo-chic, bobo-genre dont le manque d’inventivité de la réalisation le dispute à l’absence de profondeur (et inversement). Alors forcément, lorsque certains explorent des contrées obscures du paysage cinématographique français, figurées par des bandes transgressives, violentes et déstabilisantes, ça fait tâche. Pourtant, afin de pérenniser la production de tels films en France, il faudra obligatoirement en passer par leur multiplication afin de former une alternative salvatrice au formatage narratif et esthétique. Certes, tout n’est pas bon et pour un Haute-Tension (Alexandre Aja) et un A l’Intérieur (Julien Maury et Alexandre Bustillo), on doit s’enquiller des purges telles que Blood, The Last Vampire, Vertige, Humains et Mutants, rien que pour l’année 2009. De même, il faut regretter la propension de ces jeunes réalisateurs, élevés à Mad Movies et aux classiques américains de la terreur, à mettre en scène ce qui les fait vibrer sans que cela serve vraiment un propos ou un récit à l’ampleur déjà minimaliste. Ainsi Xavier Gens (Hitman, Frontière(s)) et plus encore le Christophe Gans de Crying Freeman et du Pacte des loups, grands cinéphages devant l’éternel livrant de beaux objets sans âmes, synthétisent parfaitement cette incapacité à digérer et s’approprier des références prégnantes pour enfin dépasser le statut de solides illustrateurs. Et puis il y a les torturés (mais belge) Fabrice Du Welz (Calvaire, Vynian) et Pascal Laugier (Saint-Ange, Martyrs) versant dans la torture justement et dont les œuvres sont des promesses de souffrance pour leurs personnages et leurs spectateurs.
La Horde de Dahan et Rocher se situe précisément au carrefour de ces courants et bien qu’assez mal dégrossi par endroits propose une option jouissive, bad-ass et hardcore comme se plaît à le répéter régulièrement le chauve toulousain dans le vidéo-club servant de décor à son Opération Frisson. Beaucoup plus détendu et drôle que les torture-porn à la française, maximisant les contraintes budgétaires pour éviter un traitement nanardesque (Vertige, Humains), bénéficiant d’une caractérisation efficace rejetant tout état d’âme à la profondeur factice (Mutants) et évitant de rendre pesantes les références inévitables, La Horde s’affirme comme un épatant film de zombies français, voire même film de zombies à la française, gage de promesses pour l’avenir.
Voulant venger la mort de leur collègue et ami Rivoallan, un quatuor de flics monte une expédition punitive à l’encontre des responsables, un gang dont le Q.G est situé dans une tour de la banlieue parisienne. Le carnage espéré tourne rapidement au fiasco lorsque les représentants de l’ordre sont neutralisés par la bande. Mal partis, tout tourne définitivement au cauchemar lorsque les morts se relèvent, menaçant indifféremment voyous et policiers. Prenant conscience de l’étendue de la propagation à l’extérieur et de la menace représentée par la horde de zombies prête investir l’immeuble, les survivants n’ont d’autres choix que de laisser leurs inimitiés de côté et s’allier pour trouver un moyen de s’échapper de cet enfer.
A l’image de ce pitch, le film ne tergiverse pas et après une introduction rapide des protagonistes au cours de l’enterrement d’un des leurs, enchaîne directement par un plan de la tour bientôt infernale. Par souci d’efficacité immédiate et afin de happer instantanément son audience dans l’histoire, le duo de réalisateurs sacrifiera sur la table de montage des scènes rallongeant la partie introductive. Le basculement d’un genre (le polar à la The Shield) à un autre (l’horreur zombifiée), à la manière d’Une Nuit en enfer de Robert Rodriguez, intervient ainsi plus rapidement qu’escompté au départ. L’histoire, plutôt mince, fait pourtant craindre le scénario prétexte à tous les débordements et délires déconnectés de toute justification narrative simplement parce que « c’est trop cool et que ça nous fait kiffer » (une vision à la Zack Snyder, en fait). Une crainte renforcée au détour de deux séquences d’action qui n’apportent rien en terme de « construction psychologique » des personnages (entre guillemets car on est pas là non plus pour une psychanalyse approfondie !) puisque la manière de combattre définie généralement la personne. On peut avancer le fait que cela permet de déterminer leur niveau de motivation pour survivre mais voir Joe Prestia et Claude Perron kickfighter du zombie relève plus du plaisir coupable que d’une réelle nécessité. De même, on peut regretter la valse hésitation dans la détermination du véritable « héros ». Ainsi le flic Ouessem (Jean-Pierre Martins), dont les doutes moraux servent d’ancrage humaniste au milieu du déferlement sanglant ambiant, évolue vers un pragmatisme de circonstance (pour vivre, il faut s’unir à son pire ennemi) et révèle une intéressante nature tendancieuse (malgré sa réticence à se faire justice, il a accompagné ses collègues) mais il se voit supplanté petit à petit par Adewale (Eriq Ebouaney) incroyable de présence physique, notamment lors de sa première apparition dans l’embrasure d’une porte défoncée au shotgun. Si le film n’est pas exempt de défauts techniques (montage, incrustation foireuse), il compense largement par une énergie et une générosité de tous les instants et une excellente dynamique entre les scènes comiques et d’action, créant un décalage inattendu qui finalement constitue le cœur du film. Et c’est le personnage de René interprété par Yves Pignot, un habitué des planches et des rôles plus classiques, ici dans un contre-emploi absolu et génial, qui permet de mettre à l’épreuve autant que lier les antagonismes générationnels. Découvert armé d’une hache en train de découper façon puzzle de chair à zomblard, ce locataire illuminé de plus de cinquante balais au racisme patent (il appelle les zombies les « jaunes », les morts-vivants représentants sûrement à ses yeux les fantômes des cadavres laissés en Indochine) s’avère un élément décisif de par sa connaissance des lieux et de son stock d’armes. Un armement gardé en réserve au cas où une grande occasion se présenterait, comme la liqueur de poire partagée et qui consacrera l’étrange union d’une vieille France un peu rance avec des « cailleras », celle d’un cinéma franchouillard avec des figures contemporaines de film d’action.
Le scenario écrit à huit mains par le quatuor Dahan, Rocher, Bordas et Moïssakis s’affranchit ainsi de tout discours politico-sociologique démonstratif et édifiant (le contraire des derniers Roméro en somme) laissant la liberté de relever (ou pas) un questionnement éthique et philosophique induit par les situations et les confrontations (la persécution d’une zombie, tuer ou non un ami bientôt infecté, la territorialité ou rien que le fait de voir les morts revenir bouffer les vivants !). Enfin, il faut souligner et louer le rythme du métrage octroyant un plaisir instantané et permettant d’oblitérer avec aisance des références bien présentes (Die Hard, Assaut, L’Armée des morts, REC…) mais que l’on ne déterminera qu’a posteriori.
Ce n’est pas non plus le film de l’année ou celui qui redéfinira le genre, leurs auteurs n’ayant aucune de ces prétentions, mais un film d’action horrifique de qualité, idéal pour une soirée ciné entre potes, ce qui n’est déjà pas si mal.
Nicolas Zugasti
> Sortie en salles le 10 février 2010
La Horde, bande-annonce