Robert Guédiguian n’est pas un cinéaste sexy, loin de là, et si l’on a tendance à laisser ses films aux ménagères/lectrices de Télérama, il faut bien avouer que son nouveau métrage, L’Armée du crime, n’est pas sans nous laisser indifférents. La faute à son sujet, qui partage bien des similitudes avec le dossier principal de VERSUS n° 15, consacré aux luttes armées et aux guérilleros de tous bords (à la mode ces derniers mois : du Che à la Fraction Armée Rouge de La Bande à Baader). Ici, le réalisateur marseillais d’origine arménienne (la précision a son importance) revient sur le groupe Manouchian, ces immigrés juifs et/ou communistes, européens de l’est pour la plupart, qui sous l’occupation à Paris au début des années 1940, multipliaient les attaques isolées pour faire plier la Wehrmacht et la police française collaboratrice. Une lutte à mort qui mènera ces résistants héroïques au peloton d’exécution après avoir été bien entendu salement dénoncés.
L’Armée du crime est de fait une belle leçon d’histoire, qui même si elle est platement filmée (on y reviendra), remplit largement son contrat de piqûre de rappel. Mais derrière le rappel, se cache en fait un appel : un appel à la résistance. Si la France d’aujourd’hui ne ressemble pas à celle des années 1940, Guédiguian souligne toutefois à juste titre que le laxisme d’un peuple ne peut mener qu’à un lâche effondrement. Autrement dit, impossible de voir ce métrage sans penser à la situation présente, aux appels à la délation lancés par Besson, Lefebvre et Hortefeux, et aux rapts d’hommes et de femmes sans papiers renvoyés dans des pays où ils n’ont aucune attache. Ariane Ascaride ne dit-elle pas naïvement dans le film que « La France est le pays des Droits de l’Homme », pensant ainsi que rien ne peut être fait à son fils résistant, et que ce pays d’accueil ne peut surtout pas aller à l’encontre de ses principes fondateurs, ceux-là même qui ont fait émigrer des milliers de personnes d’Europe de l’Est. En nous rappelant que la France a toujours fait preuve d’une certaine lâcheté envers sa propre histoire (l’évocation de la rafle du Vél’ d’Hiv’ nous glace encore une fois le sang), Guédiguian espère ainsi faire naître un sens civique chez le spectateur contemporain qui pourra tisser des liens entre la France de Pétain et celle de Sarkozy.
Malgré tout, cet élan humaniste et engagé ne se retrouve pas dans la mise en scène d’un film qui souligne une nouvelle fois la pauvreté formelle d’un cinéma français embourbé dans une esthétique télévisuelle soporifique. Au delà de l’effort de reconstitution nécessaire (costumes, décors), rien n’est fait pour donner de l’ampleur au récit et au destin héroïque et tragique des personnages. Pire encore, en choisissant de faire de l’intimité de Missak Manouchian (Simon Abkarian, bon) la colonne vertébrale du film, Guédiguian s’attarde trop sur l’activité de poète du leader du groupe de rebelles, et perd un peu de la portée politique et historique de son propos. Mais parce que son film fait entendre la voix de résistants héroïques à une époque où ceux-ci sont en voie de disparition, on ne peut que vous conseiller d’aller le voir. Totalement dispensable en tant que film de cinéma, L’Armée du crime est incontestablement un méritoire et nécessaire document sur l’un des épisodes les plus tristes de notre pays.
Julien Hairault
> Sortie en salles le 16 Septembre 2009