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Tourné en 1965 par Tomu Uchida et bénéficiant d’une sortie en DVD/Blu-ray par Carlotta, Kiga kaikyo (Le Détroit de la faim) est un récit policier dans lequel s’ouvre une longue parenthèse du quotidien de la vie d’une femme dans le Japon de l’après-guerre, description sans concession de la misère qui règne dans le pays et de la prostitution.

Trois heures durant — mais cela ne semble jamais long —, à l’occasion d’une enquête policière, ce film est un passionnant constat de ce que subit un peuple au lendemain d’une défaite. La mer démontée sur laquelle s’ouvre l’histoire semble elle-même dangereuse, avec, apprend-on, « des profondeurs habitées par les amours et les haines », alors que le Japon vient de subir deux bombes atomiques. Nous sommes en 1947 et l’assassinat d’un couple suivi de l’incendie de leur maison va lancer un inspecteur tenace (Junzaburō Ban) sur la piste de trois suspects. Cette enquête tire d’emblée les leçons du cinéma américain. Le rythme est rapide, ponctué de gros plans, de sons stridents (la sirène d’un camion de pompiers), le tout filmé dans un très beau noir et blanc.

Le détroit qui donne son titre au film est celui que doivent traverser les trois gaillards pour fuir. Sur les trois, la caméra semble davantage s’intéresser à Takichi Inukai (joué par Rentarô Mikuni, un excellent acteur qui travailla plusieurs fois avec Uchida mais aussi Kinoshita, Naruse, Ichikawa, Oshima, Kobayashi, Imamura, Yoshida…). Comme Takichi est aidé dans sa fuite par une jeune prostituée (Sachiko Hidari), Uchida va s’attacher à cette dernière.

Tout en montrant l’enquête qui piétine, le récit va ouvrir une parenthèse et s’intéresser aux aléas de la vie d’une prostituée à Tokyo, avec son lot de vie difficile, de bagarres, de pressions. Il en profite, dérivant parfois vers le documentaire, pour dresser un état des lieux de la société japonaise des années cinquante, montrant même une manifestation anti-gouvernementale. Comme tout bon cinéaste japonais qui se respecte, Tomu Uchida joue sur les cadres, la profondeur de champ, l’explosion soudaine de la violence.

Puis, soudain, le film bascule une nouvelle fois quand la thématique policière reprend le dessus. On retrouve alors les inspecteurs, parmi lesquels on pourra reconnaître Ken Takakura qui, outre son immense carrière au Japon, apparut également dans quelques films américains dont Trop tard pour les héros (1970) de Robert Aldrich, Yakuza (1974) de Sydney Pollack ou Black Rain (1989) de Ridley Scott.

Jusqu’à l’ultime plan, Le Détroit de la faim ne faillit pas à la réputation qu’il a acquise de compter parmi « les 10 plus grands films japonais ». On reste fasciné par sa modernité et par ce mélange qu’ont si bien réussi les Américains : l’enquête policière n’est qu’un alibi pour en apprendre beaucoup plus sur la réalité sociale et politique d’un pays.

Jean-Charles Lemeunier

Le Détroit de la faim
Année : 1965
Origine : Japon
Titre original : Kiga kaikyo
Réal. : Tomu Uchida
Scén. : Naoyuki Suzuki (ja), d’après Tsutomu Minakami
Photo : Hanjirō Nakazawa
Musique : Isao Tomita
Montage : Yoshiki Nagasawa
Durée : 183 min
Avec Rentarô Mikuni, Sachiko Hidari, Junzaburō Ban, Ken Takakura…

Film sorti en Blu-ray par Carlotta le 21 février 2023.

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