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Nunsploitation : voilà un terme générique qui désigne des films d’exploitation mettant en scène des religieuses. Un genre auquel appartient sans conteste Les Novices libertines (La vera storia della monaca di Monza, 1980). Ce film de Bruno Mattei scénarisé par son habituel complice Claudio Fragasso nous est proposé par Le Chat qui fume, parallèlement à deux westerns tournés par Mattei et Fragasso : Bianco Apache (1986) et Scalps (1987). On notera une fois de plus la qualité des produits félins avec, ici, une version française censurée et une version italienne sous-titrée intégrale.

Prenons la définition de l’exploitation telle qu’elle est donnée par wikipedia : « Les films d’exploitation reposent le plus souvent sur un scénario basé sur les interdits et les tabous de la société, notamment le sexe, la violence, la drogue, la nudité, les monstres, le gore, les instincts de destruction et de rébellion et les mutilations. » Bon, c’est entendu, Bruno Mattei a toujours surfé sur l’exploitation et ces Novices ne manqueront pas de toutes les séquences attendues, dont celles de filles nues subissant des sévices. De plus, ce qui se passait à l’intérieur des couvents était un réel sujet tabou dans lequel allaient s’engouffrer de nombreux cinéastes.

Car cette religieuse de Monza qui donne au film son titre original a inspiré de nombreux cinéastes de l’autre côté des Alpes : Raffaello Pacini en 1947, Carmine Gallone en 1962, Sergio Corbucci en 1963 (pour une parodie avec Toto), Eriprando Visconti et Giovanni Grimaldi en 1969, Bruno Mattei en 1980, Luciano Odorisio en 1987, Alberto Sironi en 2004 et Alessandra Gigante en 2010. En fait, et Claudio Fragasso l’explique très bien dans la formidable interview proposée en bonus des Novices libertines, réalisée par Freak-o-Rama et Le Chat qui fume, c’est le roman Les fiancés, signé par le grand poète italien du XIXe siècle Alessandro Manzoni, qui serait à l’origine de cette série de films. Le conditionnel reste de rigueur car, quand on lit le résumé des Fiancés, on n’y trouve que peu de points communs avec la trame des Novices libertines, sinon qu’il y est question d’une jeune femme obligée de se réfugier au couvent de Monza. Don Rodrigo, le personnage antipathique du roman, se retrouve incarné dans le film par Mario Cutini, dans le rôle de Giampaolo Osio : un être veule et lâche, jouisseur, violeur… Osio a réellement existé et a inspiré, sous un autre nom, un des personnages de Manzoni. Comme ont aussi existé les autres protagonistes du film : Virginia Maria de Leyva et l’abbé Arrigone, respectivement incarnés par Zora Kerova et Franco Garofalo.

Mais avant de parler plus précisément des Novices, il faut encore mentionner deux films quasiment fondateurs : The Devils (1969, Les diables) de Ken Russell et Interno di un convento (1977, Intérieur d’un couvent) de Walerian Borowczyk. D’ailleurs, on est en droit de se demander si le pseudo choisi par Mattei pour signer ses Novices libertines, Stefan Oblowsky à la résonance « pays de l’Est », n’est pas un hommage caché à Borowczyk ? D’ordinaire, le cinéaste italien choisissait des noms beaucoup plus anglo-saxons pour tromper le public (une habitude que se sont partagés la plupart des réalisateurs transalpins de westerns, de gialli et de films d’horreur) : Vincent Dawn, Jordan Matthews, Jimmy Matheus, George Smith, Bob Hunter, Michael Cardoso, Frank Klox, Herik Montgomery, William Snyder, etc. Plaignons le spécialiste David Didelot et ses colistiers (Jérôme Ballay, Jean-Sébastien Gaboury et Didier Lefèvre), auteurs du seul bouquin publié en français sur le cinéaste (nous en avions parlé ici-même), qui ont dû avoir du mal à s’y retrouver là-dedans.

Il faut se rendre à l’évidence, Mattei n’est pas un auteur et on ne pourra comparer Les novices aux passages anticléricaux contenus chez Russell ou Borowczyk. Encore que confondre son amoureux avec le Christ pouvait paraître sacrilège au public italien des années quatre-vingt. Mais, pour prendre un autre exemple, l’inquisiteur qui fait une rapide apparition à la fin du film est en-deçà de nos attentes. Non, c’est ailleurs qu’il va falloir chercher l’intérêt. Peut-être, dans le traitement des personnages masculins. Ou dans certaines séquences étranges de cauchemar. En revanche, et contrairement à la mauvaise réputation de Mattei, sa réalisation n’est pas bâclée. On l’a dit, on ne peut malgré tout confondre Mattei avec un auteur mais l’on peut se demander si ce n’est pas chez Claudio Fragasso qu’il faut aller chercher ces qualités.

« Au fond de moi, raconte Fragasso dans le bonus, je sentais que j’étais un auteur et un auteur ne peut continuer à faire des films de zombies et de nonnes obsédées. Il fallait que je réalise un film du genre de ceux des Taviani ou à la Nanni Moretti. » Ce sera, en 1982, Difendimi dalla notte, sur les interrogations existentielles d’un missionnaire, qui fut d’après lui salué par la critique. Mais Fragasso explique qu’il se sentait mal, que ce n’était pas lui. Au moins, avec les autres films, il s’amusait. Entre autres, à « faire exploser les têtes ». Aussi revint-il rapidement à ses genres de prédilection.

À l’époque où Fragasso écrit le scénario des Novices libertines, il a dans l’idée de faire un Carrie au couvent. Le film de Brian De Palma l’a fortement impressionné et Bruno Mattei accepte. Il lui propose alors un lieu de tournage, un vrai couvent, et deux films en simultané : Les novices libertines et L’autre enfer. Chacun tourne le sien dans deux endroits différents du couvent et, de temps en temps, échangent leur rôle. Bruno Mattei s’occupe plutôt des problèmes techniques, des séquences difficiles à régler. Claudio Fragasso écrit et dirige les acteurs.

Le moins que l’on puisse dire, à la vision de ces Novices libertines, c’est que l’héroïne, Virginia de Leyva, accumule la malchance. Internée contre sa volonté dans un couvent, violée, trompée, battue, il n’y aura pour elle que de rares moments où elle pourra souffler un peu. Autour d’elle, tout n’est que jalousie, méchanceté et trahison. Et ne parlons pas des hommes. Osio est un véritable salaud et le curé ne vaut guère mieux. C’est finalement cette volonté de rabaisser la masculinité à ses plus vils aspects qui rend le film attachant. Non, n’exagérons rien, je n’ai pas dit féministe.

Jean-Charles Lemeunier

Les novices libertines
Année : 1980
Origine : Italie
Titre original : La vera storia della monaca di Monza
Réal. : Bruno Mattei (sous le pseudo de Stefan Oblowsky)
Scén. : Claudio Fragasso
Photo : Giuseppe Bernardini
Musique : Gianni Marchetti
Montage : Liliana Serra
Durée : 90 min
Avec Zora Kerova, Mario Cutini, Paola Corazzi, Franco Garofalo, Tom Felleghy, Annie Carol Edel, Leda Simonetti…

Sortie en DVd et Blu-ray par Le Chat qui fume le 15 avril 2021.

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