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Certains films ont de la chance de se voir consacrer par Artus Films de somptueux coffrets Blu-ray/DVD, assortis d’un livret intérieur joliment illustré. C’est le cas, ces derniers jours, d’Au service du diable (1971) de Jean Brismée, connu aussi comme La plus longue nuit du diable, et de Ceremonia sangrienta (1973, Cérémonie sanglante) de Jorge Grau. Non pas que ces opus soient des incontournables mais on sait ce que c’est, un vrai amateur ne peut résister à cet appel de la forêt tant sublimé par Jack London. Encore qu’ici, ce sera plutôt celui du beau coffret… et de la curiosité.

Du Belge Jean Brismée, on connaît peu de choses, sinon qu’il réalisa plusieurs courts métrages sur le cinéma, Jean Rouch, Agnès Varda ou Joseph Plateau, précurseur bruxellois de cet art. Au service du diable semble être son seul long-métrage de fiction pour le cinéma. Le générique nous apprendra que, pour ce dernier, Brismée reçut l’aide du Français André Hunebelle, spécialiste des films de cape et d’épée mais aussi réalisateur de Fantômas contre Scotland Yard qui, lui aussi, se passait dans une demeure assez inquiétante. Mais là, c’était pour rire. Ce qui est loin d’être le cas ici.

 

 

Tourné dans l’imposant château d’Antoing, non loin de Tournai, Au service du diable débute par des images en noir et blanc de la dernière guerre. Un carton indique que nous sommes à Berlin, en 1945. Jean Servais, en officier allemand, attend dans une pièce l’accouchement de sa femme. Sans vouloir dévoiler quoi que ce soit, disons que la séquence est brutale et qu’elle produit son effet. Et nous donne confiance dans ce qui va suivre, même si la suite ne sera pas toujours à la hauteur de ce prologue.

 

 

On regrettera bien sûr quelques longueurs et séquences obligées. N’oublions pas que le film visait les circuits d’exploitation, qui réclamaient leur lot de gore et de nudité. On aura ainsi droit à une séquence saphique digne de Jess Franco, entre Shirley Corrigan et Ivana Novak. Malgré tout cela, Au service du diable reste plutôt de bonne tenue. Ne serait-ce que par l’interprétation. Un groupe de touristes va se retrouver coincé dans ce château victime d’une malédiction et l’on va ainsi croiser, outre Jean Servais, Erika Blanc, Shirley Corrigan, Lucien Raimbourg et Daniel Emilfork, au physique si étrange.

 

 

Le Diable est au cœur de tout ce qui arrive de maléfique dans le château, envoyant sur place une succube. Un suspense se met alors en place pour savoir si la personne ainsi désignée est véritablement envoyée par Satan ou si tout cela relève du fantasme, surtout de celui d’un curé. Au fur et à mesure que les morts violentes se succèdent, on comprend que les victimes succombent à un péché mignon (la gourmandise, la colère ou la luxure), hélas qualifiés de péchés capitaux. Comme si le film était précurseur de Seven (1995). Au service du diable eut-il des retombées immédiates ? Peut-être car, dans deux films de Vincent Price proches dans le temps, L’abominable Dr Phibes (1971) et Théâtre de sang (1973), des meurtres sont commis à chaque fois selon une thématique particulière : les dix plaies d’Égypte ou les drames de Shakespeare. Les sept péchés capitaux font ici bonne figure. Et se croire à l’abri de ce genre de films, c’est bâtir des châteaux en Espagne.

 

 

L’occasion était trop belle pour glisser ainsi vers le château espagnol qui sert de décor à Cérémonie sanglante, joli exemple d’horreur à l’espagnole. Sans doute plus sage, ce film est complètement inédit en France si l’on en croit l’incollable Alain Petit — il faut toujours regarder les bonus de ce journaliste. Jorge Grau choisit comme héroïne principale une descendante de la célèbre comtesse Bathory, dont on dit qu’elle se baignait dans du sang de vierges pour conserver la jeunesse. Ce personnage a bien sûr été au cœur de nombreux films, à commencer par Les lèvres rouges (1971) de Harry Kümel, Comtesse Dracula (1971) de Peter Sasdy ou Contes immoraux (1973) de Walerian Borowczyk.

 

 

Si l’histoire, liée aux légendes du vampirisme, reste classique, on relèvera ici et là quelques lignes de dialogue notables. « Le temps passe, même pour les riches et les puissants » ou « Pour vivre, il est nécessaire de prendre des risques ». Ce qui est évident aussi, c’est que le cinéma bis ne recule devant rien, comme ce plan de pigeon dévoré par un faucon.

 

 

Là encore, le film peut très bien raconter une autre histoire que celle, diabolique, qui nous est livrée. La grande actrice italienne Lucia Bosé, qui incarne Erzebeth Bathory, pourrait n’être qu’une femme délaissée par son mari et qui désespère de retrouver sa jeunesse envolée. D’ailleurs, Alain Petit réhabilite la comtesse sanglante en se basant sur des travaux récents d’historiens.

Les bonus ont aussi cela d’intéressant qu’ils nous montrent des scènes alternatives, tournées pour une exportation internationale. Là où, en Espagne, pour cause de franquisme, les actrices devaient rester strictement corsetées, elles pouvaient enlever pas mal de vêtements dans des versions destinées à d’autres pays. On sait qu’à la fin des années cinquante et au début des soixante, il existe ainsi plusieurs versions d’un même film, l’une déshabillée et l’autre pas, de sujets tournés en Espagne mais aussi en Angleterre (Jack l’éventreur en 1959, L’impasse aux violences en 1960, La poupée diabolique en 1964) ou au Mexique (Santo et le trésor de Dracula, en 1968, devenu Le vampire et le sexe à l’international). Autres temps, autres mœurs.

Jean-Charles Lemeunier

« Au service du diable » et « Cérémonie sanglante », sortis par Artus Films en coffrets DVD/Blu-ray le 4 juin 2019.

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