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L’amour est finalement une chose trop grave pour être prise au sérieux. C’est en substance ce que nous dit La ronde (1950), que Carlotta Films ressort sur grand écran le 6 décembre. La ronde, le film avec lequel Max Ophuls — qui a enlevé le tréma d’Ophüls depuis qu’il a quitté son Allemagne natale totalement nazifiée — revient en France, après quatre films américains. La ronde, qui sera un prélude aux grands chefs-d’œuvre de sa fin de carrière : Le plaisir, Madame de… et Lola Montès.

Ce qui saute aux yeux à première vue, c’est l’élégance de la mise en scène, menée par Anton Walbrook, un Monsieur Loyal beaucoup moins monstrueux que celui que campera Peter Ustinov dans Lola Montès. À travers de courtes saynètes mettant en scène un couple (une fille et un soldat, ce soldat et une femme de chambre, cette femme de chambre et un jeune homme, etc.), Ophuls et son coscénariste et dialoguiste Jacques Natanson (ils adaptent ici Arthur Schnitzler et retravailleront ensemble sur Le plaisir et Lola Montès) brossent un panorama des relations amoureuses saupoudré d’humour. Voir ainsi comment sont traitées la panne sexuelle et la censure.

 

 

Car c’est bien de plaisir sexuel dont il est question ici — dans son film suivant, Ophuls étendra le thème au plaisir tout court — comme l’explicite d’une façon si charmante Danielle Darrieux. Les sketches sont certes inégaux et s’il ne fallait en retenir que quelques-uns, ce serait sans aucun doute les deux avec, justement, Danielle Darrieux, l’un face à Daniel Gélin et l’autre à Fernand Gravey. L’actrice y est étonnante de fraîcheur, de candeur et de malice, comme d’habitude, et la séquence où elle et son mari, Fernand Gravey, sont dans deux lits séparés joints par le balancier d’une horloge est une merveille de mise en scène. Il y a déjà du Madame de… dans ces deux épisodes. Il faut bien reconnaître que, question interprètes, le choix d’Ophuls atteint des sommets : outre Darrieux, Gélin, Walbrook et Gravey, citons encore Simone Signoret, Serge Reggiani, Simone Simon, Odette Joyeux, Jean-Louis Barrault, Isa Miranda et Gérard Philipe.

Certes en-deçà des grandes réussites suivantes d’Ophuls, La ronde est un plaisant marivaudage zébré d’éclairs de tristesse et de maturité dans une futilité feinte. Bien meilleur que le remake qu’en livra Roger Vadim en 1964, malgré sa brochette de grands acteurs : Jane Fonda, Maurice Ronet, Jean-Claude Brialy, Anna Karina, etc.

 

 

L’écriture en boucle est une belle invention du film. On passe d’un personnage à l’autre pour revenir au premier. Des situations sont mises en parallèles, des phrases aussi comme ce « Quelle heure est-il ? – Onze heures passées. » À chaque fois, celle et celui qui pose la question regarde sa montre et s’aperçoit qu’il est minuit moins 5. C’est exactement cela, répond-on. Comme si l’on voulait préserver du temps qui passe tout ce joli monde viennois de la Belle Époque, où se situe l’action. La guerre de 14 et la montée du nazisme s’annoncent et ces quelques dernières années d’insouciance sont à mettre encore au crédit de ce film beaucoup plus grave qu’il n’y paraît. « Nous sommes dans le passé », prévient d’emblée Anton Walbrook — qui lui aussi dut fuir le nazisme. « J’adore le passé, poursuit-il. Il est bien plus paisible que le présent et bien plus certain que le futur. »

 

 

On retiendra également de La ronde cette belle musique lancinante qui vous reste en tête bien après les dernières images du film. Elle est due à Oscar Straus, qui avait supprimé un s de son nom pour ne pas être confondu avec la célèbre famille viennoise de musiciens et, surtout, le fils Johann, dont il était le contemporain. « Tournent, tournent mes personnages, chante Walbrook, la terre tourne jour et nuit, l’eau de pluie se change en nuages et les nuages retombent en pluie. » On ne saurait mieux exprimer le cycle de la vie et dire en sorte que l’amour, puisque c’est de lui dont il est finalement question, est une chose trop grave pour être prise au sérieux.

Jean-Charles Lemeunier

La ronde
Année : 1950
Origine : France
Réal. : Max Ophuls
Scén. : Jacques Natanson, Max Ophuls d’après Arthur Schnitzler
Photo : Christian Matras
Musique : Oscar Straus
Montage : Leonide Azar
Durée : 110 minutes
Avec Anton Walbrook, Simone Signoret, Serge Reggiani, Simone Simon, Daniel Gélin, Danielle Darrieux, Fernand Gravey, Odette Joyeux, Jean-Louis Barrault, Isa Miranda, Gérard Philipe…

Ressortie en salles par Carlotta Films le 6 décembre 2017.

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